Chapitre 5

J'étais tétanisée. Et c'est peu dire.

« Alice, c'est bien ça ? m'a demandé le deuxième homme.

— Euh, oui, bredouillai-je.

— Ok, Alice. Voilà ce qu'on va faire. Tu es en danger dans le monde extérieur, c'est pourquoi tu devras rester ici quelques jours. Mon collègue et moi même allons t'endormir pour que tu puisses te reposer. Je sais pertinemment que tu viens de traverser une passe difficile, surtout pour quelqu'un de ton âge. Il est important que tu saches que ce qui s'est passé pour toi hier, ce n'est que ton cerveau qui l'a imaginé. Tu étais en train de rêver, c'est souvent un effet secondaire du gaz que nous faisons inhaler pour la première nuit ici. Ne te laisse pas tourmenter par ces hallucinations, mais si je peux te donner un conseil, tu récupéreras plus vite si tu n'essaies pas de sortir du rêve. Vis-le comme si tu étais dans la vie réelle. Je sais que c'est difficile de nous faire confiance lorsque nous nous présentons à toi avec des masques, mais tu m'envoies navré, je ne peux t'en dire plus. Nous devons te protéger et t'éloigner du danger qui te guettes.

— Comment ça ? De quel danger parlez-vous ? le questionnai-je en retour.

— Désolé, Alice. Je ne peux rien dévoiler. Vas-y, endors-là », ordonna-t-il à son collègue.

Je hurlai et essayai de me débattre. Non mais c'est quoi cette histoire ? En l'espace de quelques secondes, toutes mes pensées s'emmêlèrent. Quelle était la bonne solution ? Que devais-je faire pour m'en sortir ?

D'un côté, je ne sentais pas les hommes devant moi, mais alors pas du tout. On était loin de devenir les meilleurs amis du monde, si je puis dire. D'un autre côté, ce que le deuxième avait évoqué tombait sous le sens, rationnellement. À part si j'étais une héroïne de science-fiction, le fait de retourner dans le passé en 2021 ne tenait pas debout. Je pouvais parfaitement avoir rêvé, mais dans ce cas j'ignore totalement comment mon subconscient à réussi à fabriquer un rêve de ce genre là. Peut-être que le gaz y était pour quelque chose, après tout...

J'en étais à mes réflexions quelque peu intenses lorsque je vis le deuxième homme s'approcher de moi, avec un appareil respiratoire. Je n'avais aucune porte de sortie. Je m'entendis hurler une dernière fois avant de me rendormir de nouveau.

Quoique, rendormir n'était pas tout à fait le mot exact. Je ne sentis même pas le temps s'écouler entre le moment à l'hôpital et celui où je rouvris les yeux dans la « réalité parallèle », si je peux l'appeler de cette manière. Chez Maud Jarte, plus clairement. J'étais au même endroit que la dernière fois, c'est-à-dire dans la chambre d'amis. Ce que j'aurai espéré voir ce matin à l'hôpital — enfin, si c'était bien le matin —, je l'avais devant moi. Les articles de presse étaient bel et bien accrochés sur le mur.

Je me sentis aussitôt rassurée. L'homme m'avait dit de vivre le rêve comme s'il était réel. Je ne voulais pas lui faire confiance. Je me tournais dans la couverture. Après tout, pensai-je, c'était sûrement ma seule carte de sortie. Si je fais bien tout comme ils le demandent, je pourrai peut-être finir ce cauchemar infernal au plus vite, et par la même occasion retrouver mes proches. Je regardais la pendule — les réveils à cadran dans les années 70 n'existaient malheureusement pas — il était exactement huit heures quarante-cinq.

Qu'est-ce qui montre que vous êtes dans un rêve ? Je me pinçais le bras. En effet, je ne ressentis rien. Je touchais les couvertures. En revanche, je sentais le tissu de celles-ci. Mais peut-être était-ce seulement le drap de l'hôpital que je touchais au même moment. C'est tout de même étrange, d'habitude je ne réfléchis pas autant dans mes rêves. Et les images sont un peu floues. Hors ici, tout était extrêmement net, jusqu'au petit décollage apparent du papier peint.

Je descendis les escaliers. Une odeur de crêpe envahit mes narines. Bizarre, ça aussi.

« Bien dormi ? me demanda Maud, les cheveux relevés, un sourire au lèvre. Je t'ai préparé un petit-déjeuner de roi ! Ou de reine, comme tu préfères.

— Merci, j'apprécie beaucoup, lui répondis-je, déterminée à jouer le rêve.

— Je t'en prie. Ce n'est pas souvent que je reçois du monde en ce moment. Mon mari est au chevet de ma belle-mère depuis déjà deux semaines, dont la mort se prépare à venir chercher. J'ai le sentiment qu'il ne reviendra pas de sitôt, soupira-t-elle.

— J'en suis désolée.

— Ne t'en fais pas. J'avais invité quelques amis une semaine auparavant, et ils viennent aujourd'hui. J'espère que ça ne te dérange pas, m'annonça-t-elle avec douceur.

— Oh non, aucun problème. En réalité, vous ne devriez même pas me demander mon avis », lui répondis-je en riant.

Elle rit en retour. Lorsqu'elle riait, ses yeux pétillaient et de petites rides se creusaient au coin de ses paupières. Comment mon cerveau avait-il pu inventer une femme aussi jolie ? Elle paraissait tellement authentique... Je déglutis difficilement ma crêpe.

***

Vers quinze heures, Maud s'impatientait. Nous avions passé la matinée à améliorer l'état de son jardin, et ses amis étaient censés arriver une heure plus tôt. Aucun d'eux ne décrochait au téléphone. Je sentis Maud stressée, et son anxiété était contagieuse. Une demi-heure plus tard, je proposai à Maud de sortir prendre l'air, voire d'aller chez ses amis pour vérifier que tout allait bien.

« Mais ils habitent chacun à plus de deux heures de route ! », s'exclama-t-elle, perdue. Vingt minutes plus tard, elle accepta, ne sachant que faire d'autre. Nous montâmes toutes deux dans sa voiture, et sortîmes du garage. La rue était vide. Même pas un skate-boarder. La neige avait fondue, laissant place à un ciel ensoleillé. Je savais, que, de nos jours, cette rue était très encombrée. À chaque fois que je venais chez Margot, c'est presque si je devais zigzaguer entre les personnes pour atteindre sa maison.

« Bizarre. D'habitude, il y a plein de monde, déclara tout de même Maud. Ils doivent être partis pour les vacances scolaires.

— À ce propos, je ne vous l'ai pas demandé plus tôt, mais nous sommes quel jour exactement ?, lui demandai-je, le cœur battant.

— Le 4 février, il me semble, me répondit-elle. Ou peut-être le 5, je ne suis plus sûre... »

Je n'osais pas lui demander l'année, de peur qu'elle me prenne pour une folle. Je devais donc me contenter du fait qu'on était en février.

Maud traversa la rue, et, de nouveau, tout était désert. Pourtant, il faisait beau temps. Nous arrivâmes à l'autoroute, et là, le fait qu'il n'y ait personne, c'était vraiment, vraiment pas normal.

« Je... qu'est-ce qu'il se passe ? balbutia Maud. Attends Alice, il faut que je descende quelques minutes pour respirer », me prévint-elle, la voix tremblante.

Elle arrêta la voiture. Je la regardai ouvrir la portière et descendre. Elle partit quelques mètres plus loin, hors de ma vue. Dix minutes plus tard, j'hésitai à descendre aussi. Avait-elle une encombre ? J'ouvris la portière, et poussai un cri d'effroi en mettant pied à terre. Maud était là, allongée sur le ventre, le front en sang, les yeux clos.

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