2. L'échec du dîner

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Akko avait terminé la lecture d'une dizaine de livres déjà quand la nuit eut finit de couvrir complètement le ciel de son voile sombre. Il fut si soulagé d'entendre enfin la sonnerie de son alarme qu'il jeta son livre en direction de sa bibliothèque avec violence et précision : il s'y entraînait depuis quelques années - lui semblait-il, même s'il n'en avait pas vraiment le souvenir -, aussi le bouquin regagna sa place avec propreté.

Un presque imperceptible sourire de fierté se glissa sur ses lèvres, puis il se leva pour ranger le reste de la pile d'ouvrages qu'il avait dévorés un par un plus tôt. Il savait que le Maître n'aimait pas beaucoup son habilité à viser la bibliothèque pour y lancer des livres qu'il avait payés, alors il se limitait à un par semaine, sauf quand il était trop excité - Akko aimait l'organisation, et il s'ennuyait tellement qu'il avait finit par compter combien de fois il effectuait cela. Même s'il oubliait tout à peine quinze jours plus tard.

Akko se dirigea vers son armoire d'osier, mais s'arrêta en voyant son reflet dans le miroir : il observa rapidement ses cheveux très blonds en bataille, ses yeux grisonnants, son nez finement retroussé et ses lèvres pincées, puis se surprit à tirer dessus, comme pour les étirer. Il plaqua d'un coup ses mains le long de son corps pour cesser son mouvement étrange : Le garçon était en adoration devant la bouche pulpeuse du Maître, et il était jaloux de ne pas en avoir été doté également. Sauf que ce tic ne servirait à rien à part abîmer la sienne et dégoûter encore davantage son supérieur.

Il s'efforça de se concentrer sur sa tenue simple : un t-shirt albe et raffiné qui dépassait de dix bons centimètres sa taille frêle et qui laissaient entrevoir ses clavicules saillantes à cause d'un col en V, ainsi qu'un short corbeau trop court à son goût. On voyait encore trop bien ses rotules squelettiques et ses maigres jambes. La vision de ses chaussettes blanches à fraises le réconforta : au moins, ses pieds étaient couverts.

Akko effectua quelques pas avant d'ouvrir la porte de l'armoire et d'attraper un long chemisier candide. Il retira son haut et enfila l'habit, puis quitta son short et plia parfaitement son ancienne tenue au centre de son lit. Le Maître viendrait la chercher et la laverait pour qu'elle soit propre le lendemain. Akko eut un sourire rayonnant aux lèvres en une fraction de seconde, soudain égayé par la pensée que le Maître veillait sur lui.

Il sortit de sa chambre en essayant de ne pas trop se précipiter, pressé de retrouver son tuteur. Akko referma doucement la porte, puis longea le corridor aux murs clairs et au parquet brun recouvert d'un fin tapis pourpre sur toute sa longueur. Il s'avança vers l'escalier et descendit les marches en se retenant de les sauter quatre à quatre. Le garçon déboucha dans l'entrée, et il fut rassuré de voir que la gigantesque porte massive était close. Le Maître et lui n'étaient encore que seuls tous les deux.

Soudain, quelque chose remua dans la pénombre des salles du fond. Akko tourna la tête assez rapidement, mais pas suffisamment pour avoir eu le temps de voir une silhouette. Il plissa les yeux, peureux, mais même après trois longues minutes, rien ne se détacha des ténèbres. Sûrement une hallucination.

Akko contourna les statues de pierre et les gargouilles cristallisées pour se faufiler dans la salle à manger. Le Maître l'attendait, assis au bout de la longue table de cristal. Assiettes, fourchettes, couteaux, le couvert était mit, comme toujours. Akko prit place juste à côté du Maître et ce dernier se leva pour allumer la dizaine de candélabres accrochés dans la pièce. Il savait qu'Akko aimait le regarder faire, aimait regarder les flammes prendre vie et s'élever pour éclairer le lieu, comme pour éclairer sa vie. Leur vie.

Lorsqu'il eut terminé, le Maître s'absenta quelques secondes avant de revenir avec deux plateaux d'argent sur les bras : l'entrée et le plat. Il les déposa délicatement face à leurs places respectives, puis servit leurs deux assiettes de bruschetta à la mozzarella. L'homme se rassit finalement et reporta son attention sur Akko. Quelques instants plus tard, il le fixait intensément, comme s'il était obnubilé par lui et que plus rien autour ne comptait.

Le plus jeune sentit son cœur le picoter tant ses battements étaient puissants, et ses joues s'enflammer. Il voulut les effleurer pour sentir si elles brûlaient, mais le Maître sortit de sa bulle et plissa les yeux soudainement, ce qui l'en découragea.

- Akko, comment réagirais-tu si un nouvel ami nous rejoignait ? » décida de briser le silence le Maître. Le garçon eut un haut-le-cœur et ne put réprimer un couinement. Il s'excusa immédiatement en secouant les mains, paumes face au Maître. Le garçon pencha ensuite la tête sur le côté, ce qui signifiait « pourquoi ? ».

- Réponds à ma question. Cela m'intéresse. » Akko, à l'aide de gestes lents, répondit que tant que le Maître était heureux, tout irait bien.

- Comment toi, tu irais ? » Le plus jeune voulut d'abord faire un mouvement qui représentait le bien, mais il décida d'être franc. C'était ce que le Maître voulait. Il effectua le signe contraire, ne lui laissa pas le temps de parler et en enchaîna d'autres. « Mais ça n'arrivera pas, pas vrai ? ».

- Merci de m'avoir fait part de ton avis, Akko. À présent, il est l'heure de manger. »

Le garçon prit sa fourchette et la plongea dans son assiette, puis s'immobilisa. Le Maître n'avait pas commencé, ce qui voulait dire qu'il y'avait un problème. Son cerveau se mit en mode ébullition d'un coup et il réfléchit à toute vitesse. Heureusement, il trouva bien assez vite - pour une fois. Il secoua à nouveau les mains.

- Bien, tu as compris. Ne me coupe plus la parole. »

Ils dînèrent ensuite dans le silence, et Akko ne réussit pas à chasser la méchante couleur pourpre qui avait prit possession de ses joues. Il ne voulait en aucun cas faire honte au Maître, ni lui désobéir ni le fâcher. Malgré les rechignements de son estomac face à toute la nourriture qu'il engloutissait, Akko ne protesta pas et termina son assiette. Il en avait déjà assez fait comme ça.

L'idée qu'une autre âme vienne vivre avec eux lui donna la nausée. Il avait redouté ce moment pendant de très longues années et il ferait tout pour empêcher cela. À moins que... le Maître aimait bluffer, alors c'était certainement une blague. Une blague de très mauvais goût, mais tout de même une blague. Akko sourit, tenta de s'en convaincre, puis crut voir apparaître une silhouette dans le fond de la salle et vida ses tripes avant même d'en prendre conscience.

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