Vie

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Le lycée. Un endroit peuplé d'adolescents, tous rangés dans des catégories. Les populaires. Les intellos. Les invisibles. Les sportifs. Et les nuls, les harcelés. Moi je fais partie de cette dernière catégorie. Pourquoi?, vous me direz. Je ne suis pas différent des autres. Je n'ai jamais été populaire, certes, mais toutes les autres cases pourraient tout aussi bien me convenir. J'aime étudier, apprendre de nouvelles choses, j'aime courir, nager, faire du sort en général. Je suis de nature timide, discrète, un passe-partout. Je ne suis pas spécialement beau, ni spécialement moche, juste moi. Et il est bien là le problème. Je suis juste moi. Il n'existe pas deux personnes identiques, tout le monde est unique, et en ce sens, je suis comme les autres. J'aurai pu rester inaperçu, comme je l'ai toujours été, mais les autres en ont décidé autrement. Et maintenant, ma vie est un calvaire. Une personne que j'apprécie beaucoup et envers qui j'ai beaucoup de respect m'a dit un jour "L'adolescence, c'est l'école de la vie." Si c'est ça la vie, alors je n'ai pas envie de vivre. Mais je ne suis pas spécialement courageux, on pourrait même dire que je suis lâche. C'est pour ça que je reste ici, dans ce monde merdique et cruel. Je n'ai même pas la force de partir, quand bien même c'est ce que je souhaite vraiment. C'est pitoyable. Chaque jour est pire que le précédent. On m'insulte, on me frappe, on me rabaisse constamment. Je ne peux rien y faire. Je ne riposte jamais, je suis contre la violence. Alors j'encaisse coup sur coup. Mais je faibli. Moralement, physiquement, je faibli. Pourtant je suis toujours là, seul, assis dans l'ombre au fond de la classe ou bien à l'écart, dans la cour ou la cantine. Je les vois me regarder, je les entends chuchoter quand ils pensent que je ne les entends pas. Et ça fait mal. Très mal. Bien plus mal que lorsqu'ils viennent me dire en face ce qu'ils pensent, me rabaisser. Je vois très bien les regards qu'ils me lancent. Certains sont furieux. D'autres sont indifférents. D'autres encore sont peinés. Et d'autres me fuient comme la peste. Je vois dans certains regards qu'ils ne sont pas d'accord, qu'ils ne veulent pas me voir être maltraité. Mais ceux-là ne font rien. Ils ont peur. Peur des conséquences s'ils venaient à prendre ma défense. Je les comprends, moi aussi j'aurai peur à leur place. Je ne leur en veux pas. C'est aux autres que j'en veux. Ceux qui ne comprennent pas. Ceux qui ne me comprennent pas. Qui n'essayent même pas. Mais moi je les comprends. Et c'est pour ça que je leur en veux. Eux aussi ont peur. Ils ont peur, mais pas pour les même raisons. Ils ont peur parce qu'ils me trouvent différent. Parce que je ne suis pas exactement comme eux. Ils ont peur de ce qui est différent, parce que ça leur fait perdre leurs repères. C'est pour cela que je leur en veux. Ce qui est différent est beau. Mais ils ne le voient pas. Ils n'ont pas le même regard que moi. Peu de gens ont le même regard que moi. C'est pour ça que je fais tâche. Et c'est dans la nature humaine de rejeter ce qui fait tâche. D'avoir peur de la différence, de l'inconnu. Beaucoup disent que je suis noir de l'intérieur, que je n'ai pas de place en ce monde. Mais en réalité, c'est à eux d'ouvrir les yeux. De regarder plus loin, de changer de regard. Et peut-être qu'alors ils verraient que je brille. Que je brille de milles feux de ma propre lumière, différente de la leur. Peut-être verraient-ils que la noirceur, la vraie, ne se trouve pas chez moi, mais chez eux. Qu'elle entoure leur lumière, comme une écharpe sombre, brumeuse, dont l'étreinte se resserre avec le temps. Et peut-être qu'alors ils arriveraient à ôter cette écharpe qui les empêche de briller. Peut-être qu'ils cesseraient d'avoir peur et qu'ils me tendraient la main. Peut-être même qu'ils me sortiraient de cette tombe qu'ils ont creusé pour moi. Eux, ils sont jeunes. Ils n'ont pas encore finit de grandir et de se chercher. Moi non plus. Nous ne sommes encore que des ados, nous n'avons encore rien vu de la vraie vie. 

La vie. On dit que c'est une passe, parfois dure, mouvementée, parfois calme, comme l'eau d'une rivière s'écoulant lentement. Pour moi, c'est une cascade. Une cascade infernale qui t'entraîne, qui ne te laisse aucune prise, rien pour te raccrocher. Qui te pousse vers le fond, qui te pousse à sombrer dans un gouffre toujours plus profond. Qui te pousse à lâcher prise, à fermer les yeux et à cesser de résister. Et quand enfin tu cesses de te débattre, alors seulement tu remontes à la surface. Il n'y a qu'a ce moment là que tu peux trouver la paix. On pourrait dire que c'est le point de non-retour, la mort. Pour moi, il s'agit plutôt d'un nouveau départ. Parce qu'une fois qu'on a lâché prise, alors on peut enfin se retrouver. Savoir qui l'on est. Et l'assumer. Vivre avec, sans se soucier du regard des autres. C'est seulement à ce moment là qu'on peut se dire qu'on a grandi. Qu'on a compris l'essentiel sur la vie. A votre avis, pourquoi les personnes les plus sages sont-elles souvent les plus âgées? C'est simplement parce qu'elles ont eu le temps d'apprendre à voir la vie avec d'autres yeux, d'une autre façon. Elles ont compris la vraie nature de la vie. Et elles n'ont plus peur. Elles sont prêtes à partir. A dire au revoir. Et elles ne regrettent rien, car ce sont tous les choix qu'elles ont eu à faire au cour de leur existence qui les ont amenées à savoir, à comprendre. Mais ces personnes là sont peu nombreuses. Et même si elles ont fini par comprendre, le chemin à parcourir a été trop long. Beaucoup trop long. Dans leur quête pour comprendre, elles ont laissé derrière elles trop de personnes souffrantes. Trop de personnes demandant de l'aide. Ce sont souvent ces personnes qui souffrent le plus qui voient le mieux. Les autres se disent fortes, grandes, matures et même sages. Mais la réalité est tout autre. Ils ne sont pas sages, ils ne savent pas, ils ne comprennent pas. Ils se contentent de leur petit confort quotidien et ne cherchent pas à regarder autour d'eux. Ils ne voient pas ce qui les entourent, ils se concentrent sur leur petite personne, même ceux qui se disent généreux. Ils ferment les yeux sur toutes les injustices qui règnent dans ce monde, ils font semblant de ne pas les voir, ou bien ils cherchent à aider en vain. Même s'ils y mettaient toute leur volonté, ils ne parviendraient pas à résoudre tous les problèmes de ce monde injuste et cruel. Parce qu'ils ne comprennent pas et parce qu'ils ne cherchent pas à comprendre. Ils ne voient pas que le problème, le vraie, celui à l'origine de tous les autres, c'est leur mentalité. Leur façon de voir le monde. Même avec toute la bonne volonté du monde, l'Homme ne parviendra à rien tant qu'il ne changera pas de regard. Certains voient un peu. Certains parviennent à entrouvrir leurs yeux, mais rare sont ceux qui parviennent à les ouvrir complètement. Moi même je n'ai pas les yeux entièrement ouverts, je ne le nie pas. Mais je commence à voir. Et un jour je verrai complètement. Un jour, je parviendrai à lâcher prise et à remonter à la surface. Un jour, j'arriverai à trouver la paix. Et ce jour là, je tendrai la main à tous ceux qui m'ont fait du mal et à tous ceux qui n'ont pas compris, et je les aiderai à ouvrir les yeux et à changer le monde. Parce que c'est grâce à eux qu'aujourd'hui je commence à comprendre. Et je sais que je ne pourrai pas tous les aider, mais j'en aiderai le plus possible. Je leur montrerai que la fille aux cicatrices dans la salle d'à coté n'est pas différente. Que le mec noir du CDI n'est pas différent. Que la blonde qui passe son temps à lire n'est pas différente. Que les deux filles qui s'embrassent au fond de la cour ne sont pas différentes. Que moi, je ne suis pas différent.

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