Pa fè m'sa
–– Rockalia !
Shoot.
–– Comment se fait-il qu’on n’ait jamais rien su de votre existence jusqu’à ce jour !
Deux shoots.
–– Rockalia ! Rockalia !
Rafales de clichés.
–– Rockalia, qu’est-ce que tout ceci cache ?
Flash, flash, flash…
–– Quels sont vos rapports avec Billy Davis, votre père ?
Cinq shoots d’affilés, flashs, déclic, déclic…
–– Par ici Rockalia !
Clic-clic, clac-clac-clac…
Un rembobine non loin de nous, l’autre ne demande qu’à me foutre son micro dans le gosier. Et moi je n’ai que deux mains. Deux mains dont tous les privilèges sont sans hésitation aucune, à ma petite sœur agrippée à ma taille, le visage enfoui dans mon bomber, au niveau de mes hanches. Autour de sa tête, dans son dos, je m’active à lui épargner les supplices visuel et auditif qui nous sont imposés.
–– Rockalia… ! Rockalia… !
–– Qu’est-ce… !
–– Pourquoi avoir… vous… !
Rockalia, encore Rockalia, toujours Rockalia, sans jamais la suite ne sois compréhensible. Ils parlent tous en même temps. Filment à la seconde, se bousculent. Je n’entends plus rien, ne voit plus personne, si ce n’est cet étang de lumières aptes à me faire saigner l’iris. Le corps en détresse, je me plie au-dessus de Clara, serre paupières et mâchoires pour rendre toute cette violence supportable.
–– Ro… Ro…
Clac-clac-clac-clac-clac….
Je sue, je brûle, j’ai chaud, ça picote.
J’étouffe. À la gorge ça gratte, je tousse, et convulse tout à la fois.
Au secours ! Mais personne ne m’entend. Normal, j’use et abuse du silence, vaincue d’avance par le troupeau en folie autour de moi. Ils veulent, exigent, supplient, sèment le chao, batifolent avec le thanatos. Hantés par le besoin, aliénés, leur addiction à l’information balaie toutes traces d’humanisation. Bienvenue la destruction. De l’image, du mental, de l’entourage. Ils rongent tout, sans égard pour personne, ils ne laissent rien.
–– Par ici !
–– Rock… !
–– Une question, Rockalia !
Et… pluie de flashs !
Au secours ! Bordel, c’est quoi ce monde de fous ! Ce n’est pas trop dire : j’ai atterri dans une fourmilière dangereuse, en qualité de réserve destinée à la reine. Les ouvrières sont pour ainsi dire, prêtes à tout. Pauvre Clara, elle me broie les muscles. Là où je suis pétrifiée, elle est terrorisée. Fait-on plus inutile comme grande-sœur ? Absolument pas. Un peu mollassonne de nature, et à présent à deux doigts de tourner de l’œil, je n’ai aucune expérience en la matière et ne sait donc comment réagir face à la situation.
En même temps, où aller lorsqu’encerclées, nous sommes ballotées au rythme de cette vague sauvage de zombies ? Nulle part. Nous sommes captives. Et pour cause, tout à l’heure, nous avons essayé de percer ce nuage d’éclairs foudroyants. L’impuissance me chauffe l’esprit, mon cœur enfle, j’en ai le cou raide et les larmes aux yeux. Mais au moments où je m’y attends le moins, nous sommes prises en charge par je ne sais qui, car je me refuse de rouvrir les yeux tant que ce vacarme n’aura pas cessé.
–– Rockalia… me secouent deux bras forts.
–– Non, non, non, laissez-moi tranquille !
–– Elle est en état de choc, entends-je souffler dans les parages. Mais c’est de la barbarie ça. Oh la pauvre !
Et seulement alors, je réalise que je suis à présent à l’abris. Sans chercher à savoir qui me tenait jusque-là, je m’arrache à son étreinte, virevolte, les mains à plat contre mon visage arrosé de larmes et vais m’accroupir un instant. Ma température retombe à mesure que ma respiration se régularise, mettant les spasmes et le tournis hors-jeu. Interconnectés, c’est tout mon être qu’ils reconnectent à la réalité. Et sitôt qu’il ne reste plus que des reniflements accessoires, je me remets en selle, fonce vers Clara et la surcharge de caresses rapides et frénétiques.
–– Hé mini pouce, gémis-je, le col raidit par les sanglots que te tente de contenir. Ça va ? Rien de cassé ? Tu n’as rien ? Tu…
Elle se jette sur moi et me serre très fort, plus fort encore que sous les projecteurs et ça fait un bien fou. Mes épaules fléchissent, le soulagement dans mon soupir s’éternise, alors que nos doigts s’enfoncent de plus en plus dans nos chairs. De la pluie sur notre enfer, cette étreinte émousse toute ma détresse.
–– Rockalia…
–– Chéri, laisse-la respirer. Pareil pour vous les filles, toutes derrière maman.
Chéri, maman… Retour à la réalité.
–– On n’a pas le temps, la contredit Chéri, accroupit comme j’ai dû le faire pour me mettre à la hauteur de Clara. Il va falloir évacuer. Ils essaient de dégager l’entrée, mais ce ne sera pas suffisant, ils vont arpenter la rue s’il le faut.
–– Sephora sait quoi faire dans ces cas-là. Quelqu’un l’a vu ? renchérit maman dont j’arrive légèrement à comprendre l’irritation en ce moment.
Chéri a ses mains fourrées sous mes mèches noires tressées jusqu’à mes coudes, sous mon écharpe noire à poils longs et déposées n’importe comment, sur la peau chaude de mon cou. Il agit avec tant de naturel que s’en est presque effrayant. Bien sûr, j’en frissonne. Il est vrai aussi cependant, que la sérénité de ma sœur prévaut sur tout cela.
–– Nous sommes venues en taxi, déglutis-je la bouche souillée par le goût amer de la culpabilité. Elle m’a pourtant prévenue. Mais je n’ai pas pensé…
–– Chut, me rassure-t-il en agitant en toute impunité son pouce sur ma peau. Tout ira bien, je vais vous ramener à la maison.
Elle est dure, pénible, sans perdre son caractère grisant, l’onde de choc qui trace son chemin de mon pied à ma tête, soulevant sur son passage un désir honteux. J’entrechoque avec la même violence mes paupières, pour garder le contrôle.
–– Non Dway… pardon, Addis. Rentre chez toi. Tu en as déjà assez fait, je t’en remercie. Je vais passer un coup de fil à la maison.
–– Il a raison Rock, intervient Clara de sa petite voix épuisée, les mains toujours solidement accrochées aux miennes. C’est le weekend, et à cette heure, ils doivent tous être occupés à quelque chose.
Je ne peux lui reprocher de ne pas être en mesure de me comprendre. Je ne peux non plus lui refuser quoi que ce soit, vue la situation. Mon silence parle pour moi, Addis tourne la tête vers sa fiancée et lui donne le compte rendu du pseudo contentieux.
–– Karlson viendra vous chercher dans quelques secondes. Je raccompagne les filles chez elles.
Puis il se lève, extirpe son portable de l’arrière de son pantalon, s’éloigne un peu et tout de suite j’ai l’impression d’avoir le froid dans les os. Je me refuse de l’affronter, mais je peux sentir la fureur de Nicole. Du reste, j’en ai la nuque crispée et le dos en sueurs froides. Pourtant, lorsqu’au final la maintenir hors de mon champ de vision devient inévitable, j’ai droit à un sourire aussi radieux que celui des jumelles scotchées aux joues de leur père pour un « à tout de suite ». Anticipant la suite, je détourne le regard avant le bisou des parents, même si l’idéal aurait été que j’y assiste, histoire de me remettre les idées bien en place.
–– J’ai eu si peur, soupire Addis une fois sa petite famille partie, et avant de m’étreindre à l’improviste.
On dit que l’on n’est chez soi que là où on est autorisé à rester, là où on nous accepte, là où on nous aime. Alors pourquoi me sens-je à ma place ici, contre lui, enveloppée par son odeur, sa chaleur ; moi l’éphémère, moi la voleuse, moi l’illégitime ?
Je sens son menton sur ma tête, ses gros bras dans mon dos, à la lisière gauche et droite de mes seins, tout comme je sens mes tétons dressés sous mon pull, tout comme je me sens à nouveau proche de son cœur. J’en suis tellement émue qu’il me faut fermer les yeux pour réprimer mes larmes en pleine ascension. Rien ne justifie le manque de scrupule dont je fais preuve devant témoins en le respirant avec la vigueur d’une ressuscitée, en me transformant en sangsue avide de sa chaleur et de ses caresses, en laissant libres ––quoique silencieux–– mes sentiments coupables. Rien, néanmoins je m’y abandonne.
Encore heureux que Clara soit là pour mettre fin à cette ignominie, ce désolant spectacle batifolant avec l’indécence, par un raclement de gorge trop prononcé pour ne pas être embouteillé de sous-entendus. Je suis incapable de la regarder dans les yeux après ça. Ni pendant le trajet vers l’issue de secours, en compagnie du chef de la sécurité des lieux, ni lorsque les portes de l’habitacle se ferment. Pour être sûre d’y échapper d’ailleurs, je me barre les oreilles d’écouteurs et pousse le volume à fond.
Seulement, il n’est et ne sera jamais possible de faire l’autruche pendant toute une vie. Ainsi est faite la vie, d’actions et de réactions, tel que l’explique la vieille loi de Newton (Ah, ce nom qui me hante !). Arrivés à bon port, je dois la mettre au lit et c’est là que le piège se referme.
–– Bonne nuit mon oncle, l’embrasse-t-elle, le sourire jusqu’aux oreilles. Tu viens sœurette ? Il faut me bichonner avant le dodo. Ça, ça fait partir du contrat.
Plus que ses paroles, c’est la malice dans ses gestes qui nous pousse tous vers l’hilarité.
–– Allez, monte. Je te rejoins.
–– Sûr ?
–– Sûr.
–– Je viendrai faire le pied de grue devant ta porte, je te préviens. Et pas en silence, ponctue la peste sournoise, avant tourner les talons.
Le silence est un gong de peur à mes oreilles, il gèle et bouscule tout en moi. Je déglutis confuse.
–– Je vois que ça a l’air de s’améliorer entre vous.
Je retiens mon souffle lorsque sa main frôle la mienne, la secousse a été trop puissante, doublement exquise.
–– Ce n’est pas l’ange qu’elle prétend être devant ses parents, plaisanté-je en m’assurant de garder les yeux rivés dans la direction précédemment empruntée par la fillette.
–– L’idée d’avoir une grande sœur lui a tout suite fait plaisir.
Elle t’aimait déjà avant ton arrivée. Je n’aurais jamais pensé que tu étais cette Rockalia-là.
Non, pas de virage. Une fois n’est pas coutume, je ne peux plus le laisser m’égarer.
–– Merci encore, et bonne nuit.
–– Ok… euh… bonne nuit Rockalili.
Le malheur veut que le regard brûlant qu’il coule sur moi, me vole plus que des frissons. Il me vole du souffle en abondance. Il m’a appelé ainsi la dernière fois qu’il m’a fait l’amour (baisé en réalité), en me couvrant le visage de doux baisers, mouillés et ardents. Tous ces souvenirs sont si clairs dans ma tête, très douloureux de ce fait. Ils ne peuvent qu’être destructeurs. Et pour ne pas y faire face devant lui, j’attrape la première solution qui s’offre à moi : la fuite.
Sur un pas de course, je rejoins ma sœur. À quelques mètres de sa porte, je m’arrête pour reprendre le souffle afin d’éviter tout questionnement. Lorsque j’entre, cette dernière m’attend sagement sur son lit, emmitouflée dans son épaisse couverture rose en flanelle.
–– Il est parti oncle Addis ?
–– Je ne sais pas. Je suppose que oui.
Je m’assois près d’elle, elle s’adosse sur la tête du lit.
–– Je croyais que vous étiez amis, vue comment il t’a embrassé.
Le rouge mon monte aux joues ; peut-être même sur tout le visage, comme lorsque je ris ou pleure.
–– Il ne faut pas croire tout ce qu’on voit. Tes parents ne te l’ont jamais dit, ça ?
–– Si, si. Mais…
–– Pas de mais, mini pouce. Il se fait tard, il faut dormir. Tu t’es brossé les dents ?
Elle hoche la tête.
–– Et mon histoire ? (Mon regard appuyé sur elle, vient à bout de son facétie) D’accord, je déteste les histoires avant de dormir. C’est juste pour que tu restes un peu plus avec moi. Tu ne trouves pas ça sympa d’avoir une sœur ? Moi oui, termine cette dernière sur un ton un peu triste.
Il me brise le cœur.
–– Moi aussi, dis-je pour la rassurer, alors que peu certaine.
–– Excuses-moi d’avoir raconté toutes ces choses horribles aux filles. J’étais un peu fâchée…
Et elle parle, parle, parle et reparle… longtemps. De ses amies, de ses parents, des espérances qu’elle se faisait de ma venue ici. Surtout ces espérances-là. Et n’arrête qu’au moment où Morphée commence à devenir insistant.
–– Avoue, sourit-elle entre deux bâillements faibles, tu m’aimes bien, n’est-ce pas ?
Je ne lui donne peut-être pas de réponses, mais l’évidence vainc mon orgueil. Je reste à lui caresser la tête pendant quelques minutes en fois cette dernière endormie, lui chipe une photo d’elle sur sa commode et dépose un baiser sur son front avant de filer sur la pointe des pieds.
La hâte de me dévêtir me porte à vive allure jusqu’à ma chambre. Je songe à me prendre un bain, mais y renonce dès l’instant où je réalise que le parfum d’Addis m’a collé à la peau. Voulant tout de même m’offrir un moment détente, je descends me préparer un thé, le bois en six gorgée et quitte la cuisine avec en tête l’idée de l’aller une fois de plus fouiner du côté du bureau de Billy.
Situé sur le même palier que la cuisine, quelques pas m’y conduisent. Mais au moment où je m’apprête à ouvrir des mains froissent mon déshabillé, balaient et pétrissent mon corps avec volupté, tandis que le torse qui les soutient se frotte contre mon dos. Elles m’inondent d’excitation, de bouffées de chaleur, de battements effrénés dans la cage thoracique et entre les jambes. Le nez plongé dans mon cou, Addis ––Dwayne à l’instant, parce que c’est sous ce nom-là que j’ai connu la fougue fondue dans la langueur dont il use à nouveau pour me terrasser––dont voix éraillée en dit long sur ses intentions, murmure mon nom.
–– Mon inconnue R.
Je suis censée lui répondre « ma solution D », un peu comme avec les équations mathématiques. C’est de cette façon que nous nous sommes désignés à la supérette d’Angela, parce que joueuse, je n’ai pas voulu lui donner mon prénom, bien qu’ayant accepté son numéro de téléphone. Sauf que cela ne m’est plus permis. Il ne s’appelle pas Dwayne, est fiancé, père et dorénavant, m’apporte plus de douleur que de douceur.
Je tremble quand les effluves virils et délicieusement sauvage de son corps forcent l’entrée de mes narines. Ils trainent avec eux un courant électrique de haute tension. Difficile de ne pas céder. Impossible de ne pas pleurer.
–– Des nuits sans importances, hein Rockalili ? Tu trembles. Tu trembles comme au premier jour.
Le cerveau embrumé par toute cette déferlante d’euphorie, je perds même mes facultés les plus élémentaires. Il presse le poignet et nous pousse à l’intérieur du bureau, me plaque contre sa porte et se jette sur mes lèvres, affamé et féroce. Et là, tout se calme en moi. Fin du supplice, fin de la saison sèche, fin de la soif. Je revis, ressuscitée par le goût de menthe givrée que portent ses lèvres charnues, onctueuses, juteuses. Je gémis contre celles-ci, accrochée à son t-shirt comme à une bouée de secours, torturée autant par sa langue experte que ses mains agiles et habiles.
Dwayne… cri mon cœur, meurtri, soulagé, retourné. Mais ce n’est pas Dwayne, et ce simple rappel me ramène haletante et belliqueuse, sur terre… Malheureusement.
–– Non, tu ne peux pas faire ! Tu ne peux pas me faire ça ! Bon sang, qu’est-ce que j’ai fait ? sangloté-je finalement, en martelant son torse de ridicules coups de poings. Va-t-en ! Tu es déjà sorti de ma vie, alors sors d’ici !
–– Rockalia…
–– Ça t’amuse de savoir que tu me fais toujours de l’effet, n’est-ce pas ? Tu es venu réparer ton égo, pas vrai ? Voilà, c’est fait, maintenant tu dégages !
J’ai de l’eau en ébullition plein les yeux, la honte plein la tête. Je vois trouble, m’interdis de penser.
–– Je suis peut-être facile, mais je ne couche pas avec les fiancés des autres ! Fiche le camp ! Fiche le camp d’ici !
Il finit par me maintenir sous contrôle, les paluches refermées autour de mes bras ballants. Ses cornées éjectées de sang entourent ses iris éteintes, me décochent un pincement au cœur, lorsqu’il me supplie de lui prêter attention.
–– Je ne t’ai jamais vue de cette manière.
–– Pourtant c’est bien comme ça que vous appelez tous, une fille qui se laisse défoncer le cul le premier soir. C’est aussi pour ça que tu n’as eu aucun remord cracher sur ta promesse et à me mentir tout en me regardant droit dans les yeux. Je suis célibataire, je suis mécano et j’habite à L.A, et où je te retrouve ? (Je renifle la morve en train descendre à l’intérieur de mon nez) Je ne me leurre pas. Je sais très bien à quel type de femmes on réserve ce genre de traitement…
–– Laisse-moi t’expliquer Rockalia.
–– D’abord tu me lâches ! Tu me répugnes.
Il grimace, j’ai été suffisamment méchante. Il s’exécute par la suite, frotte ses grandes mains sur visage, puis réajuste son blouson d’aviateur de la même couleur que son t-shirt noir. Je me sens très vite dominée par sa prestance féline et recule d’un pas pour m’en soustraire.
–– Tu es en colère, et tu en as tous les droits. Mais…
Toute ma haine m’explose à la figure. Je ne m’étais pas rendue compte de l’ampleur de celle-ci. Il aura apparemment fallu qu’il tente de s’excuser pour que tout remonte en surface. Mais c’est comme je l’ai décidé, je ne veux plus pleurer.
–– Nicole, c’est ta fiancée, pas vrai ?
–– Oui, mais…
–– Tu es père, n’est-ce pas ?
–– Aussi, confirme ce dernier, mais…
–– Rien du tout Dwayne… Tu ne t’appelles même pas Dwayne, gémis-je une fois de plus, malgré moi. Tu t’appelles Addis, inspiré-je avant de me couvrir brièvement la bouche, dans l’espoir de retrouver de la contenance. Tu as une famille, alors respecte-toi. Respecte-moi. Et si parce que mon comportement dans le passé t’a laissé l’image d’une fille de petites mœurs, tu n’y arrives, dans ce cas respecte Billy. Tu comptes pour lui, tu es vertueux d’après ce qu’ils disent tous ici. Ne salit pas cette image-là et laisse nos erreurs dans le passé.
–– Je ne t’ai pas oublié Rockalili.
Et ses yeux se plissent de ferveur. Et mon cœur bondit, ça aurait plus être la plus belle déclaration au monde, en d’autres circonstances, sous d’autres cieux. À l’instant, je n’y vois que du baratin, de la moquerie, de la cruauté.
–– Une année s’est écoulée. Seize fichus mois ! beuglé-je en tirant sur chaque mot, défigurée par mon chagrin. Tu es quand-même sacrément culoté d’être là à me tenir ce genre de discours. Et si je n’étais pas venue ?
D’un geste nerveux il retire sa casquette de son crâne, puis avale sa lèvre inférieure. Il semble en détresse, j’ai peur de m’y fier.
–– Je t’aurais retrouvé. Je te le jure. Rien de tout ça n’était prémédité, bégaie-t-il soudain, je n’ai jamais pensé que je tomberais sur toi. Tu n’as pas été un coup d’un soir pour moi, ni une passade, je l’ai su au premier regard. J’allais revenir, je te le promets. Ça a compté notre histoire.
Les foudres de l’amour atteignent à nouveau leur cible, des lueurs d’espoirs clignotent. Mais ma peine est plus grande encore, ma peur, monstrueuse et ma rancœur, himalayenne. Comment aimer après une telle trahison ? Comment refaire confiance ? Par-dessus tout, comment briser une famille, quand j’ai pleuré toute ma vie le départ d’un père ? Moi qui je saigne encore du cœur de le voir heureux auprès de celle qui n’est pas ma mère et d’une autre qui n’est pas moi ?
–– C’est trop tard Addis. Beaucoup trop tard. Je ne suis même pas sûre que tu sois prêt à quitter ta femme pour moi, mais même ça je ne te le demanderai jamais. Et puis, comme je te l’ai dit la dernière fois, je ne suis plus disponible. Le mieux c’est que tu n’en ailles.
–– Accorde-moi une chance.
Je secoue la tête et entame la marche arrière, brisée d’avance de devoir dire adieu cette fois à mon amour perdu, quoiqu’en réalité, je ne l’ai jamais eu. Qu’il est beau ! Au milieu de tout ce luxe, je ne vois que lui de précieux, (une belle erreur !) avec sa mâchoire carrée légèrement pilleuse, son nez camus rendu unique par la cicatrice dans le creux de sa narine gauche, son front barré à jamais de deux rides d’inquiétudes, ses yeux d’une noirceur splendide, et ses lèvres boudeuses, de la couleur sa peau ébène au-dessus, violacée en dessous ––mon péché, j’ai de quoi le justifier.
–– Mwen rennemou men li pa itil. Ou pa pou mwen. Ou pa janm fè pati de mwen, murmure ma bouche comme lui recommande mon cœur, sur ma raison qui l’emporte au final, puisque j’ouvre aussitôt la porte et coure comme une dératée loin de là, de lui.
Mwen rennemou men li pa itil. Ou pa pou mwen. Ou pa janm fè pati de mwen : Je t'aime mais ça ne sert à rien. Tu ne m'appartiens pas. Tu ne m'as jamais appartenu.
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