4. Le souvenir brumeux

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{Hoefler Text italique}

Le visage du Maître était tendu, très tendu. Il semblait prêt à exploser. Il haletait comme s'il venait d'effectuer un marathon, comme s'il était assoiffé, comme s'il était à deux pas de la mort. Akko regardait, impuissant. Il ne pouvait rien faire, ses membres ne répondaient plus. Des larmes saccageaient sa jolie peau, ravageaient son doux visage d'ange. Elles striaient ses joues de sillons. Aussitôt que l'un avait séché, un autre venait le repasser pour l'humidifier et c'était reparti pour un tour. Mais Akko ne s'entendait pas pleurer. Ses membres tressautaient, il était assailli de spasmes, mais pourtant il ne pouvait lever le pied pour courir aider son Maître.

Ce dernier se plia en deux, en quatre, il cracha un filet de sang qui ruissela sur son menton jusqu'à s'écouler à terre ; à terre. Ce n'en était même pas. Seulement un fond brumeux et noir, Akko n'aurait pas su dire de quelle matière il était constitué. Ses pieds s'enfonçaient dedans, comme dans de la vase immonde. Le Maître parut se tordre, se révulser. Il s'effondra, rampant presque. Akko ne put rien faire, absolument rien. Ça le détruisait. Son aîné convulsait sous ses yeux. Fiévreux, la mâchoire serrée à l'extrême, le teint blanc comme un linge, en proie à une souffrance qu'Akko semblait ne jamais avoir connue. Tous ces maux de ventre... Ils n'étaient que pures bagatelles à côté. Le Maître tenta de se redresser, mais il s'écrasa mollement une demi-fraction de seconde plus tard. Un regard implorant à Akko ; quelques de ses perles de larmes en contrebas.

- C'est toi qui me fait ça...

Le cœur d'Akko fut réduit en miettes. C'est alors que, contre toute attente, choquant Akko, il s'entendît répondre. Il s'entendît répondre de sa voix. La sienne, à lui, qui lui appartenait. Une voix douce, une voix légèrement rauque, une voix splendide.

- Mais Maître, vous êtes le seul et l'unique à pouvoir tout arrêter, pourtant.

À la fin de sa phrase, malgré la beauté du départ, ce fut une voix grave et vibrante qui semblait venir des tréfonds de son âme. Le Maître sanglota comme un enfant. Comme si son âme était brisée, comme s'il était complètement détruit.

- Akko, aide-moi...
- Comment le pourrais-je ?

Le Maître redoubla de pleurs, et l'omniscient d'Akko également. Il mourait d'envie de se jeter dans ses bras, de le secourir. Qu'est-ce qui se passait ? Faisait-il un rêve lucide ? Soudain, son corps lui répondit. Le garçon s'élança vers son tuteur, se jeta à genoux devant lui et lui attrapa la main. Avant de pouvoir faire autre chose, la scène tourna. Les couleurs sombres se mélangèrent en un tourbillon de gris, de noir et de brun, puis le sol s'y mêla et Akko fut saisi d'un ignoble mal de tête. Le décor changea : ils se trouvaient devant le portail du grand Manoir dans lequel ils vivaient. Le Maître était droit, l'expression indéchiffrable, élégant comme jamais. Akko était tout petit, peut-être trois, quatre ans.

Il tenait la main - ou plutôt, une femme serrait fortement sa main comme si elle craignait qu'il ne s'évapore en la lâchant - à une femme frêle, aux épaules fragiles et aux clavicules saillantes, comme lui. Son visage était flou, Akko ne le voyait pas très bien, mais les quelques maigres traits qui apparaissaient la rendaient, aux yeux du garçon, magnifique. Elle avait de très longs cheveux noirs soyeux qui lui tombaient jusqu'aux hanches, et malgré sa faible carrure, elle avait des formes généreuses. L'inconnue portait une jolie robe mauve qui épousait d'une manière sublime ses courbes, munie d'un décolleté et de manches courtes. On aurait dit un léger fantôme face à un immense titan. Mais le Maître affichait un air doux, calme, des yeux de biche. Quel était ce regard..?

La femme embrassa Akko sur les deux joues, sur le front, l'étreignit avec le peu de force qu'il lui restait, puis le poussa délicatement aux côtés du Maître. Celui-ci lui adressa un sourire triste, puis les deux adultes se rencontrèrent en un grand câlin qui dura trois lentes minutes. Akko tenait une peluche du bout des doigts, un ourson caramel avec un noeud pourpre autour du cou. Le Maître déposa un baiser sur le front de la femme, entrelaça ses doigts entre les siens, puis la laissa repartir vers une petite diligence.

Puis Akko le remarqua. Un garçon aux cheveux d'ébènes, au regard perçant d'aigle, au visage anguleux. Assis dans le véhicule. Pourquoi l'abandonnaient-il ? Sans avoir eu le temps de réagir, l'engin s'éloigna et disparut à l'horizon. Akko n'avait même pas vu la femme y monter.

Et le Maître l'entraîna à l'intérieur de sa titanesque et somptueuse demeure.

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