Comprendre le présent pour voir le passé

  Nous réglâmes l'addition et sortîmes du Made In. Dehors, les immeubles aux petits balconnets étroits et aux volets pastel nous faisaient de l'ombre. Les briquettes roses étaient partout, c'était la marque de fabrique de Toulouse, la ville rose.

  Je fis d'ailleurs remarquer à Henri la belle transformation architecturale de la ville entre 1980 et 2018. Il déclara alors qu'elle était justifiée par les moyens mis en œuvre depuis quelques dizaines d'années par la municipalité pour rénover les quartiers défavorisés et en mauvais état. Cela avait pour objectif d'attirer de nouveau les catégories de population aisées en centre-ville, alors qu'elles s'en étaient éloignées à cause des bâtiments abîmés, du bruit et de la pollution dans les années 70. En les logeant ici, le commerce s'est développé localement dont ces petites friperies implantées tout le long de la rue. C'était le même cas de figure pour la rue d'Alsace Lorraine ou la rue Bayard par exemple.

  Après ces grands travaux de rénovation urbaine, les habitants de classe défavorisée n'avaient plus les moyens de vivre en centre-ville alors ils se sont déplacés vers la périphérie, bientôt remplacées par des individus de classe favorisée.

  - C'est ce qu'on appelle la gentrification urbaine, ou encore l'embourgeoisement, conclut Henri.

  Son récit me permettait de mieux comprendre l'époque à laquelle je vivais actuellement et de me sentir ainsi moins déboussolé.

  Un panneau publicitaire était accroché sur un mur non loin de nous. L'image m'intriguait. Une jeune femme brune était accroupie sur un skateboard, les bras tendus et le regard tourné vers l'horizon. Elle portait un jean patte d'éléphant ainsi que des Nike Cortez. Ces chaussures sorties en 1972 à mes 19 ans étaient l'un des premiers modèles de la marque. Je me souvenais surtout de les avoir vues aux pieds de Farrah Fawcett, célèbre actrice américaine ayant joué dans Drôles de dames.

  Le plus étonnant était que la publicité ressemblait trait pour trait à celle de l'époque de cette actrice mais avec une autre célébrité. D'après l'encadré elle se nommait Bella Hadid. Qui était-elle ? J'ignorais également que les publicitaires actuels s'inspiraient aussi du passé dans le monde de la photographie.

  La rue se remplissait peu à peu de passants de tout âge. Un jeune accompagné de ses amis portait d'ailleurs un pull avec la fameuse affiche du film Les dents de la mer, sorti en 1975. Je me rappelais l'angoisse que j'avais ressentie en visionnant ce long-métrage ; le requin était gigantesque ! Apparemment, le domaine cinématographique était lui aussi fortement utilisé par les industriels pour vendre des vêtements, tout comme la musique. Comme quoi, le Vintage était vendeur.

  Nous marchâmes lentement compte tenu de la jambe boiteuse de mon ancien collègue. Ce fut à ce moment que mon regard se posa sur la vitrine d'une friperie. Des mannequins y trônaient et présentaient les produits proposés en magasin. La boutique se nommait Jet-Rag Vintage. Henri m'invita à entrer, ce que nous fîmes.

  L'intérieur était submergé de vêtements, aucun espace n'était inoccupé. À droite de l'entrée se trouvait le comptoir où une jeune vendeuse attendait la venue de clients. Elle nous sourit aimablement.

  Tandis qu'Henri se promenait dans le magasin, je vins à la rencontre de la vendeuse. Après l'avoir saluée, je lui demandai alors si son commerce fonctionnait autant qu'elle le souhaitait.

  - Mieux que nous puissions le souhaiter ! s'exclama-t-elle. Depuis une dizaine d'années environ, il y a une certaine effervescence pour tout ce qui est Vintage.

  - Et pourquoi cela ?

  - Je pense que nos clients viennent s'acheter des fripes dans le but d'exprimer leur ras-le-bol pour la surconsommation. Aussi, ils veulent des articles qui durent plus longtemps, contrairement à ce que peuvent proposer des marques vendant du neuf. C'est donc une question de rentabilité sur le long terme pour le client. C'est tout simplement pratique et logique, expliqua-t-elle.

  Ses explications coïncidaient bien avec celles de mon ami. Les clients sont plus soucieux de leur consommation face à des vendeurs dont les productions proviennent principalement d'Asie. Henri m'avait exposé la situation actuelle du marché et cela m'avait beaucoup surpris ; j'aurais pensé qu'avec le temps, l'industrie française se serait fortement développée et aurait convaincue la majorité des français. Au contraire, les importations depuis la Chine se faisaient de plus en plus nombreuses.

  - C'est vrai que, de ce point de vue, acheter des fripes paraît logique. C'est une forme de recyclage, ajoutai-je.

  - Exactement, acquiesça la vendeuse. C'est également une manière de favoriser le commerce local et de lutter contre la délocalisation des entreprises qui vise à réduire au maximum les coûts de main-d'œuvre.

  - Effectivement. Et quel type de clientèle fréquente des friperies comme la vôtre ?

  - Nos clients ont tous les âges. Il y a des jeunes et aussi des moins jeunes, ria-t-elle. Toutes les générations se sentent impliquées dans ce phénomène.

  - C'est donc rentable pour vous ? Les entreprises qui vendent du neuf en s'inspirant du vieux ne vous font pas un peu d'ombre ? l'interrogeai-je, curieux.

  - Absolument pas ! Il ne s'agit pas du même marché en réalité. Nous proposons des biens qui ont du vécu et en bon état tandis qu'eux vendent des produits tous droits sortis de l'usine et importés depuis le monde entier. Les coupes des vêtements ne sont pas tout à fait les mêmes aussi. Il n'y a donc pas vraiment de concurrence.

  La vendeuse ajouta que, grâce à l'effervescence pour le Vintage depuis quelques années, la fripe était de plus en plus prisée. La rentabilité était donc évidemment au rendez-vous. Selon ses dires, la qualité du produit était différente. Celle-ci se voyait particulièrement sur le jean ; ceux d'antan étaient bien plus épais et donc résistants par rapport aux neufs. Les clients préfèrent alors se procurer des vêtements qui dureront plus longtemps plutôt que d'en acheter à longueur d'année à des prix élevés pour une qualité médiocre.

  Mon interlocutrice se répétait. Nous décidâmes donc de quitter les lieux, non sans avoir acheté une paire de lunettes de soleil sympathique.

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