Chapitre 7
« Maud ! Non, ne faites pas ça ! » m'écriai-je en m'empressant de lui retirer le couteau des mains. Elle me regarda avec des yeux vides, comme si elle était en transe. Je posai le couteau le plus loin possible, hors de portée pour elle. Le sang qui s'était posé dessus provenait seulement de sa main. Je compressai du mieux que je pouvais ses doigts afin d'arrêter le saignement. Au bout d'une dizaine de minutes, je la transportai jusqu'au canapé. Elle tomba lourdement dessus et faillit m'emporter avec elle. Elle tourna la tête vers moi, l'air perdu, mais pleinement consciente.
« Alice. Je... je suis désolée, bégaya-t-elle. Je peux tout t'expliquer.
— Non, reposez-vous maintenant. Il n'est que cinq heures du matin. Je resterai ici. Nous parlerons demain.
— D'accord », parvient-elle a articulé.
Elle se rendormit aussitôt. Mais moi, je n'y parvins pas. De millions de pensées se bousculaient dans ma tête, pour changer. Je faisais face au pire dilemme de toute ma vie. Soit je dévoilais à Maud qu'on était dans l'un de mes rêves, et elle ira sûrement beaucoup mieux, soit je gardais l'espoir de sortir de l'hôpital, et je faisais comme on m'avait conseillé de le faire afin d'y parvenir. Je réussis à dormir une petite heure, après avoir longuement ressassé ces deux possibilités.
Lorsque le réveil sonna à 9 heures, ma décision était prise.
***
Je fis des pancakes pour le petit-déjeuner. Je les amenai à Maud dans son canapé, afin qu'elle ne s'y déplace pas. Elle me remercia d'un faible sourire.
« Alice, je dois t'expliquer ce qu'il s'est passé cette...
— Non. C'est moi qui dois vous expliquer quelque chose, la coupai-je.
— Attends au moins que je m'excuse une seconde fois. Je ne voulais pas réellement mettre fin à mes jours. Je... j'ai tendance à voir les choses de manière assez obscure quelques fois. Mais je suis une thérapie pour essayer de m'améliorer. Lorsque tu m'a trouvée dans la cuisine, j'étais en train de me dire que je ne pouvais pas, que je n'avais pas le droit de t'abandonner. Même si ça ne fait que quelques jours que nous nous connaissons, je t'apprécie beaucoup. Tu... tu es comme la fille que je n'ai pas eue. Et que je n'aurai sûrement jamais. »
Je m'étranglai avec le pancake. Je dus attendre quelques secondes avant de prendre la parole.
« Maud. Vous aurez une fille. Je le sais, affirmai-je.
— Et comment pourrais-tu le savoir ? Je n'ai plus l'âge.
— Maud, il faut que je vous avoue quelque chose. Mais avant cela, j'aimerai que vous me promettiez de ne pas paniquer. Je... je gère la situation.
— Je ne peux rien te promettre à l'avance Alice. Surtout que ce que tu t'apprêtes à me dire me semble d'une grande ampleur, contra-t-elle en fronçant les sourcils. Mais je te promets d'essayer.
— Merci. Ce que je dois vous dire c'est que... je ne viens pas d'ici.
— Ah bon ? s'étonna-t-elle. Pourtant, tu as l'air de bien connaître le quartier.
— Je viens de ce lieu, en effet. Ce que je veux dire, c'est que je ne viens pas de la même époque. Je suis née en 2007.
— En... 2007 ? Mais...
— Oui, 2007. Et j'imagine que nous sommes vers 1970.
— Nous vivons en 1972, oui, me déclara-t-elle, les yeux rivés sur moi. Mais, laisse-moi réfléchir... tu viendrais du... futur ? C'est pas croyable... moi qui pensais que ça n'arrivait que dans les films...
— Oui, en quelque sorte. Lorsque je suis arrivée chez vous, je l'ai compris dès la première nuit. Vous m'aviez annoncé ne pas connaître Emmanuel Macron, qui est le président de mon époque. Puis ensuite, tout s'est embrouillé. Je me suis réveillée dans un hôpital, et des hommes m'ont dit que j'avais rêvé. Mais qu'ils me replongeraient dans ce rêve, pour me préserver d'un danger de l'extérieur... ce n'était pas précis.
— Comment ça, dans un rêve ? Ça n'a pas de sens... je peux pourtant t'assurer que je suis bel est bien présente, Alice, affirma-t-elle.
— Je... je n'en suis pas si sûre, à vrai dire. Regardez, pincez-vous. Est-ce que vous ressentez quelque chose ? »
Maud se pinça, puis écarquilla les yeux au même moment.
« Ce... c'est impossible, bafouilla-t-elle.
— Maud, écoutez-moi bien. Ce que je m'apprête à vous dire risque de fortement vous perturber. Mais j'ai besoin de toute votre attention, et que vous vous concentriez sur ce que je vous dis, je vous en conjure, lui demandai-je en la fixant du regard.
— Je t'écoute », murmura-t-elle.
Je pris une profonde inspiration, puis me lança.
« Mon cerveau vous a fabriqué depuis votre état actuel. Je vous connais de 2021, en tant que grand-mère. Vous êtes la voisine de ma meilleure amie Margot. »
— D'accord, soupira-t-elle en relevant les yeux. Excuse-moi, Alice, mais j'ai besoin d'un peu de temps pour digérer tout ça. »
Elle essaya de se lever du canapé, mais sa cheville l'en empêcha. Je m'assis sur le fauteuil à côté, et laissa le temps à Maud de réfléchir. J'observai les minutes passer sur le cadran de la grande pendule en face de moi, et écoutai attentivement le tic-tac de la trotteuse. Au bout de sept minutes et quarante-deux secondes, Maud releva les yeux vers moi.
« Certaines choses paraissent logiques dans ce que tu m'as dit. Par exemple, le fait que je n'ai ressenti aucune douleur lorsque le sang de ma main coulait sur le couteau. Mais... ma cheville ? Comment peux-tu l'expliquer ?
— J'avoue que votre cheville m'échappe. Je suis désolée.
— Pourquoi ne pas m'avoir dit tout ça plus tôt ?
— Lorsque j'étais à l'hôpital, les hommes m'ont dit de vivre le rêve comme une réalité, si non je ne pourrais jamais revoir mes parents. Mais comme je vous voyais si triste et prête à vous suicider par ma faute, je n'ai pas eu d'autre choix que de vous dévoiler la vérité. Je suis désolée, j'aurai dû vous prévenir. Mais... je tenais vraiment à sortir de là, lui avouai-je, un peu gênée.
— Je te comprends, ne t'inquiète pas. Du coup, reprit-elle, est-ce qu'on peut dire que... je n'existe pas ?
— J'ai bien peur que non... en tout cas, pas dans l'absolu. Vous existez dans ma tête.
— C'est tellement difficile à croire... je me sens si vivante. Et j'ai des souvenirs du passé. Ça n'a pas de sens. », soupira-t-elle.
Elle fondit en larmes. Avais-je eu raison de lui dire la vérité ? Je la pris dans mes bras. Au bout d'une dizaine de minutes, je sentis son souffle s'apaiser. Puis je me rendis compte qu'elle s'était endormie sur mon épaule.
***
Deux heures après, je l'entendis crier mon nom du salon. Je m'étais installée dans la chambre d'amis pour lire les articles de presse plus en détail. Je descendis les escaliers quatre à quatre, le cœur battant. Lui était-il arrivé quelque chose de grave ?
Lorsque j'arrivai face à elle devant le canapé, je poussai un soupir de soulagement : elle était loin d'être en détresse. Maud était assise sur le canapé, sereinement, le sourire au lèvres.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? l'interrogeai-je, intriguée.
— Il vient de m'arriver quelque chose, Alice.
— Quoi donc ?
— Je me suis rendormie après que tu m'ait fait tes aveux. Et devine quoi ? Je me suis réveillée quelques secondes plus tard dans un hôpital ! Tout comme toi. La chambre dans laquelle j'étais... tout semblait tellement moderne ! Mais je n'ai rien pu apercevoir, pas même mes mains. Mais il y avait un rideau qui séparait la chambre en deux... comme si je n'étais pas seule. J'ai crié à l'aide, et un homme est entré.
— Est-ce qu'il avait un masque blanc ?
— Oui, exactement ! On ne distinguait rien de son visage, sauf ses yeux ! » s'exclama-t-elle.
Je m'assis sur le canapé. Maud venait de vivre la même chose que moi.
« Il m'a posé plein de questions sur ma vie, continua-t-elle. Je lui ai dit partiellement la vérité, j'ai préféré ne pas évoquer ta récente apparition. Ensuite, il m'a fait respirer un gaz, en me disant que ça me soulagerait, puis je me suis de nouveau retrouvée ici.
— Exactement comme moi.
— Oui ! Alice, je crois que j'ai compris ce qu'il se tramait. Ou au moins une partie.
— Ah bon ? Mais quoi ? Dites-moi tout ! insistai-je, une lueur d'espoir s'allumant en moi.
— Alors, je pense que nous vivons toutes les deux un rêve. Mais la différence avec ta version, c'est que nous sommes dans le même. Ma douleur à ma cheville, les souvenirs de ma vie d'avant, le fait que je me sente si vivante... je suis aussi auteur de ce rêve.
— Attendez... cela voudrait donc dire que vous êtes... réelle ? Que vous n'êtes pas le fruit de mon imagination ?
— En effet. J'en suis persuadée. Mes souvenirs et ma conscience sont bien trop complexes pour que je n'existe pas. En clair, je pense que nous sommes toutes les deux en train de dormir en ce moment, dans la vraie vie, mais que nous vivons en parallèle un rêve ensemble.
— Ça tient debout, reconnus-je. Maud, comment avez-vous réussi à déceler tout cela ?
— Dès que je me suis réveillée ici, j'ai beaucoup réfléchi. Je ne t'ai pas appelée tout de suite. Et c'était l'hypothèse qui m'a semblé la plus rationnelle. Mais attention, je ne suis pas certaine de ce que j'avance. En revanche, si c'est bien le cas, je ne sais toujours pas comment on va s'en sortir...
— En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut plus jouer le rêve comme une réalité, concédai-je. Maintenant que nous sommes toutes les deux au courant, impossible de réagir naturellement, comme si de rien n'était.
— C'est vrai. »
Il y eut un bref silence. J'en profitai pour réfléchir à une solution. Au bout de quelques minutes, une idée me traversa l'esprit.
« Maud, j'ai peut-être une solution. Mais je vous préviens, c'est très risqué.
— Propose toujours, au point où on en est, me sourit-elle.
— Avez-vous déjà vu le film Inception ? lui demandai-je.
— Non, jamais entendu parler. »
Je me sentis stupide. Bien sûr que Maud ne connaissait pas, le film date des années 2000.
« Excusez-moi, j'avais oublié qu'on ne vivait pas à la même époque, lui répondis-je, embarrassée.
— Ne t'en fais pas, même si je vivais au 21e siècle je ne connaîtrais sûrement pas, rit-elle. La culture cinématographique et moi... du moment que ça n'est pas en rapport avec la politique, ça ne m'intéresse pas trop. Mais dis-moi tout de même ce que tu proposes, m'encouragea-t-elle.
— Alors, dans ce film, des personnes sont continuellement dans un rêve. Et, pour en sortir, elles doivent accomplir quelque chose de particulier.
— Quoi donc ?
— Se tuer. »
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