Premye Etap
Seattle le 12 Novembre 2019
–– Coucou ma belle, s’enthousiasme mon amie, les bras grands ouverts.
–– Bonjou bèl, m’amusé-je à lui répondre, juste pour voir sa tête. Mwen te manke ou.
Je suis surprise de ne pas la voir réagir tout de suite, mais m’abandonne néanmoins dans ce gros câlin réconfortant et chaleureux. C’est tout ça le super pouvoir de Kyo. Elle met en confiance pour la simple et bonne raison qu’elle n’a aucune réserve à se mettre en danger. Ça se voit tout de suite, on le ressent immédiatement. À sa façon d’étreindre, à l’audace dans son sourire, à l’aisance et à l’entrain dans ses paroles. Elle donne tout, mais pas seulement… elle donne surtout de bon cœur.
Là par exemple elle aurait pu être avec sa sœur qui, pour jouer la carte de la prévoyance et pallier à sa phobie du stress, s’est déjà plongée dans les préparatifs de Noël. Ça fait des années qu’elles ne se sont pas vues et j’aurais facilement compris, si elle lui avait donné la priorité, non seulement parce que notre amitié date d’une semaine à peine, mais également parce que mon expérience de la vie me permet de rester raisonnable.
–– Dis, tu ne m’as pas insulté, hein ?
Elle ne pense pas un mot de ses dires, nous ne serions pas en train d’en rigoler sur le trottoir sinon.
–– Non, mais tu viens de filer l’idée du siècle-là. Je pourrais désormais me montrer méchante avec mes hôtes sans les froisser.
Enfin, peut-être mon père, mais déjà à l’époque il ne maîtrisait pas très bien le créole, alors…
–– C’était donc du créole.
–– Oui, ma mère est de Haïti. Et tout à l’heure, j’ai dit : « Bonjour ma belle, tu m’as manquée. »
Elle feint d’être soulagée, soupire avec emphase, la main posée sur le cœur. Elle me pli en deux, tant elle est drôle. Et quand finalement elle reprend son sérieux, quelques mètres de route ont déjà été avalée, ce qui nous a conduit dans ce café pas très loin de chez elle, dans le quartier de University District. Il y a trois jours nous y étions en compagnie de Phaung, avant de poursuivre la visite vers Belltown et Downtown. Nous nous installons sur la terrasse d’un commun accord, encouragées par les prévisions météo, plutôt bonnes aujourd’hui. Du reste, de doux rayons de soleil nous le confirment depuis ce matin. Il fait beau à Seattle aujourd’hui.
–– Alors je te réponds, ngarlaee mainn ko lwnn hkaetaal. Tu m’as manqué aussi.
Une fille à la culture plus marquée que moi, s’emmène, scandaleuse tellement est belle avec son sourire ivoire et son visage en cœur, sublimé par sa tignasse crépue, qu’elle judicieusement choisi de dompter par un chignon haut. Celle-ci nous laisse premièrement sans voix avec son regard d’un bleu marin intense, puis prend nos commandes. Un milkshake à la banane pour moi, un café écrémé et un muffin au chocolat pour mon amie.
–– Je suis jalouse, se lance Kyo la première, une fois la déesse nubienne repartie. Elle est trop belle.
–– Et moi donc… Mais tu sais quoi, je vais croire ma mère et me considérer comme la plus belle créature au monde. Faire l’autruche quoi…
Elle me suit dans ma folle hilarité, un moment, avant de bifurquer vers des sujets plus basiques tels que ses impressions sur le nouvel environnement, la vie ici et certains de ses projets pour la suite. Elle a déjà commencé à chercher un travail à temps partiel pour pouvoir aider ses parents restés à Thota, et minimiser la charge qu’elle suppose être pour sa sœur qui prendra sur elle de l’héberger jusqu’à l’obtention de son diplôme. Je l’écoute attentivement, heureuse et déçue à la fois. C’est vrai, elle mérite toute les belles choses en prévisions, mais je devrai rentrer chez moi bientôt et ne serai de ce fait, ni à ses côtés pour les partager, ni elle au miens pour m’apporter ce soutien auquel je commence malgré moi à m’habituer. Finalement, j’ai encore fait vite de parler… elle aussi finira par s’envoler comme tous les autres.
–– Tu vas bien Rockéliya.
Et moi je ris. C’est ce qui se passe à chaque fois qu’elle dit mon nom. C’est beau, mais c’est étrange. Pas à cause de son accent. Je statuerai plus sur la question du rythme, une certaine cadence trainante et prograde … mais c’est beau, c’est juste différent, nouveau.
–– Oui Kyo. Et excuse-moi de rire, mais je pense à ma mère et me demande comment elle réagirait si elle t’entendait réduire à néant neuf mois de recherches acharnées.
–– Parce que ça lui a pris neuf mois pour te trouver un nom ?
–– Hun-hun, secoué-je la tête, les lèvres étirées et aplaties. Ça lui a pris neuf mois pour tirer au sort entre la trentaine qu’elle avait récolté pendant… l’univers sait combien d’années. Ses ancêtres aussi, peut-être, pouffé-je cette fois, l’index courbé au coin de ma bouche.
–– Toi tu ne dois pas beaucoup croire en la divinité.
–– Pas du tout en effet. À quoi ça sert, si je ne peux pas être vraie, au nom d’un ensemble de commandements que je dois respecter pour être dans les petits papiers d’un être qui n’est pas à même de m’épargner douleurs et ennuis ? Ma mère est déjà suffisamment oppressante comme ça, crois-moi. Tu ne peux pas être violente, tu ne peux pas être malpolie, tu ne peux pas haïr… et voilà, j’en suis réduit à celle qui se les prend à chaque fois. C’est moi qu’on blesse à chaque fois, sans que je ne puisse rien y faire, alors que j’en meure d’envie. C’est de l’hypocrisie. Mais j’aime ma mère tu vois… plus que tout au monde et c’est la dernière personne que voudrais décevoir. Alors voilà, je suis devenue une hypocrite moi aussi.
Quand j’ai fini, je me sens délestée d’un nouveau poids. Je n’ai de cesse de me surprendre moi-même depuis mon arrivée ici.
–– Ce n’est pas l’impression que j’ai eue pourtant, renchérit la brune avec un flegme céleste. Pour tout te dire, tout en toi n’est que transparence. Tu es tellement honnête… Je comprends que ça puisse en troubler un bon nombre.
Sans tenir compte de la réapparition de la serveuse, je balance le premier truc qui m’ait venu à l’esprit suite à son argumentation.
–– Attends, ce serait de ma faute en plus si je me fais aussi souvent prendre pour l’idiote de service ?
Ce qui n’était jusque-là qu’une flamme de lampe à huile, s’est transformé en feu de cheminée. Voilà, mes barrières cèdent. L’hypocrite mentionnée tout à l’heure connait la délivrance. Adieu ce sourire de circonstance entretenue depuis ce matin, alors que la plaie laissée par la récente flèche mortelle reçue en plein cœur au réveil, après être tombée sur ce magazine bon marché, est encore aussi fraîche.
–– Merci, se montre Kyo aimable pour deux, une fois le service effectué.
Je suis incapable de la moindre gentillesse à cet instant. Aussi, sous peine de me montrer grossière, je préfère la fermer… ou plutôt continuer à souffler sans manière, tel un taureau sur le point de charger.
–– Du calme Rockey, n’en finit-elle pas de m’achever. Tu m’as compris.
C’est quoi encore cette appellation ?
–– Ah ouais ?
–– Oui. Être gentil et suivre les règles ne nous épargne pas les vacheries de la vie. C’est d’abord un choix. C’est d’abord pour soi.
–– Et d’après toi, ça m’apporterait quoi de rester courtoise et polie maintenant que je viens d’apprendre que la découverte de mon existence par un journaliste insistant, est la seule raison pour laquelle je suis ici ?
Là je viens de lui boucher un coin. Et ce n’est pas plus mal. J’ai peur de ruiner notre amitié. Je le sais, je le sens, je pourrais me montrer sauvage si elle insiste à essayer de me raisonner. J’en veux au monde entier, j’en veux à la vie, je m’en veux surtout de ne pas être en mesure de passer outre tout ça, claquer la porte de cette maison à tout jamais, retourner dans les bras de ma mère et poursuivre ma vie comme si je n’avais jamais eu de père. Alors le minimum que j’attends, c’est qu’on me laisse me plaindre, à défaut d’obtenir gain de cause.
–– Je ne savais pas, compatie la birmane. Je suis désolée.
Une grimace embarrassée froisse ses lèvres, moi je reprends ma respiration, aère mon gosier et réprime mon envie de crier à l’injustice et celle de pleurer toutes eaux de mon corps ––comme si je ne l’avais pas déjà fait en redéposant cette revue à sa juste place, dans la poubelle du maître des lieux.
–– Ah, ça m’apprendra à fouiner, rigolé-je, même si le cœur n’y est pas.
Je me suis mise en tête de trouver par moi-même des réponses à mes questions. Je n’arrive à regarder aucun être humain de cette maison dans les yeux. Je les déteste tous je crois. Mon père le premier. Presque une semaine s’est écoulée, mais je ne me sens toujours pas la force de l’affronter. Donc je reste dans ma chambre lorsqu’ils sont là, et que je peux sortir ni pour rejoindre Kyo, ni pour faire un tour dans les parages toute seule. Ma cagnotte est limitée, et je ne veux rien lui devoir. Un toit, de l’eau et de la nourriture sont déjà bien assez suffisant, mais ça il l’a lui-même voulu.
Généralement je pointe le bout du nez dehors vers neuf heures. À cette heure-là, ils sont déjà tous à leurs occupations. La petite à l’école, la blonde en chef, mon père et la sœur assez snobe, au boulot. Le premier jour, j’ai juste fait une sorte de tour de propriétaire, histoire de faire saigner un peu plus mes yeux devant toute cette richesse indécente... Peut-être comparer aussi ma petite personne à tout ce luxe : les quatre piscines, le terrain de golf, la collection de voitures de sport, le spa privé, le mini aquarium, le planétarium, les huit salles de bain, le marbre précieux et velours qui abondent. Après tout, il m’a bien oublié pour ça non ?
Eh bah, aussi pathétique que cela puisse être, il y a encore peu, je gardais le maigre espoir d’avoir tort. Qu’il me donnerait une raison qui pèserait de son poids et atténuerait les élancements douloureux de mon cœur, dans tout mon corps. Mais pour me voiler la face, je me suis mise en tête qu’il essaierait de me mentir, de monter ma mère contre moi en me révélant des choses qu’elle ne m’a pas dit ––parce que je sais qu’il y en a des tonnes. C’est pour ça que j’ai entamé les fouilles le deuxième jour.
–– Mais j’ai tellement la haine si tu savais. J’ai envie de lui cracher à la figure, geins-je au final, et crois-moi je le ferai. J’ai accepté de le voir tout à l’heure. J’imagine que c’est pour me parler de cette fameuse fête de bienvenue dont j’ai entendu les employés parler à leur insu.
Je renifle, puis me sèche les joues.
–– Ce qu’il ne sait c’est qu’il n’y aura pas de fête ni rien d’autre, parce que je rentre chez moi. Mes réponses, je les ai enfin. Je n’ai plus rien à faire ici.
La main de Kyo rampe jusqu’à la mienne, s’y appose et m’offre une caresse, puis une étreinte lénifiante. Je hais la pitié dont suintent ses prunelles posées sur moi. Je honnis l’agressivité de ce besoin de réconfort coincé dans mon être. Mais celle que j’abhorre par-dessus tout, c’est moi. Moi et mes déficiences.
–– Je suis désolée mon amie. Je ne sais même pas quoi dire.
–– Ne dis rien, ce n’est pas ta faute. Puis il n’y a rien à dire de toute façon. Plus rien. Seulement, pour moi, ça suffit d’être douce, gentille et polie. Il m’a blessé, je vais en faire autant. Donc non, finalement, je ne rentre pas. Je vais me faire justice moi-même.
Elle s’apprête à m’en dissuader, lorsque mon téléphone se met à sonner. Il est tout près, m’apprend le message que j’ai tôt fait d’ouvrir, soulagée d’avoir été sauvée par le gong.
–– Je dois m’en aller. On se parle plus tard. D’ailleurs, autant te prévenir tout de suite, commence à chercher une robe de soirée. Tu seras mon invitée.
Deux bises rapides sur ses tempes suffisent à nous séparer aujourd’hui. Seule cause : je ne veux pas l’entendre essayer de me faire la morale. Pour ça, j’ai déjà Giselle. Je l’aurais appelé si j’en avais voulu.
J’arpente l’avenue marchande de University District, après m’être enfuie sans me retourner, sans même avoir ne serait-ce que goûté à ma boisson, au rythme des pulsations amères et haineuses de mon palpitant ––c’est-à-dire, furieusement et avec hâte. Si le bitume peut s’estimer heureux de se prendre des coups de gommes de mes baskets, au lieu de ceux des talons que j’ai premièrement hésité à mettre ce matin, mes poumons eux ne peuvent en dire autant. J’ai presque perdu l’haleine lorsque j’arrive à l’intersection de la 41st Street, où je reconnais immédiatement la Maserati noire de mon père. Et lorsqu’il m’a dans le viseur, la portière arrière s’ouvre aussitôt. Expressément, je ralenti. Ce marathon n’était pas en son honneur après tout. Il faudra plutôt avoir des réserves, si je veux pouvoir déballer ma rancœur dans les secondes qui suivront.
–– Je serais venu te chercher devant le café, si tu avais donné plus de précisions.
–– Pas la peine, fais-je en refermant derrière moi…
Sur le point de le piquer sévèrement, je me prends à plein nez, une bouffée d’air douloureusement familière. Ces notes fortes en caractères, boisées, épicées, et entre lesquelles je ne sais nommer que la bonne et délicieuse senteur de cannelle. Je la reconnaîtrais en mille, aussi laconique soit sa durée dans l’atmosphère. Je ne saurais les ignorer même si je devenais amnésique, car fondues dans ses accords naturels de virilité, elles m’ont faits tourner la tête un jour. L’homme qui portait ce parfum a changé ma vie pour toujours. Et la simple idée de sa présence me remue encore du pied à la chevelure. Comme autrefois, sa seule odeur terrasse tout en moi, tout de logique, pour ne laisser que l’amoureuse éperdue. L’idiote foudroyée par l’amour… mais peut-être était-ce seulement de la passion.
Dwayne…
–– Rockalia, ça va ?
Ma tête dit oui, mon nez va rencontrer le si précieux tissu du siège. C’est le même. Serait-ce le sien ?
–– Qui était là avant moi ? le questionné-je le cœur tellement en alerte que j’ai l’impression de l’avoir dans mes oreilles, puis partout dans mon corps. Je veux dire, à qui appartient ce parfum ?
–– Addis Newton, un de mes associés que tu connaîtras d’ici peu. Pourquoi ?
Évidemment ! Qu’est-ce que je croyais ? Los Angeles, est à des lieux d’ici. Qu’est-ce je peux être bête.
–– Pour rien, juste son parfum. Il est agréable. Mais sinon, resurgis-je avec un enthousiasme bas de gamme, on peut savoir de quoi tu voulais me parler ? Je suis pressée, je dois filer. J’étais accompagnée.
–– Ton amie du train ?
–– Ce ne sont pas tes affaires. Maintenant je t’écoute.
Surpris par mon attitude, il se redresse et me fixe intensément, d’un regard inquisiteur, puis allonge sa lèvre inférieure, une fois les lueurs dans ses iris éteintes. C’est la même qu’à l’époque, lorsqu’il se perdait dans ses pensées le soir, les mains appuyées sur le garde-corps en fer forgé de la petite terrasse de cet appartement où nous vivions avant… son départ. Je ne savais pas l’interpréter à ce moment-là. Je me disais que comme la plupart des parents, il s’oubliait dans la planification de l’avenir de sa famille… comme j’avais tort. C’est juste la moue d’un homme blessé dans son égo. Ce capitaliste qui s’exaspère de ne pas voir les choses rouler selon ses souhaits et de perdre son temps en des lieux qui décuplent son ennui par mille.
Mais il ne perd rien pour attendre, je vais lui en donner moi, des raisons de faire sa mine de chien battu.
–– Tu comptes nous éviter pendant deux mois ? Je te rappelle que tu es là pour assister à mon mariage. Y prendre part aussi. Ça ne se fera pas de ta chambre, il me semble.
Je soupire, fatiguée d’avance, de plus en plus déçue surtout. Et pour ne pas manquer à ma nouvelle mission, je roule des yeux, piaffe et claque la langue.
–– J’en ai que faire de ton mariage à la con. Je suis ici, uniquement pour ces fichues réponses.
J’ai finalement décider de ne pas lui révéler ce que je sais déjà. Pas besoin de confrontation, je vais frapper à l’improviste, là où il faut, après l’avoir décelé, pour être certaine que ça fasse bien mal.
–– Réponses que tu n’obtiendras qu’en tenant ta part du deal.
Pourquoi ne suis-je même pas étonnée ?
–– Sympa, on fait chanter sa progéniture. Mais après tout, le suis-je vraiment ? me moqué-je fin des fins de ma propre personne.
Rien de nouveau sous le soleil, constaté-je quand offusqué ––seulement en apparence––, il requiert sans autorisation de ma part, mon attention sur son regard froncé.
–– Qu’a-t-il ? Est-ce que moi ou quelqu’un d’autre de la maison a fait une chose, qui t’a mis en colère ? Pourquoi m’agresses-tu de la sorte, tout à coup ? Je ne comprends pas. Ce n’est pas ton genre de te comporter de la sorte. Je connais ta mère…
–– Parle pas de ma mère ! Ni de moi d’ailleurs, tu ne sais rien de nous. Et maintenant, si tu n’as rien d’autre à dire, demande à ton chauffeur de se poser. Je veux descendre, ça commence à empester l’horreur ici.
Il brasse de l’air dans un premier temps. Ses cils en émoi suivent ce mouvement de près, puis il se repositionne contre son siège, sinistrement affublé d’une moue boudeuse aux lèvres et d’un éclat de chagrin dans l’œil. Tant mieux, comme ça il goûte un peu à sa propre cuisine. Et ça ne fait que commencer.
–– Ok, psalmodie ce dernier après avoir inhalé profondément. Je veux… enfin, je souhaite que tu m’accordes une danse le jour de mon mariage. Après celle avec Tiphaine, et elle sera toute aussi officielle.
J’ai peur d’être en train de rire de bon cœur sur ces paroles. Cela voudrait dire que je commence sincèrement à dérailler parce qu’une monstrueuse envie de pleurer, m’acidule les intestins et supplicie ma trachée. Il est vraiment décidé à m’humilier, c’est un fait. Autrement, il ne serait pas en train de me faire une telle demande ––si tant qu’on puisse l’appeler ainsi, mais j’en doute.
–– Plus la peine de jouer les diplomates avec moi Billy. Tu peux le dire, c’est un ordre, et il n’est valable que si je veux te soutirer le moindre mot sur les raisons qui t’ont poussé à prendre tes jambes à ton cou, comme un lâche ––si ce n’est un rat.
Brûlé à vif, son buste se décolle à nouveau du dossier de notre assise, pour mieux permettre à son regard sombre de m’anéantir. C’est mal me connaître cependant. Aussi nous regardons-nous en chien de faïence pendant ce qui semble durer une éternité. Une suffocante éternité.
Qui a dit que l’enfer n’est pas sur terre ? Qu’il faut mourir pour en faire l’expérience ? Qui a dit qu’il n’est réservé qu’aux damnés ? Assurément un naïf, et il n’a pas dû connaître l’injustice de sa vie, l’enfoiré. Sinon jamais il n’aurait sorti une telle absurdité. Ce sublime mensonge ! Rêve chimérique de petits esprits à la cherche d’un brin de consolation. Ce que j’appelle une guérison en toc, car l’enfer est bien une affaire de vivants.
En tout cas, le mien se résume partiellement à être entre les parois de cet habitacle, l’iris presque collée à celle ce père indigne… cette ordure, sans foi ni loi. L’enfer est ici, à cet endroit où la pression est à couper au couteau. Tellement écrasante que pour sûr, je tournerais de l’œil si ma bouche ne prêtait pas main forte à mon nez en ce moment, pour maintenir mon rythme cardiaque dans les limites tolérées.
Je le hais, ça me déchire, ça me soulage. Mon seul regret sur le moment, est de ne pas savoir lire dans son œil fixe et attentif. Du reste, j’emmerde son satané silence, même si je me console de croire qu’il est bardé de couardise et honte à présent.
Ouais c’est ça, garde-la fermée, payes toi ma gueule tant tu peux. Parce que je compte bien foutre le bazar. Tu vas voir comment je vais faire ça.
–– Je ferai tout ce que tu voudras. Mais je te préviens, j’ai deux pieds gauches. Ça n’a pas changé depuis le temps. Enfin, si tu t’en souviens encore.
Il sourit, c’est hallucinant. Non, je plaisante, c’est révoltant. À qui veut-il faire avaler son numéro de papa nostalgique ? La réponse est toute trouvée en tout cas. Il est clair que je l’aurais gobé ce mensonge si je n’étais pas allée fouiller les poubelles.
–– Comment oublier ? Mais je me suis arrangé. Je t’ai enregistré à un cours de danse, à l’agence où se rend Blair. Le directeur est un de ses camarades d’école, il saura se montrer patient avec toi. Jared Washington, c’est son nom, et ce sera ton professeur.
N’ayant rien à redire à cela, je m’empresse de hocher la tête avant de d’inspirer sans réserve une dernière fois. Qui sait quand est-ce que je pourrais à nouveau avoir le plaisir de m’abreuver de ces effluves délicieusement sauvages, capable de me ramener en une seule inhalation, à ces savoureux moments de volupté, divinement enfiévrés. Capable de me ramener à lui, à tout ce que j’ai connu de plus beau dans ma courte, très courte vie…
À Dwayne…
–– Une dernière chose, m’interpelle mon géniteur au moment où je m’apprête à sortir du véhicule. Ma fiancée organise une petite fête ce weekend. Elle sera en ton honneur. J’aimerais te présenter à mon petit monde. Alors, soit gentille avec Tiphaine lorsqu’elle viendra te voir pour les préparatifs, tu veux bien ? Elle est très sensible et surtout, elle n’y est pour rien.
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