[14] Les vagues à lames
Plein d'énergie, j'avais beaucoup marché ce matin-là. Mes parents m'avaient envoyé un message : ils avaient appelé la police, et signalé ma disparition. Mon périple allait peut-être s'écourter de quelques jours. Pourtant, je n'avais pas peur de la police, ni d'aucune autorité qu'elle qu'elle soit. J'étais en pleine crise d'adolescence, je levai mon majeur bien haut, et seul ce muret savait quand j'allais m'arrêter.
Le midi, je me posai entre deux jardins et sortis de quoi combler ma faim. J'allais bientôt devoir me réapprovisionner, ou rentrer. D'après mon téléphone, que j'avais rechargé chez Lazare, le prochain arrêt du mur était à six kilomètres. Il s'étendait encore à perte de vue sans pause. Parfois, je songeais au courage, à la patience, à l'entêtement qu'avaient eu les ouvriers pour construire ces remparts. Avaient-ils peur ? Croyaient-ils en leur travail ?
Chaque brique est un soupir, une marque, une blessure, l'ensemble du mur est le regroupement des souvenirs de ces hommes, qui ont respiré leur sueur sous le souffle marin pour protéger leurs familles. En pensant à eux, je me dis qu'eux aussi, ils étaient en pleine crise d'adolescence. Entêtés à finir quels que soient les obstacles, les ordres, la météo. Équipés d'œillères comme les chevaux, ils ne voyaient pas ce qu'il y avait autour, seulement ce qu'il y avait devant sans que rien ne puisse les distraire.
— Excusez-moi.
Surpris, je tournai la tête brusquement pour voir un homme d'une cinquantaine d'années, un livre gros (et sûrement lourd) comme une brique dans les mains. Il me regardait avec dédain, comme s'il regrettait que le mur ne soit pas plus bas pour qu'il puisse me pousser dans les écumes. Je déglutis avant de tenter un sourire.
— Écoutez-moi, jeune homme, je ne sais pas comment vous êtes arrivés là et je ne veux pas le savoir. Vous allez descendre et déguerpir, c'est compris ? Vous n'avez en aucun cas le droit d'être ici.
J'ouvrai la bouche pour dire quelque chose mais son regard me la fit refermer aussitôt. Je rangeai fissa mes affaires dans mon sac et me levai. Il me fit signe de descendre. Sans un mot, je sortis une enveloppe que j'avais préparée en avance, et la laissai tomber dans son jardin.
— Allez-vous partir ? cria-t-il. Je vous préviens je vais appeler la police !
— Pas besoin de s'énerver, dis-je calmement en refermant mon sac, je vous laisse, n'hésitez quand même pas à aller regarder dans l'enveloppe, sait-on jamais.
Alors qu'il me hurlait de disparaître le livre levé, je ne pus m'empêcher de rire en commençant à courir le long du mur. Je me sentais comme l'oiseau que le chat n'arrivait pas à attraper. Le prédateur restait au sol, pendant que moi, je partais vers les hauteurs sans me soucier de rien. J'agitais mes ailes, et d'un battement, d'un rire, je m'échappais en le laissant seul avec sa rage. Il continuait de s'égosiller que je n'avais pas le droit, que je devais descendre, mais moi, je ne pouvais que rire. J'étais habité par l'allégresse de la liberté, la gaieté de l'indépendance, et je n'avais qu'une envie : enfreindre les règles. L'adrénaline de l'insolence me dictait ma conduite. Jusqu'à ce que j'entende un bruit affreux, qui paralyse le cauchemar de tout écrivain. Le terrible son d'une feuille qu'on déchire.
Il avait détruit mon texte. Ça n'avait beau n'être que du papier, il avait déchiré une partie de mon espoir dans le même mouvement. Depuis le début de mon aventure, c'était le premier coup qu'on m'affligeait, la première fois qu'on me menaçait. À vrai dire, je n'avais pas rencontré grand-monde. Si j'avais attendu que chaque personne sorte de chez elle, si je les avais toutes rencontrées, qui m'aurait accueilli ? Qui m'aurait rejeté ? Quelle aurait été ma réaction si un ado déambulait au fond de mon jardin en semant des enveloppes ? Sur la dizaine de lettres que j'ai éparpillées, combien sont arrivées à destination ? Combien ont fini dans une poubelle ou laissées seules dans un coin ? Combien n'ont pas été vues, et seront découvertes trop tard ?
J'arrêtai alors ma course et repris mon souffle. En regardant la mer, je laissai mes pensées se perdre dans ses vagues, je regardai les "si" naviguaient aux côtés des voiliers et je laissai les questions me tirer chacune de leur côté.
— J'ai des vagues à lames, murmurais-je finalement comme en secret à l'océan.
Je m'arrêtai alors derrière le toit d'un cabanon. Je n'étais pas vraiment caché, mais j'avais une pulsion d'écrivain, et il fallait que je m'arrête pour écrire.
Couplet 1 (0:19)
Quand la Lune n'éclaire pas de sa lumière l'océan,
Les eaux se plongent dans une obscurité glaçante,
Lors de ces nuits, on n'entend pas une brise de vent,
Seulement les pleurs des profondeurs souffrantes.
Elles naissent aveugles toujours plongées dans le noir,
Mais pourtant du jour on leur chante les louanges,
Elles cèdent leur plainte aux différentes nageoires,
Et attendent éternellement le halo d'un ange.
On ne perçoit pas leurs maux s'élever de là-bas,
Comme des épaves ils s'échouent parmi les méandres,
Ils ne grimpent même pas jusqu'en haut du mât,
Le peu de force qu'ils ont ils l'utilisent pour redescendre.
Les abysses restent ainsi, cachés dans la pénombre,
En l'attente d'une ancre à laquelle s'accrocher,
Pour pouvoir remonter et sortir des ombres,
Pour pouvoir rencontrer ce ciel et sa clarté.
Pré refrain
J'entends ces plaintes qui viennent me lacérer le cœur,
Moi piètre marin égaré entre mes rames,
Elles cisaillent ce qu'il me restait de bonheur
Me laissant seul ballottant sur ces vagues à lames.
Elles ne sont pas des dagues, face aux maux mourants,
De véritables mitraillettes elles bombardent aux alentours
Elles ne font pas de vagues face aux flots courants,
Elles les rattrapent sans qu'ils ne puissent faire demi-tour.
Refrain (1:16)
Sadique ou malheureuse la mer nous rend dépressifs,
On a beau nager, elle nous pousse contre les récifs,
Ce ne sont pas les poissons, le corail, ou les baleines
Qui lui causent ces tourments et cet amas de peine.
C'est sa main tendue vers le ciel pointant le soleil,
C'est la main de notre étoile qui est tendue vers elle,
Ce sont ces deux mains qui ne se touchent pas malgré leur volonté,
Qui lui font comprendre qu'elle est privée de liberté.
C'est cette injustice qui gronde durant les tempêtes,
Où dans l'air comme en mer l'orage est à la fête,
Ce sont ces deux mains qui tentent de se rapprocher,
Mais qui finissent toujours par laisser tomber.
Si un bateau fait naufrage c'est que l'océan a vu,
À bord sur le pont deux mains tenues,
C'est qu'il en veut au destin de ne jamais arriver,
À effleurer cet être qu'il ne pensait pas si éloigné.
Couplet 2 (1:55)
La jalousie des marées les rend sanguinaires,
Nous noyons nos ressentiments sous les insultes et les éclats,
Sommes-nous, humains, placés pour faire un commentaire ?
Des poisons nagent dans les remous de nos armadas.
Nous regardons le ciel en le maudissant de tout notre être,
La mer lève les yeux des larmes se fondent dans ses eaux,
Le Soleil est-il vraiment le coupable de nos mal-êtres ?
Lui aussi regarde le sol et son moral est à zéro.
Quand il voit nos majeurs insolemment tendus vers lui,
Il tourne tristement la tête vers l'océan,
Blessé davantage il lâche ses chevaux gris,
Qui autrefois furent de majestueux pégases blancs.
Les fougueux animaux trottent au rythme de sa rage,
Les bruits de leurs sabots claquent contre nos toits,
Les larmes du Soleil rencontrent alors celle des rivages,
Et ensemble ils chantent d'une voix leur peine a cappella.
Pré refrain
J'entends ces plaintes qui viennent me lacérer le cœur,
Moi piètre marin égaré entre mes rames,
Elles cisaillent ce qu'il me restait de bonheur
Me laissant seul ballottant sur ces vagues à lames.
Elles ne sont pas des dagues, face aux maux mourants,
De véritables mitraillettes elles bombardent aux alentours,
Elles ne font pas de vagues face aux flots courants,
Elles les rattrapent sans qu'ils ne puissent faire demi-tour.
Refrain
Sadique ou malheureuse la mer nous rend dépressifs,
On a beau nager, elle nous pousse contre les récifs,
Ce ne sont pas les poissons, le corail, ou les baleines
Qui lui causent ces tourments et cet amas de peine.
C'est sa main tendue vers le ciel pointant le soleil,
C'est la main de notre étoile qui est tendue vers elle,
Ce sont ces deux mains qui ne se touchent pas malgré leur volonté,
Qui lui font comprendre qu'elle est privée de liberté.
C'est cette injustice qui gronde durant les tempêtes,
Où dans l'air comme en mer l'orage est à la fête,
Ce sont ces deux mains qui tentent de se rapprocher,
Mais qui finissent toujours par laisser tomber.
Si un bateau fait naufrage c'est que l'océan a vu,
À bord sur le pont deux mains tenues,
C'est qu'il en veut au destin de ne jamais arriver,
À effleurer cet être qu'il ne pensait pas si éloigné.
Certes, les hommes ont tort de s'en prendre au ciel quand rien ne va, mais les éléments ont tort de s'en prendre aux hommes quand ils sont dans l'impasse. Alors que faire ? Sur qui se déchaîner ? Même le plus sage des sages n'aurait pas la réponse, car même le plus vieux des druides déverse sa haine sur un chaudron.
J'arracha ma chanson et en fis un avion en papier. Je glissai une enveloppe entre les deux ailes, comme si mon slam transportait mes messages et après avoir glissé un mot à l'intérieur, je lançai l'avion vers les habitations. Je le suivis du regard planer quelque temps sur les différents courants d'air et passer au-dessus des jardins. Trois maisons plus loin, il descendit et heurta un buisson. Bloqué entre les sombres feuillages on ne voyait que lui, celui qui passait à côté était soit aveugle, soit absent.
Mes doutes étaient partis, ils s'étaient envolés avec mes mots. Je repris ma marche en fredonnant, mon voyage allait bientôt toucher sa fin, mais j'allais en profiter jusqu'au bout.
Que les lames des vagues restent dans la mer ! Qu'elle les garde dans le coffret de sa rancœur et qu'elle rêve de la main du soleil plutôt que de la voir comme une lune impossible à décrocher. On n'est jamais sûr de rien avec les rêves, parfois le futur pioche au hasard dans le sac de nos délires et en réalise un. Ça n'arrive pas souvent mais il le fait pourtant, la preuve, on continue de toujours se répéter "Et si...?", et de sourire en voyant approcher la nuit.
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Hey ! Ça va bien ?
Comme l'a dit Marco, cette histoire va bientôt toucher à sa fin, je vais bientôt voir qui a bien suivi cette aventure poétique !
J'espère que cette histoire te plait toujours, comme d'hab hésites pas à me corriger et à me reprendre si quelque chose ne va pas ^^'
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