Tomber dans l'oubli
Addis
Rockalia !
Mon cœur a bondi aussi violemment que ces couverts répandus au sol lorsque je l’ai vu la première fois. Ce n’était pas à la supérette de sa tante, comme elle le croit ; mais bien au restaurant-bar de sa mère où elle chantait tous les weekends. Je m’en rappelle comme si c’était le jour d’avant. Normal, j’ai chaque jour la même sensation lorsque je pense à elle. Émerveillé, je peine à respirer, ému par quelque chose qui me dépasse.
Oui, qui me dépasse, car ça va bien au-delà de sa magnifique voix en même temps exaltante et lénifiante, ou de son physique de rêve, ou même de son ardeur à ces heures où la passion, tel un feu infernal, vorace et prompt dans la tourmente, nous a fait cendres dans le passé pendant trois jours. Trois jours à la fois éternels et si brefs, qu’y repenser me donne envie de chialer comme un bébé sevré très tôt, brusquement.
Je suis rentré de la Nova différent.
Je n’ai pas connu beaucoup de femmes dans ma vie. Une seule ––Nicole pour être plus exact––, et le ciel m’en ai témoin, je l’ai aimé, autant dans la chasteté que dans l’impiété, pourtant pas un seul jour je n’ai éprouvé auprès d’elle tout ce que j’ai découvert à la seconde où j’ai posé mes yeux sur Rockalili ––ma douce et si belle fleur épineuse, si belle...
Mais hélas, il est trop tard pour moi à présent. J’ai trop hésité, elle a fini par m’oublier. Je l’ai ignoré, elle m’a effacé.
Quoi de plus légitime ? Pourtant je ne m’y résous pas. Et Dieu sait que j’essaie. Parce qu’elle me l’a demandé. Parce que j’ai conscience de mes péchés. Parce que je l’aime suffisamment pour la laisser trouver le bonheur auprès d’un autre, comme mon père me l’a appris, même si c’est chaque jour un peu plus difficile… Et le pire reste à venir (ah ! si seulement le ciel voulait m’en garder !) avec l’ajout de Jared à l’équation.
–– Elle est folle, pleure Nicky lovée contre moi, parfaitement conscience que je n’y tiens pas. J’essayais simplement de l’aider, lui expliquer qu’avec son nouveau statut, elle ne pouvait plus se permettre de vivre comme avant. Elle n’a rien voulu entendre. J’ai eu si peur, elle allait me frapper.
Il faudrait que je sois le dernier des idiots pour croire à de pareils mensonges. Je ne connais pas plus faiblarde que mon inconnue R. Je la compare souvent à un couteau certes, aussi tranchante sur un bord qu’elle peut être émoussée sur l’autre, mais ses compétences manuelles ne sont jamais entrées dans ce rapport.
–– Rockalia n’est pas comme ça, calme-toi.
Elle se garde de me faire une scène ici, ce n’est qu’un report. Plus tard chez nous, je n’y échapperai pas.
–– Calme-toi Nicole, poursuis Billy en tapotant le dos de cette dernière. Je vais arranger ça.
Son regard sur moi est le même depuis quelques temps. Suspicieux, analyste, interrogateur. Je ne suis pas le même depuis qu’elle est là, il n’est pas difficile de deviner qu’il y a anguille sous roche, et lui me connait comme personne. J’ai essayé de lui en parler à plusieurs reprises, je n’ai cependant pas réussi, c’est plus difficile que je ne le pensais…
Bonté divine, c’est sa fille ! Je me suis comporté comme le pire des salopards avec elle, et contrairement à tout ce que cette dernière s’imagine, Billy l’aime de tout son être.
–– J’espère Billy, s’entête la mère de mon fils. Ça ne peut pas continuer, elle s’en prend à tout le monde.
Inquiet, l’homme fronce les sourcils, pendant que ses lèvres s’allongent et s’arquent pour souligner sa peine.
–– Tu as raison, je vais la voir.
–– Laisse-moi lui parler avant oncle.
Sur ce, les sanglots de Nicole s’apaisent, ses mains desserrent leur prise et sa tête recule pour avoir la mienne en ligne de mire. Elle me blâmerait non pas seulement de ses yeux, si elle ne tenait pas autant à sauver les apparences. Je ne peux que me demander, jusqu’à quand ? Il faudra bien finir par accepter la vérité telle qu’elle est, aussi cruelle soit-elle dans notre situation, comme dans beaucoup d’autres, peu importe que j’en sois peu fière et elle, trop blessée.
–– D’accord, mais après je veux te voir dans mon bureau mon garçon. Il faut qu’on parle toi et moi.
Juste à cet instant mon regard étonné rencontre celui rassurant de Tiphaine. Et même s’il ne parvient pas à me tranquilliser dans les faits, le flux de mes pensées s’en trouve néanmoins ralenti.
–– Viens Nicole, l’appelle la femme de la maison, les filles sont à la crèche dehors. Si on tarde, elles vont s’inquiéter.
Pressé de rejoindre Rockalia, je les abandonne à leur conversation, esquive Kyo, Blair, Mike et Jared restés sur le seuil de porte à observer le spectacle tout en se chuchotant des commentaires entre eux.
–– Est-ce qu’elle va bien ? s’enquiert Jared à mes trousses, réellement anxieux je le sais, mais agaçant quand-même. Tu vas où comme ça ?
Irritant au quadruple, de par ce caractère hypocrite que je lui ai récemment découvert.
Jared était pour moi ce frère que je n’ai jamais eu biologiquement. Nous avions beau être un trio, lui et moi c’était différent, c’était plus soudé. Il m’a de nombreuses fois ramassé la petite cuillère. Orphelin de mère comme moi, nous avions plus de facilité à nous comprendre. Nous partagions la même douleur, le même manque, ça effaçait tout le reste. À mes yeux, la paire que nous formions prévalait au-dessus de tout, et Mike en a souvent souffert.
Aujourd’hui nous ne sommes plus des frères rivaux. Pas que nous ne l’étions pas dans le passé… la compétition a rythmé notre adolescence, comme l’a fait le sexe et la drogue pour d’autres. Lui et moi avons toujours eu ça en commun. Vouloir être les meilleurs en tout, les gagnants… être excellents, et très vite il a été question d’obtenir les faveurs d’une femme, et là tout a capoté.
Fin du fairplay…
J’en parle comme s’il était possible d’arbitrer des sentiments, alors que je suis le mieux placé pour comprendre qu’en amour, un carton rouge ne suffit pas toujours à nous arracher du jeu. Il y a ces personnes qu’on aime malgré nous, qu’on aimera tant qu’on porte un cœur dans notre poitrine… Il y a ces gens par qui nous ressuscitons, ces gens par qui le sang entre nos veines pulse, et qui nous maintiennent donc debout.
–– Reste loin d’elle Jared. Je t’aurais prévenu.
–– Tu ne m’interdis rien mon pote. Je fais ce que je veux. Et ce que je veux, c’est me la…
Il ne termine jamais sa phrase, gémit plutôt contre le mur, où je l’ai propulsé comme l’excellent quaterback que j’ai été à la fac et dont j’ai gardé les réflexes. Je ne devrais pourtant pas, je suis exactement en train de réagir comme il le souhaite ; mais j’ai beau le savoir, rien n’y fait. La seule idée qu’il soit autorisé à poser ses sales pattes sur elle me rend malade. Fou de cette rage que je suis de moins en moins apte à contenir.
Si j’avais appris pour ces stupides cours de danse à l’avance, j’aurais tout fait pour que jamais Billy ne confie sa fille à ce profiteur, quoiqu’en réalité, cela n’aurait rien changé…
Il l’a dans le viseur, il veut me frapper le cœur.
–– Lâche-moi enfoiré, peste-t-il entre les dents.
Oh, on est encore soucieux de sa dignité ! En effet, ce ne serait pas très avantageux pour lui d’être vue par quiconque dans cette position de faiblesse. Il est si pompeux…
–– Fiche lui la paix Jared.
–– Sinon quoi ? s’amuse-t-il malgré la douleur qui lui froisse le faciès. Tu es bien conscient que si la demoiselle me réclame, ce qui risque très probablement de se produire, je ne pourrai pas lui dire non. Tu me connais.
–– Ne joue pas à ça avec moi. Tu restes loin d’elle !
Il piaffe, non sans arrêter d’essayer d’éloigner mes poings de son col.
–– Tu t’agites pour rien mon pote. La demoiselle t’a déjà oublié. C’est une grande fille, et les grandes filles ça ne reste pas à pleurnicher pour un mec. Tu sais ce qu’elle m’a dit l’autre jour ? Que tu n’as été qu’une passade pour elle, alors lâche l’affaire, elle est avec moi maintenant.
Une onde désastreuse me monte à la tête, allumant sur son passage des flammes sataniques. Il a toujours su comment y faire sur ce plan-là. Maitre dans l’art de la provocation, il me ratatine à chaque fois. Doublement à cet instant parce qu’au fond de moi, je sais que contrairement aux fois précédentes, il ne s’agit pas d’esbroufe. Je l’ai réellement perdu. Dans ses yeux s’est éteinte cette lueur qui pour moi a brillé un jour, plus intensément que le soleil au zénith…
Le soir de nos retrouvailles, a aussi été celui de notre rupture. Dans les yeux de ma belle inconnue, il n’y a plus qu’un immense iceberg, le soleil a gelé.
–– Tais toi !
Il manque de peu mon poing sur sa figure, grâce à l’arrivée inopportune de Kyo.
–– Tout va bien les garçons ?
–– Cinq sur cinq, scande ce serpent, heureux d’avoir retrouvé sa motricité et ses maigres restes de fierté.
Je suis trop en colère pour donner une réponse convenable à l’amie de Rockalia qui n’est en rien responsable de mon humeur boiteuse, c’est pourquoi je reprends mon chemin sans même un regard vers cette dernière. Elle va définitivement me classer dans la catégorie des antipathiques après ça, compte tenu des coups d’œil appuyés auxquels j’ai droit à chacune de nos rencontres. Coups d’œil qui je suppose, ont tout à voir (et Dieu sait qu’elle a raison) avec la muflerie et la lâcheté dont j’ai fait preuve, vis-à-vis de son amie.
Pour autant je n’abandonne pas l’espoir d’obtenir un jour la possibilité de pouvoir m’expliquer auprès de tous… d’elle surtout, même si je ne la mérite pas.
Je ne me suis pas remis de mes émotions malgré la distance parcourue. Une bien longue, vue que j’ai finalement décliné l’ascenseur. Je pourrais affirmer que je n’étais qu’en quête d’accalmie en le faisant, mais rien ne sert de me mentir à moi-même. J’ai peur de l’affronter. Honte aussi. Terriblement. Faire face à l’expression d’indifférence qu’elle affiche désormais en ma présence, me donne l’impression d’être en équilibre, sur la rambarde d’un pont, à presque rien de la chute libre.
Les abysses, je les côtoie dans ses iris vides, et j’en ai la nausée… Ne plus importer pour elle est comme tomber dans l’oubli, et concrètement, en moi quelque chose s’évanoui.
J’en suis fébrile, retourné au point de grelotter d’appréhension, impuissant face à la suffocation, malheureux comme un sans-abris (qui dit que je ne le suis d’ailleurs pas ?), agonisant de cette sensation d’avoir le cœur criblé d’aiguilles. Je me suis adossé un instant à sa porte pour implorer la clémence du ciel. Des forces il m’en faut pour supporter le fruit de mes erreurs.
–– Entrez, me parvient faiblement sa voix, au premier heurt que je porte contre le bois.
Ce que je fais avec prudence… Non, ce n’est pas juste de la timidité. Je n’ai pas seulement des défauts, comme les sept milliards d’habitants dans le monde, j’ai aussi des insécurités. Et l’une d’elle est d’assumer les conséquences de mes actes. Comment ne pas, quand l’une d’elles implique de tirer un trait définitif sur elle… sur nous ?
Oui, nous. Je ne lui ai pas menti ce matin-là, aussi troublé étais-je, parce que tourmenté par les mensonges ; parce que dégoûté par l’homme que j’ai choisi d’être cet été-là. Non, je ne nierai pas, j’avais en idée de me taper toutes les filles qui auraient eu le malheur de croiser sur mon chemin lorsque je me suis rendu dans sa ville. Il est vrai aussi que je ne souhaitais passer qu’une nuit avec elle, au départ, mais… mais tout a changé, je ne saurais dire quand ni comment.
C’était peut-être pendant qu’elle me chantait cette chanson de Céline Dion à l’arrière de cette calèche ou quand elle m’a dit en français « tu es beau comme un dieu » avant le premier baiser le plus électrisant de ma vie, ou lorsqu’elle a ri aux larmes de ma mésaventure d’adolescent avec les clés de voiture de mon père, ou alors le lendemain de notre première nuit, lorsque je me suis réveillé avec ses poings solidement refermés sur mon abdomen ; comme si inconsciemment, elle avait peur que je lui file entre les doigts, je sais pas mais… mais tout a changé.
Après m’avoir fait visité le quartier français le soir nous avons échangé nos numéros de téléphone, elle s’est offerte à moi sans garantie, de façon désintéressée, et non, je n’ai pas vu en elle la fille facile qu’elle croit être devenue par ma faute. Pas une seule fois je ne l’ai vue de cette façon. Rockalia n’en a pas conscience, cependant elle est d’une sincérité bouleversante qui peut également s’avérer effrayante. Aussi cela ne m’a pris que quelques minutes pour l’entendre et la comprendre…
Je le jure, j’allais revenir pour lui donner tout cet amour qu’elle ne m’a peut-être pas demandé, mais dont elle avait cruellement besoin. Au moins pour me racheter de mes fautes, ai-je voulu me convaincre à ce moment-là, mais le temps s’est chargé de m’apprendre qu’à mon insu, mon cœur s’était engagé, avait cédé, était tombé, m’avait échappé… Qu’il était resté battre dans sa poitrine à elle. C’était cependant sans compter les imprévus de la vie…
Et elle qui ne voulait pourtant rien me demander, s’est retrouvé à espérer…
–– C’est moi.
–– Notre odeur nous porte, comme la musique nous raconte, me cite-t-elle à peu près, immobile devant la baie vitrée via laquelle elle peut admirer des morceaux du ciel et du jardin. Je sais que c’est toi. Qu’est-ce tu veux ?
–– Je ne me rappelle pas l’avoir dit aussi joliment, tenté-je de décanter la tension, et grâce à Dieu ça fonctionne.
–– Bien entendu, confirme cette dernière en croisant les bras. Mais je suis encore la plus futée des deux. Mieux c’est dit, mieux ça se comprend. Je t’ai facilité la vie en condensant tes longs discours. Tu devrais me remercier jeune homme.
L’espace d’une seconde, elle et moi remontons le temps, refaisons le monde, évinçons les rancœurs et les peurs… Nous rions de la même chose, après tant de mois.
Ses épaules tressautent, entraine la turgescence arrière de ses hanches larges dans le mouvement. J’en ai la bouche pleine de salive, la verge dure, fiévreuse et dressée. Je n’ai qu’un mot en tête, face à ce corps sculptural, cette beauté scandaleuse : parfaite. Mon palpitant se satisfait du souvenir de ses iris de miel scintillant comme de l’or au soleil, autant que de la vue merveilleuse de ses courbes pulpeuses moulées dans cette robe que je rêve (Dieu sait que je pourrais tuer pour) de lui enlever. Rockalia devrait rire tous les jours, le rendu est chaque fois on ne peut plus, sensationnel.
Mes mains me démangent d’une douloureuse envie de la toucher, qu’il faut réprimer pour ne pas la fâcher. Je ne suis plus en terrain conquis, elle me l’a clairement fait savoir à plusieurs reprises. Néanmoins, j’avance vers elle, hypnotisé par sa silhouette de sablier, avide de cette odeur de lilas prédominant sur toutes les autres essences naturelles et chimiques émanant d’elle.
–– Tu vas bien ?
Elle exhale un sourire, il est aussi lourd de résignation qu’il est laconique de ce besoin impératif qu’elle éprouve, de se couper du monde extérieur. Elle ne me permet peut-être pas de la suivre dans les tranchées obscures de son esprit, il n’empêche qu’avec elle, je sombre sous le poids énorme de ce chagrin dont elle ne sait toujours pas se débarrasser.
–– Je regarde le ciel. Tu vois même les étoiles finissent par mourir un jour, alors qui suis-je, moi ? J’ai connu pire ne t’en fais pas. Tu peux aller dire à ton père que sa fille indigne va bien.
–– Arrête Rockalia, m’agacé-je bien que chagriné par toute cette situation. Tu en as déjà assez fait, alors arrête toi. Tous les deux on sait que tu as mieux à offrir. Énormément d’amour à donner à tout ce monde qui t’en demande.
J’en suis la preuve vivante. Autant ses colères peuvent être tempétueuses, autant elle aime avec ardeur. Elle m’a donné de cet amour, toute la douceur, l’innocence et la compassion dont elle est capable, et ça a été comme revenir à la vie.
–– Enormément d’amour à donner, ricane-t-elle, malgré sa voix brisée, avant de se retourner avec vivacité. Toi arrête Addis, tu ne sais rien de moi.
Bras croisés, son visage luit sous les lumières blanches qui illuminent sa chambre. Un fend-le-cœur ! Elle me le broie, mon cœur…
Arrgh, et puis au diable les restrictions ! En deux enjambées, je presse enfin ses épaules entre mes grandes paluches. Le rêve, quel soulagement ! Une bouffée de sa précieuse odeur, et mon palpitant tremble sous l’intensité d’une onde d’électrochoc, qui le perce comme une météorite déchire le ciel. Tout pourrait être encore plus euphorisant si seulement elle voulait bien me laisser sécher ses larmes, l’embrasser et l’aimer de toute mon âme… mais nous en sommes malheureusement encore loin, elle me le prouve en détournant le regard.
–– Ce n’est pas l’impression que me donne mon cœur quand je te regarde Rockalia. Pourquoi crois-tu que ça a tout de suite collé entre nous ? Depuis la première seconde, je porte en moi cette sensation de t’avoir dans le sang, d’avoir mon cœur plaqué contre ton cœur Rockalia, je… c’est comme si nous avions vécu tous les deux une centaine d’années, à une autre époque. Ou alors, ces trois jours ont résonné ici dans ma poitrine comme ma vie entière. Et si je me trompe, dans ce cas, permets-moi d’apprendre. Apprends-moi à t’aimer Rockalili.
C’est un murmure rouillé en apparence, c’est un cri de misérable dans le fond… comme pour dire : « sauve-moi de moi-même mon amour ; aime-moi juste un peu, encore une fois. Accorde-moi une dernière chance. »
Lentement elle redirige son attention sur ma personne, et dans ses yeux d’une beauté sans pareil, brûle tout le feu de la passion qui nous a animés et qui je l’espère, a entretenu le foyer de nos espoirs : celui d’un futur foyer avec elle.
Sauf que les espoirs ne viennent que très rarement tous seuls. À leur suite accourent plus souvent, déceptions et désillusions. Nous le savons tous les deux. Elle les a subis toute sa vie, moi je les lui ai imposés pour la deuxième fois. C’est pour ça que l’obscurité fini par gagner face aux lumières dans ses prunelles et qu’à nouveau la répugnance lui monte aux lèvres.
Mon inconnue R recule, tout bascule. En moi, en elle. L’orage va frapper, elle va me balafrer, et tout sera mérité, mais je ne me résous pas à l’accepter.
–– Tu ne sais rien de moi ! glapit cette dernière, les bras grands-ouverts, comme pour mieux se présenter à moi. Si c’était le cas, tu aurais compris ce matin-là, que j’aurais passé toute ma vie à t’attendre. Je serais resté à faire l’idiote pendant que toi tu te donnais à elle. Tu m’as fait des promesses, et je suis restée comme ce bateau figé par des amarres à espérer le retour de son propriétaire, celui qui donnerait à nouveau l’ordre de lever l’ancre. Des nuits d’angoisses, de questionnements, de remises en questions, de prières… s’étrangle-t-elle en se couvrant la bouche, l’air dépassée par un fait dont elle vient à peine de prendre conscience.
Le regard exorbité, elle examine sans raison précise le sol. Peut-être est-elle finalement en train de retrouver la raison, et tourner le dos à la passion qui malgré elle continue à la hanter autant qu’elle me dévore avec le temps qui passe.
J’ai peur, j’ai mal au cœur, et ce n’est pas le plus tragique si je pleure.
–– J’ai pleuré des rivières pour toi. Chaque jour était un coup de lame sur mon cœur qui prenait froid de secondes en secondes. Qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour qu’aucun ne veuille de moi ? me suis-je si souvent demandé en regardant mon téléphone qui sonnait toujours pas, gémit Rockalia entre deux reniflements inutiles face à ses coulées nasales qui abondent. Et quand au final le temps vient pour moi de me libérer, poursuit-elle plus vindicative, comme si le reste n’avait pas suffi, maintenant tu veux foutre le feu à la baraque, hein ?
La gorge nouée par le poids saumâtre et pesant de ma culpabilité, je n’ai plus de mots à la bouche. Même mon cœur se trouve stupide de n’être réduit qu’à cette simple parole, qui en plus de me paraître ridicule m’apparaît à présent, sonne comme une insulte face à ses irritations, ses rancunes, ses frayeurs, toutes légitimes.
Pardon ne suffira pas, n’effacera pas, ne réparera pas.
Prostré de douleur, couard et honteux, mon cerveau me coupe de la réalité… une piètre erreur que ma belle inconnue ne se retient pas de me faire savoir.
–– Répond-moi ! hurle-t-elle, pliée en deux, avant de foncer sur moi telle une furie pour me secouer de toutes ses forces. Étaient-elles si horribles que ça, les heures passées ensembles ? Ai-je été si mauvaise envers toi ? Suis-je si minable que ça ?
Les réponses sont : non, non et non, mais le lui dire ne changera rien alors je garde le silence. Il me condamne je le sais. S’il m’enfonce, ce n’est que de bonne guerre.
–– Pourquoi tu m’as fait tant de mal ? Je ne t’aurais pas détesté si tu avais dit non ce jour-là. Et puis, qu’est-ce que ça aurait changé, si même je l’avais fait ? Nous ne nous serions pas revus, et je t’aurais oublié plus vite. Mais non, tu as dit d’accord. Tu as dit qu’on en parlerait par téléphone, et tu n’as jamais répondu. Tu n’as non plus rappelé, et un jour ça a cessé de passer. Tu devais m’avoir mis dans la liste noire, sourit-elle avec amertume de cette supposition qui n’est qu’à moitié juste. Et maintenant pourquoi reviens-tu vers moi, avec cet air de chien battu, tout en gardant cette lueur de concupiscence dans l’œil et cette trique entre tes jambes ? Tu espères quoi ?
Et là ses secousses commencent peu à peu à se transformer en caresses. Du col de ma veste à la lisière de ma ceinture, du bout des ongles, elle m’effleure. Ma respiration s’accélère, puis se fige lorsqu’elle agrippe la boucle du cordon de cuir, tête basculée en arrière pour ne rien rater des effets qu’elle me fait et me fera si elle s’entête dans sa folie. Une folie qu’une partie de moi ––cette partie minable, infestée par la cupidité et la peur–– approuverait totalement, en tout égoïsme. Cette partie de moi me donne envie de me vomir dessus, pour autant je ne la blâmerais pour rien au monde, avec une telle électricité dans le corps.
–– Rockalia… tenté-je de la raisonner, alors qu’encore indécis moi-même.
Égarée dans une dimension qui m’est hors d’atteinte, elle ne m’écoute plus. Commence à défaire la boucle.
–– Tu veux me baiser jusqu’à plus soif, n’est-ce pas ?
–– Rockalia, non ! me décidé-je finalement, en arrachant ses mains du morceau de cuir.
Elle n’insiste pas plus que ça, siffle entre les dents en me tournant le dos, puis marche d’un pas furibond vers la baie en se tenant la tête entre les mains. Ni elle ni moi ne l’entendons, mais il est tout aussi profond que le soulagement nuancé de regrets qu’il connote, ce soupir sourd que j’exhale, avant de me mordre le poignet à sang pour endiguer la souffrance ressentie à l’instant.
Une bien vaine initiative, car l’apaisement ne dure pas longtemps, quand les peines elles, montent en puissance. Rockalia revient à l’attaque en moins de temps qu’il ne m’en faut pour reprendre mes esprits.
–– Je devrais peut-être te laisser faire, je n’ai rien à perdre. Alors mets le feu, et regarde-moi brûler.
Sa robe s’échoue au sol, et mon cœur avec elle… Badaboum !
Il s’écrase mais n’arrête pas de battre. Même qu’il bat plus fort qu’avant. Fou, il me heurte la poitrine et m’ébranle le corps entier de ce désir bestial qu’elle seule sait éveiller en moi. Ce n’est pourtant pas le moment… Ici et maintenant, ce serait pour sûr le comble de l’indécence ; avec ma promise et mes enfants dans les parages, mais je ne suis qu’un homme. Pauvre pécheur, pèlerin infidèle, âme faible assoiffée d’amour, de chair, de sang… à la recherche d’un refuge et elle me l’offre… Probablement pas, car tout bien réfléchit, nous ne parlons pas du tout de son cœur, le trésor après lequel je coure, mais bien de son corps de déesse sublimé par de la lingerie en dentelle noire.
Non, je ne la veux pas de cette manière. Je veux être son unique, l’homme de sa vie, l’impulsion heureuse et excitante jaillissant de son cœur. Je veux obtenir son pardon, restaurer la confiance, faire taire ses inquiétudes… Comment le lui dire, sans qu’elle ne sente froissée ?
Voyant que je ne réagis pas, elle poursuit.
–– Elle a dit que personne ne veut de moi ici, et je sais que c’est vrai ; et ce n’est pas bien grave parce que mon cœur n’est pas plus plein que ça, mais dis-moi, est-ce vrai pour toi aussi ? (Une bretelle tombe, je déglutis en excès, au bord de la tachycardie) Je peux lire que non dans tes yeux, affirme à raison cette dernière en baissant la seconde bretelle de son soutif. Tu as envie de moi. Tu as même, très… très envie de moi, sourit-elle avec malice avant de se pourlécher la lippe inférieure, alors viens. Viens me chercher.
Son soutien tombe, j’ai le feu au couilles. Excédé, je serre mes paupières sans compassion aucune, ce qui la fait rire de plus belle. Un beau gâchis. Ridicule aussi. Ce corps, j’en connais les moindres recoins par cœur… Ou pas, après tout, les auréoles sombres et poreuses de ses seins possèdent toujours en leurs centres des pointes aiguisées ; mais leur galbe généreux m’a semblé avoir légèrement relâché. Quelque chose a changé… Quoi ? Aucune idée, et compte tenu de la situation, ni l’envie ni le temps de plancher sur le sujet ne sont à ma portée.
–– Rockalia, maugrée-je entre mes dents serrées. Reprends-toi pour l’amour de Dieu !
–– Allez viens, je sais que tu en as envie. Ou quoi, tu penses à elle ? Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ? Un gausse ?
–– Lili, s’il te plait.
–– Parce que si c’est à cause de ça, laisse-moi te dire que…
Elle ne m’écoute pas, et je ne saurai peut-être jamais si elle l’aurait fait, parce que le ciel lui m’exauce avant.
On toque à la porte. L’individu à l’autre bout, ne se doute pas une seconde que par le concours de la providence, il vient de l’extirper des voies destructrice et insensée de la vengeance, de m’épargner également d’avoir résoudre le dilemme cornélienne face auquel elle m’a placé ; mais certainement pas la lourdeur du fardeau de devoir vivre avec cette vérité sur la conscience, la raison de ma condamnation à mort :
Je l’ai détruite ––et accessoirement j’ai ruinée mon âme.
Peu importe le cas, c’est un supplice sans fond. Mérité pour ma part, injuste pour ma Rockalili ; car toute la honte, le chagrin, la misère et le désespoir logés dans ses iris d’or, m’appartiennent. C’est à moi de me cacher, pas à elle. C’est à moi de pleurer… c’est à moi de souffrir.
Agréable journée à tous. J'espère que vous apprécierez le chapitre. N'hésitez pas à vous signaler en commentaires.
Je vous dis sur ce, à très vite... À samedi.
Ciao ciao.
Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy
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