Chapitre 10
Un cri. Un cri profond, grave et aigu à la fois, qui semble venir de très loin derrière nous, mais qui en réalité sort de notre propre gorge.
De l'eau. De l'eau salée, âpre, au même goût étrange qu'un médicament dissous, mais qui s'avèrent dévaler de nos joues et dont nos yeux sont la source.
Une douleur. Une douleur au cœur, se répandant entièrement dans notre corps, tel le sang qui afflue dans nos veines. Un mal de crâne après avoir trop réfléchi sur un exercice de maths. Un mal de jambes après avoir trop couru en EPS, ou au contraire après être resté trop longtemps assis sur la chaise bancale du cours de français. Un mal de respiration, après être resté en apnée trop longtemps sous l'eau de la piscine municipale. Un mal de gorge après avoir trop crié, hurlé, braillé. Un mal de paupières après avoir trop pleuré.
« SORTEZ-MOI DE LÀ NOM DE DIEU ! »
Un hurlement. Violent. Féroce.
Le mien.
Les deux infirmiers se tournèrent à l'unisson de mon côté, l'un les sourcils froncés, l'autre les yeux écarquillés. Je me débattais furieusement, en vain. J'étais littéralement accrochée à mon lit d'hôpital, des menottes sur les poignets, sur les chevilles, sans parler des fils semblant relier mon cerveau à la machine.
Le premier infirmier s'approcha lentement de moi. Une distance de deux mètres devaient nous séparer, mais il prit pourtant son temps avant de m'adresser la parole.
« Alice ? finit-il par demander – trop – calmement.
— C'est moi, répondis-je d'une voix un peu moins posée que la sienne. Eh ben voilà, vous savez qui je suis, on commence sur de bonnes bases. Maintenant il va falloir m'expliquer pourquoi je suis ici.
— Alice, répéta l'homme. Repose-toi.
— Que je... QUOI ?! Il n'en est pas question ! J'ai assez dormi, rêvé, cauchemardé, appelez ça comme vous voulez, pour... me reposer !
— Elle n'a pas les idées claires, lâcha l'infirmière. Pique-là, chuchota-t-elle à son collègue.
— NON ! m'entendis-je crier. Je ne veux pas revivre tout ce que j'ai enduré depuis le début de ce truc... je ne sais même pas de quoi il s'agit réellement ! S'il vous plaît... priai-je d'une voix plaintive. Je ne demande que de simples explications... »
L'homme soupira en lançant un regard de biais vers la femme. Je vis qu'il hésitai. À coup sûr, je devais lui faire pitié, et je n'osai même pas savoir de quoi j'avais l'air à cet instant précis.
« Bon, je te laisse gérer sa crise, soupira l'infirmière. J'ai mieux à faire que de m'occuper de gamins qui savent que pleurnicher et poser des questions sans intérêt, ajouta-t-elle avant de quitter la chambre.
— C'est d'accord », annonça soudainement l'homme.
Je faillis sursauter de surprise. La douleur dans ma poitrine s'estompa un peu, mais mon cœur restait toujours aussi serré. Peut-être n'était-ce qu'un moyen de m'éloigner de mes questions, en me racontant une demi-vérité. Ou un demi-mensonge. Voire un mensonge tout court.
« Je ne vais rien te dévoiler », avoua-t-il aussitôt. Mes muscles se contractèrent, mais je n'eus pas le temps de riposter :
« Je vais t'amener quelqu'un qui pourra tout t'expliquer, continua-t-il. Tu n'as pas de raison de t'inquiéter, tu le connais bien.
— Qui est-ce ?
— Attends deux secondes que je l'appelle. »
Je n'eus presque pas le temps de cligner des yeux que l'homme était déjà sorti de la pièce. Une demi-minute plus tard, il entra de nouveau, prenant soin de refermer la porte derrière lui.
« La personne que tu dois voir attend juste derrière. Ne te laisse pas prendre de court par ses blessures. »
Pardon ? C'est censé dire quoi, ça ?
Je n'eus pas le temps de réfléchir longtemps à la question. L'autre personne qui venait d'entrer était, en effet, couverte de blessures. Pas seulement sur le corps, mais aussi sur son visage, son cou, ses épaules. Des hématomes, des plaques rouges, du sang séché, des cicatrices. Je faillis retenir un cri. Parce que, même défiguré, je saurai sans peine reconnaître la personne en face de moi.
« Papa ? »
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