La mécanique du choc
Après avoir relevé au surligneur sur le journal, l'ensemble des jobs intéressants et compatibles au profile de Kyo, je m'applique à recopier mot pour mot le contenu des annonces ; virgules, points, tirets et parenthèses, eux aussi placés tels que sur le papier. J'aurais pu me contenter de prendre des photos, mais j'ai du temps à tuer et un semblant de concentration à essayer de retrouver.
Je n'arrive pas à me focaliser sur mes lectures, ni à faire quoique ce soit d'autre ; je souffre le martyr dans ma chair et mon encéphale, depuis que j'ai retrouvé toute ma tête. On ne peut pas vraiment dire que je l'avais hier, après la bassesse dont j'ai fait preuve face à lui, dans cette même chambre...
Je crispe volontairement les tympans, en secouant ma tête, dans l'espoir que ces infâmes clichés s'entremêlent enfin dans mon esprit, se brouillent, deviennent une sorte de nuage informe et indéchiffrable, avant de disparaître de ma mémoire qui, parce qu'ils n'auront plus aucun sens pour mon intelligence, s'en sera purement et simplement débarrassé.
Malheureusement, arriver à un tel résultat s'avère plus compliqué que prévu. La mémoire, personne ne la perd par bon plaisir. D'autant plus que la conscience n'a pas meilleur champ d'action pour mener ses batailles --nous tourmenter entre autres. Aussi, plus clairs et envahissants se font mes actes dans mes souvenirs, plus accablante devient ma culpabilité.
J'ai vraiment été odieuse. À bien y penser, je ne suis rien d'autre que cet ignoble personnage depuis que j'ai quitté la maison de ma mère ; et même si quelques fois je me trouve dans mes droits, certains jours il m'arrive de pousser le bouchon très loin... Parce qu'agissant pour les mauvaises raisons, parce que m'attaquant aux mauvaises personnes. Un peu comme dans le train, avec ce vieil homme, ce pauvre alcoolique dont je ne connaissais même pas l'histoire, et à qui je m'en suis prise pour la seule et unique raison qu'il m'a fait penser à celui que j'aurais voulu que Billy soit, mais qu'il n'est malencontreusement pas --un pauvre homme malheureux, impuissant face à la vie et malmené par celle-ci.
Seulement je ne sais plus m'arrêter. Je veux dire...
Bon bondye mwen dezabiye devan li !
(Bon dieu je me suis déshabillée devant lui)
Et Dieu seul sait ce qu'il se serait passé, si Shela n'était pas venu frapper à ma porte pour dire à Addis que sa fiancée se sentait mal.
Quelle effronterie ! J'aurais dû avoir honte tout à l'heure, lorsqu'il est venu déposer des dossiers à Billy mais au lieu de ça, j'ai eu le culot de lui sourire sardoniquement. L'œil triste et soumis, il m'a adressé un « bonjour » timide dont je me suis joué en me faisant expressément aguicheuse. Je me sentais si puissante, teigneuse aussi... C'est tellement facile lorsqu'on peut se cacher derrière un alibi qui bien que faux comme un billet de trois dollars, reste aussi solide que du béton armé.
Bien au-delà du désir de vengeance, cet homme je l'ai dans la peau. Sinon pourquoi est-ce que je vis plus mal son rejet que mes viles actions de la veille ? Pourquoi je brûle de cette envie de lui crier : « aime-moi, je t'en supplie, une fois encore... juste une fois, que je retrouve cette langueur savoureuse et séduisante qui m'a figé un jour, volé du souffle quand j'ai croisé ton regard --le même qu'hier et qui, plus que la plus alcoolisée des liqueurs, m'a fait perdre la tête. » ?
Remarque, il pourrait aussi s'agir uniquement de haine. La passion n'engage ni l'amour ni la haine, quoiqu'elle demeure un mélange tonique de colère et de ferveur. La haine n'efface donc pas le désir ; du reste il me semble, l'intensifie. Et pour cause, depuis notre altercation j'étouffe d'un vilain besoin de faire ravaler à sa fiancée de malheur, ses paroles de merde. Blair avait raison sur toute la ligne, c'est une hypocrite cette fille, et pour que rien ne lui manque, c'est également une menteuse chevronnée. Elle n'a eu aucun scrupule à raconter à tous que j'étais à deux doigts de la frapper, c'est dire. Alors, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour m'encourager à persévérer dans la même lancée avec Addis...
À moins que ce ne soit un panachage des deux... mais dans ce cas, qu'en est-il de Jared ? Lui non plus ne me laisse pas indifférente...
Arrgh, ça suffit de se prendre la tête avec ces bêtises ! Demain c'est mercredi, et après ma conversation avec Marizella ce matin, ce n'est plus à discuter : mon retour à la Nova est pour bientôt. Elle a accepté de tout exécuter selon mes conditions ; de ce fait, il n'est plus question de cogiter sur tous ces sujets liés à mon séjour ici. Basta !
La copie achevée, je clique sur la flèche réservée aux envois, non sans avoir ajouté le smiley pitoyable qui tire la langue de fatigue. Elle répond aussitôt par un high five accompagné d'un smiley qui cligne de l'œil en guise de remerciements. J'aurais voulu pouvoir en faire plus pour elle, mais plutôt mourir que de demander une faveur à Addis ou Billy. Jamais, jamais... par conséquent, je me contente de renchérir par un « de rien » et le smiley en irruption volcanique. Il faut que je lui raconte ma mésaventure. Ça ne rime à rien, vue qu'il n'y aura pas de suite à tout ceci, je sais, pourtant j'ai besoin d'en parler.
Kyo une fois le message saisit lance aussitôt l'appel, je décroche avec le même empressement. Sauf qu'au moment où je m'apprête à exhaler mes premières confidences, un bruit fracassant s'élève de l'autre côté du mur. Assurément du verre brisé, suivi du rugissement de la propriétaire. Si je suis en mesure de tout capter aussi clairement depuis ma chambre à coucher, c'est que le carnage n'était pas des moindres.
-- Un instant Kyo, je te rappelle. Il y a du boucan par-là, je vais voir.
-- D'accord, mais tu me racontes tout ensuite. Ok ciao.
-- Bisou ma belle. À tout de suite.
J'y vais seulement parce que j'ai entendu le nom de Clara être cité. Et comme un plus un font deux, il m'est facile de deviner la suite.
Le temps de sortir de mon lit, la voix criarde de Tiphaine s'est déjà éteinte. Mais sans surprise, je trouve ma petite sœur recroquevillée sur elle-même tout près de ma porte, poussant de petits gémissements, perturbés çà et là par des hoquets intempestifs... De quoi me fendre le cœur avant de l'amollir complètement. Les larmes me sont montés encore plus vite aux cornées, et la plus persévérante s'écrase sur ma joue au moment où je décide de me mettre à sa hauteur pour la réconforter.
-- Psst ! sifflé-je pour attirer son attention coincée entre ses genoux pliés, le temps pour moi de retrouver l'usage de ma voix sans que ce ne soit la vallée des Bravos par la suite.
Elle ne réagit pas comme souhaité, ses sanglots s'intensifient et sa tête s'enfonce davantage. Mon secours à moi ne viendra de nulle part, mais le sien, elle l'attend certainement de moi, même si elle boude pour l'instant. Aussi me raclé-je la gorge pour libérer au plus vite mes cordes vocales, tout en battant à outrance des cils, afin de repousser mes larmes. Agitée pendant la manœuvre, mon regard croise celui de Daisy en train de balayer le cadavre du vase précieux made in Japon. Une moue navrée au coin des lèvres, elle m'encourage d'un geste noble de la tête à insister auprès de mon mini pouce tout éploré... Ah, finalement je l'ai mon secours !
Ragaillardie par cet encouragement silencieux, je couve cette fois ma petit sœur de toute ma hauteur, la serre très fort dans mes bras malgré elle, tout en lui chuchotant des mots gentils à l'oreille.
-- Là, mon petit cœur. Ah, mon gros bébé tout rose. Calme-toi d'accord ?
Entêtée, elle demeure réticente, voire imperméable à toute tendresse et se met à se débattre pour se dégager de ma prise. Elle me brise le cœur, mais comment lui en vouloir ? Je ne suis pas toujours la meilleure des sœurs. Je suis même loin d'être celle dont elle rêvait... Je crois qu'il est plus que temps de corriger cela, ne serait-ce que pour aujourd'hui. J'en ressens le besoin vital, touché au cœur par son malheur.
Donc je maintiens le cap, presse de plus belle son dos contre mon buste et cale mon menton sur son épaule pour lui chanter la fameuse berceuse du crabe en créole. Une fois, deux fois, trois fois... et à la dixième interprétation, aussi sérieuse que peut l'être une chipie, elle me balance enfin, avant de prendre l'initiative de l'énorme câlin qui s'en suit :
-- C'est du chinois ça ?
Nous ricanons de bon cœur, l'une contre l'oreille de l'autre, et Dieu que ça fait du bien.
-- T'es pas croyable toi. Petite peste.
-- Je suis un ange, maugrée-t-elle sur un ton plaisantin, prolongeant ce temps de rigolade.
Un moment si précieux.
-- Petit cœur d'ange, est aussi petit cœur de boulettes on dirait. Allez viens, l'incité-je à me suivre dans ma chambre. On va passer un moment entre sœurs, ça te dit ?
Elle hoche sa tête éclairée d'un sourire aussi large que généreux, puis me suis.
-- Tu n'avais pas école aujourd'hui ?
-- Si, mais je me suis réveillée avec un insupportable mal de crâne.
Elle saute dans mon lit avec l'enthousiasme de celle qui n'a jamais connu de douleur. Ça doit-être ça avoir un cœur d'enfant. C'est tellement beau... Toutefois, impossible d'être totalement émerveillée alors que je le voudrais, face à l'évidence du mensonge qu'elle vient de me pondre. Malheureusement pour elle, l'innocence appelle la transparence.
-- Mal de crâne ? répété-je incrédule. Tu n'aurais pas plutôt séché ? La fois dernière tu me disais que tu avais hâte d'être en congés... (le regard mi-clos, je la flingue d'un air suspicieux) Je crois que tu me caches des choses sœurette. Allez, accouche.
Échec lamentable. Les pieds pliés en bouddha, elle refuse de sa tête baissée au-dessus de ces derniers.
Heurt, choc et blessure... Ma petite sœur a des peines dans son cœur d'enfant.
Brulure, douleur et saignement... Elle n'a pas vu en moi un soutien. Elle s'est résigner à la cruelle solitude d'une âme incomprise qui se sent parfois rejetée. Et je l'ai fait, je l'ai si souvent repoussée.
Sans battre du tambour, j'efface d'un geste doux la larme collée à ma joue.
-- Je vais te raconter quelque chose que je n'ai jamais dit à personne... Enfin, maman et ma tante Angela étaient-là, mais elles ont pris part à l'action, donc ça ne compte pas.
Ainsi arrivé-je à capter à nouveau son attention, des yeux rieurs devant mes mimiques empruntées à ma mère.
-- Mais avant tout, tu dois promettre sur l'honneur de n'en parler à personne. Ce sera, notre secret de sœurs, et pas question que tu me refasses le coup de la dernière fois.
Pleine de mauvaise foi, elle éclate de rire sur ses deux paumes à plat contre ses bajoues.
-- Ce n'était pas un secret, je te signale. J'ai juste rapporté les faits. C'était un peu comme faire du journalisme, comme maman et Blair.
-- Tu parles, la taquiné-je en pinçant gentiment son nez étroit. Ça s'appelle des commérages fillette. Et maintenant tu promets.
Au lieu de s'exécuter, elle me fait remarquer de l'index, mon téléphone en train de vibrer à côté de mon pc. C'est Kyo. Je décroche et sors du lit pour lui expliquer la situation. Compréhensive, la conversation prend rapidement fin après avoir fixé le prochain appel pour vingt et une heures. Avant de retourner auprès de mon mini pouce, je prolonge le pas vers les ouvertures après avoir décelé un morceau de soleil à travers les interstices, et tire les rideaux. Ce n'est pas un mythe, l'ambiance joue bel et bien sur l'humeur... J'aurais mis un peu de musique si l'atmosphère était grisâtre, car je veux voir de la joie sur ce joli visage. Pas cette morosité qui pour moi est devenue une seconde peau. J'ai beau tenir bon, ça n'a rien de bon. Et à vrai dire, je rêve malgré moi de ce jour où je pourrais totalement être heureuse aussi...
Seulement, je ne sais plus y faire. À y voir de plus près, je crois que j'ai peur du bonheur.
-- C'était tante Kyo, elle va bien ? Tu sais que j'ai invité ses neveux à la fête ?
La célébration dont elle parle est apparemment la raison de tout ce faste digne d'un parc d'attraction. Chaque année, ils ouvrent leurs portes aux jeunes de leur communauté religieuse, aux camarades volontaires de Clara et aux enfants de atteints de cancer dont l'association caritative de Tiphaine se charge. C'est une brave dame Tiphaine, je n'en ai jamais douté. Je l'apprécie et la respecte de loin, et mon admiration est sincère. Dommage, je ne serai pas là pour voir ça... Pour Blair, c'est au-delà de l'indescriptible, l'un des rendez-vous mensuel qu'elle attend avec grande impatience. Et elle a terminé en disant « on n'a pas tous les jours la chance de retourner dans l'enfance. C'est un de ces privilèges, t'as pas idée. »
Non, elle n'est pas tout le temps folledingue, cette enquiquineuse de blonde.
Elle m'a ému avec ces mots, hier lorsque je les ai finalement rejoints dans la crèche aussi grandeur nature que le père noël et le bonhomme de neige décoratifs, figés sur la fausse neige dans les alentours. Découvrir de la bouche Tiphaine quelques minutes après, que cette date du vingt décembre correspond à l'anniversaire de décès de leur mère, m'a davantage bouleversé. Ainsi que les raisons derrière ce choix.
« Il faut célébrer la vie, m'a-t-elle dit, pensive et inquiète, mais étrangement sereine aussi, le regard fixé sur son mari en grande conversation avec Kyo et Mike. C'est un privilège. Et qui de mieux que les enfants pour nous le rappeler ? »
C'était une belle soirée, malgré tout... Le départ précipité de la presque famille Newton, y était pour beaucoup.
-- Petite coquine. Tu ne vas pas t'en sortir aussi facilement. Allez, allez, on se dépêche. J'attends.
Cette fois ses lèvres étirent jusqu'à l'extrême, dévoilant le vide entre deux de ses canines... J'en connais une qui a renflouée sa tirelire récemment, suite au faux passage de la petite souris. Ça prend vraiment les gausses pour des cons les parents, parfois. Et dire que c'est le cas depuis la nuit des temps.
-- C'est bon, je le jure, fait-elle d'un air si solennel qu'il ne peut que sonner l'ironie.
Nous partons à nouveau dans un fou rire.
-- Alors voilà, commencé-je en prenant la même position qu'elle, devant ses yeux. Je devais avoir dans les onze, douze ans je crois. J'étais toute minuscule et toute mince et du coup, ma mère elle se faisait toujours du souci. T'imagines, l'école n'était même pas loin de la maison, mais elle venait me chercher à la fin des cours. Je détestais ça. Enfin, j'étais au collège, et à la sortie des classes, t'avais constamment des trucs qui se passaient entre camarades et moi je n'étais jamais à la page. René mon ami qui était aussi mon voisin, avait beau me raconter le soir, ce n'était pas pareil. Bien sûr, j'ai fini par en parler à ma mère. Elle m'a fait la tête bien entendu. Elle fait toujours la tête ma mère, précisé-je en roulant des yeux, c'est sa spécialité. Tu la verrais je te jure... un vrai phénomène, ricané-je attendrie pour le doux souvenir du sourire cette dernière.
Contaminée par ma bonne humeur, elle pouffe avec moi, puis me fait promettre de lui montrer une photo d'elle plus tard.
-- Mais bon, elle a fini par céder. À la seule condition que je ne traine pas en chemin. Donc, j'avais genre, une marge d'une heure au plus après les cours. Ce que j'ai respecté pendant très... très longtemps, jusqu'à ce fameux jour où des copines m'ont entraîné dans une de leur virée shopping. Elles avaient dit quelques minutes mais les minutes se sont finalement transformées en heures. J'ai bien essayé de rentrer, mais j'avais trop honte de me faire traiter le bébé. Déjà j'étais la plus jeune de ma classe. Puis le fait qu'il n'y avait pas longtemps, ma mère venait encore me chercher à l'école... Donc j'ai joué le jeu. Et vue qu'en plus elles m'offraient des trucs, bah je me suis laissé emporter.
-- Quel manque de caractère, se moque la chipie, avec une fausse moue choquée.
-- Répète ça, et tu ne seras pas là pour voir qui va finir dans nos assiettes au diner de noël.
-- Oh, j'ai peur !
-- Arrête tes bêtises, m'esclaffé-je à deux doigts de suffoquer. Je n'ai pas fini.
D'un geste théâtral, elle me redonne la scène.
-- Très aimable à vous mon mini pouce (c'est à ce moment que je reçois un coussin sur la figure). Ok, ok, ok, message reçu Clarita. On continue. Alors, où en étions-nous ?
-- Sur le point de parler du retour à la maison.
-- C'est ça, confirmé-je euphorique. Une fois loin de mes camarades, tu peux être sûre, que je suis devenue aussi gelée qu'un glaçon, je tremblais de partout. Ce n'est pas qu'elle avait l'habitude de me gronder... Non. Avant ce soir-là d'ailleurs, elle ne l'avait jamais fait. De même que moi, je m'étais toujours montrée exemplaire. En revanche je l'avais déjà vue en action avec d'autres personnes. Et tu t'imagines bien, ce n'était pas joli-joli. En entrant, je l'ai remarqué en premier, puisqu'étant arrivée par la porte de derrière. Elle tapait frénétiquement du pied au sol ; ça voulait tout dire : j'allais passer un sale quart d'heure à mon retour. Et c'est ce qui a suivi. À peine m'a-t-elle aperçu que la machine a été lancé. Eh oh, elle m'a d'abord embrassé, puis elle m'a fait assoir sur cette chaise en fer forgé... près d'une des énormes plantes qu'il y a chez nous et là, le tonnerre a commencé à gronder.
Je ne sais pas ce qui l'amuse le plus entre mes minauderies loufoques et mes gaffes d'enfant, mais peu importe. Elle n'arrête pas depuis, c'est l'essentiel.
-- C'était terrible ! Elle est terrible ma mère, je te dis. Pauvre moi, tu m'aurais vue... ça a d'abord commencé par des larmichettes, puis la morve et les hoquets et puis bam ! fais-je en claquant des doigts, Je me suis fait pipi dessus.
À partir de là, plus moyen de l'arrêter. Elle explose de rire sans retenue, s'étale ce faisant sur le dos, et là voilà transformée en asticot. La chipie saccage mon lit à force de se tordre et d'y cogner n'importe comment. Loin d'être zen dans l'histoire, je suis tout de même la plus solide des deux. J'ai donc le temps de mettre tous mes gadgets à l'abris. Cette effusion de pure bonheur dure. Et pour cause, aucune de nous ne voit le temps passer.
Lorsqu'elle parvient enfin à se calmer, elle est toute rose, a les larmes au coin des yeux et désigne des symptômes similaires en pointant son index sur moi.
-- Tu es rouge comme une tomate. J'en peux plus de rire, rit-elle quand-même, tordue en deux à présent. Arrête, j'ai mal aux côtes.
-- Toi arrêtes ! C'est toi qui m'amuse depuis tout à l'heure. Bondye ! J'ai une sacrée petite sœur. En voilà des façons de se moquer de sa grande sœur, toussé-je hilare, le gosier plein de nœuds.
Des spasmes font grelotter sa voix moqueuse, lorsqu'elle prête à nouveau le serment de garder ça entre nous, jugeant que ce sera tellement drôle de rire à l'insu des autres.
-- Seigneur, je suis fatiguée ! Si tu as une autre de ce genre, garde la pour la prochaine fois.
Ça se serre à l'intérieur de ma poitrine. Je vais lui briser le cœur, c'est inévitable, avec mon départ en vue. Mais ce n'est pas le moment d'y penser, alors je poursuis comme si de rien n'était.
-- Mais l'histoire n'est pas terminée, la nargué-je de mes grands orbes expressément effarés. Depuis la chaise a été baptisée « tombeau de Rockalia ». Puis t'as ma mère qui m'a badigeonné pendant des mois pour se faire pardonner. J'ai la rancune tenace, qu'est-ce qu'elle croyait ?
Ranimer tous ces souvenirs fait naître quelque chose d'étrange en moi. C'est fou, je n'avais même pas remarqué à quel point ma vie était déjà parfaite. C'est vrai ; des histoires du même genre, j'en ai à l'appel. C'est comme ce jour où Giselle m'a menacé de me foutre dans la machine à laver après le festival. Je ne sais plus lequel c'était, mais je suis rentrée comme un petit cochon, couverte de boue du pied jusqu'à la tête... c'était à peine croyable... un vrai petit monstre. Et ma mère qui était partagée entre horreur, indignation, compassion et cette joie réprimée qui faisait frémir les commissures de ses lèvres malgré elle, en parlerait mieux que moi.
Ouais, j'ai fait quelques bêtises. Mais j'ai été sage la plupart du temps, et quel que fut le cas, tendres sont restés les câlins chatouilleux de maman. Je suis tout de même étonnée par cette impression d'avoir vécu tout ceci à distance, comme si je n'avais pas tout réalisé aux heures où ces évènements se déroulaient... Bizarre.
-- Ma maman n'est pas aussi drôle que la tienne. Et dernièrement, elle est encore plus absente.
Ah, je l'ai mon aveu au final !
Loin d'en être surprise, pour avoir constaté les faits par moi-même, ma curiosité s'aiguise néanmoins.
-- Viens-là mon petit cœur d'ange, l'appelé-je le bras tendu. Ça ne veut pas dire qu'elle ne t'aime pas, poursuis-je une fois celle-ci lovée contre moi. Maman t'aime plus que tout au monde. Elle doit juste avoir quelques soucis en ce moment.
-- Je sais bien. Et je me demande si c'est à cause de moi. Le révérend dit que quand on n'a pas été sage, Dieu nous puni. Parfois ça peut aussi être un proche. Tu crois que c'est parce que j'ai menti ce matin pour pouvoir sécher les cours ?
-- Pas du tout. Ça doit-être autre chose, relevé-je soucieuse, le menton appuyé contre ses cheveux qui fleurent bon la camomille. Il doit s'agir d'autre chose. Tu sais, des trucs d'adultes. Comme le travail, la gestion de la maison...
Elle se soustrais de l'étreinte, je me ravise au plus vite et défronce mon visage.
-- Comme tes disputes avec papa ?
C'est possible.
-- Aussi, j'avoue.
De quoi invoquer le chagrin. Elle souffle, les épaules affaissées, puis me prend la main, comme l'aurait fait une grande personne.
-- Je sais qu'il n'a pas été sympa avec toi. Mais tu sais, il ne faut pas vivre dans le passé. Le révérend dit que pardonner c'est la meilleure preuve d'amour au monde. Et je sais que tu l'aimes notre papa. C'est mon cœur qui me le dit.
Tout, sauf réfléchir à cette affirmation. Je me l'interdis et rebondis aussi vite que je peux avec la première phrase qui passe par la tête, pour gagner en temps et réorienter la conversation.
-- Et qu'est-ce qu'il te dit d'autre ton cœur.
-- Que toi et oncle Addis, vous vous aimez bien, sourit-elle malicieusement. Il te regarde avec des yeux de prince et toi tu deviens toute rouge et agitée. Tati Blair a dit à maman qu'il veut te dévorer toute cru ; ça veut dire quoi concrètement ?
Oh mon Dieu ! Si je l'avais vu venir celle-là... Je vais mourir de honte, au secours ! Vite, vite, réfléchissons...
-- Tati Blair raconte des sornettes, bafouillé-je le regard fuyant. Oncle Addis va se marier avec Nicky. (Puis je tique en quittant le lit) Et ne croit pas que tu vas t'en sortir aussi facilement en détournant le sujet. Tu as menti et séché les cours. Tu dois me promettre de ne plus jamais le faire. Vas-y je t'écoute.
-- Je le promet, mais toi aussi tu promets de pardonner à papa.
-- Ce n'est pas pareil. Maintenant vas-y.
Vaincue, elle grogne, roule des yeux et lève ensuite la main droite avec nonchalance.
-- Je le jure.
-- Très bien, la félicité-je le pouce tendu, et marche par la suite vers ma commode pour perpétrer un geste de ma mère. Maintenant pour marquer le coup, je vais t'offrir mon bracelet en cauris, pour qu'il te rappelle ta promesse lorsqu'il te viendra en idée de la transgresser.
Mais j'ai beau fouiller, je le ne retrouve pas. Le front plissé, je fais courir mes méninges dans tous les sens. J'ai horreur de perdre mes affaires. Elles au moins, je suis censé être en mesure de les retenir près de moi...
La dernière fois que je l'ai porté c'était ce samedi où j'ai accompagné au Paramount Theater, la demoiselle qui besogne à remettre mon lit en état de l'autre côté. Nous sommes rentrés, je suis allée dans sa chambre, me suis déshabillée... L'ai-je enlevé à ce moment-là ? Un ange passe... Non, je l'avais toujours à mon poignet lorsque je suis redescendue boire le thé. J'ai ensuite bifurqué vers le bureau de Billy et là... Ah ! Il a dû se perdre dans le feu de l'action. C'est que l'action était si brusque, féroce, intense (ça suffit de remuer le couteau dans la plaie, merci !) ... J'irai le chercher là-bas tout à l'heure.
-- Ok, soufflé-je à pleins poumons. Clara, ça te dérange si je te l'apporte ce soir ? Je ne le trouve pas.
-- Pas du tout. Comme ça on pourra papoter un peu.
J'acquiesce heureuse, prise d'assaut par cette idée insistante dans ma tête.
-- Super. Et si on allait faire du vélo ? Il fait beau dehors... ça te dit ?
Elle opine derechef avec frénésie, les étoiles dans les yeux. Et sans tarder nous nous mettons en route. Shela m'apprend une vingtaine de pas plus tard, qu'Addis et mon père sont encore enfermés dans le bureau, alors je remets à ce soir, mon passage sur les lieux.
Dans la cour, je retrouve mes réflexes plus vite que je ne le croyais. Il y a seulement ces douleurs aux cuisses dû à mes cours de danses (pas croyable, valser c'est un sport !), mais elle ne m'empêche pas de profiter de la balade et de l'adrénaline en hausse dans mon sang lorsque je dévale les pentes. D'autant plus qu'il est davantage question de rétablir la bonne humeur de mon adorable mini pouce... C'est une réussite en tout point.
Nous slalomons sur les chemins sinueux conduisant à l'étang, puis au retour, entre les décorations, avec pour défi de n'en renverser aucune. Un pari tenu jusqu'à ce qu'on se rapproche du toboggan géant où sont immobilisés des régiments de nains de jardins verts et rouges ; et là, c'est le début de la catastrophe... Elle a tout de même le mérite de multiplier nos rires.
Oh, que je l'aime ma petite sœur... Elle est si gentille, si jolie, toute rose et ses petites dents... J'en ai le cœur serré, je vais m'en aller, l'abandonner...
Puis vient le temps la quitter temporairement --pour l'instant. C'est l'heure de mon cours de danse, et Addis qui s'en va rejoindre sa famille propose de l'emmener avec lui à l'Aquarium où elles pourront prendre des photos sous l'eau avec le père noël. Ça me réconforte, elle reste joueuse, bien que contrariée par notre séparation... La boule dans mon ventre enfle, enfle plus que jamais. Pourtant, impossible de faire marche arrière.
À cause de mon trouble, le cours est une catastrophe. Sans abandonner totalement son intransigeance, Jared se montre avenant... très enjôleur aussi. Il me susurre de jolies choses à l'oreille, balade plus que les autres jours, ses mains sur ma combinaison... m'embrasse sur la joue d'abord, puis dans le cou, puis sur la poitrine ; et quand je ne m'y attends pas, me propulse contre le mur pour me dévorer la bouche avec gourmandise. Et c'est bon ! Tellement bon, j'en ai des frissons dans le ventre, des courants secs et violents dans le palpitant. Quand il arrête, j'ai ce sourire aux lèvres, excitée par le fait d'être à nouveau aimée...
Séphora me raccompagne. Mon séjour me défile sous les yeux tout au long du trajet, des larmes me brûlent les cornées. Peut-être devrais-je renoncer à tout... Non, Billy m'a si souvent brisé le cœur. Pourquoi l'épargnerai-je ?
Il a beau être entourée de toutes ces magnifiques personnes, il n'en est pas une pour autant. Il faut qu'il goutte à sa propre soupe. Peut-être ainsi comprendra-t-il enfin l'ampleur de ses actes. Qui dit qu'il ne fera pas les mêmes erreurs avec Clara ? Pas partir loin d'elle comme il l'a fait avec moi, mais l'ignorer, ou même lui imposer ses volontés. J'espère lui donner une bonne leçon avec cette interview. Puis je lui dirai toute ma rancœur avant de me faire expulser. Les autres seront tristes certes, mais ils se pourraient qu'ils soient les seuls gagnants de l'histoire... Si Billy reçoit correctement mon message, il se peut qu'il change et s'améliore, une fois la colère passée.
Moi je perds définitivement un père, et n'y gagne rien, pas même la tranquillité d'esprit dont je suis venu à la recherche... Moi je ne lui pardonnerai jamais.
La maison semble déserte. Clara doit être sur le chemin du retour, Blair de source sûre est du côté de Westlake Centre, en train dévaliser les magasins, accompagnée de Kyo et de Phaung. Elle va irrémédiablement me voler mes amies, dès que j'aurais le dos tourné, celle-là. Les autres ? Aucune idée, et en ce qui concerne mon géniteur, je m'en fiche royalement. Tant qu'il n'est pas dans son bureau pour m'empêcher de retrouver mon bracelet, moi toutes les autres possibilités me vont : parti en Alaska, coincé dans les embouteillages, dors sous un pont, morgue, cimetière... j'en ai que faire.
Si seulement c'était vrai...
Profitant du désert, j'oblique avant de monter dans ma chambre, vers ledit bureau. Le timbre vocal quémandeur de Billy claque dans le vide avant que je n'entame le virage donnant sur l'allée où ils se trouvent.
-- Je t'en prie mon amour.
C'est alors que je reconnais la voix geignarde de la blonde en chef.
-- excuse-moi, mais c'est si dur parfois...
Et, en me référant à la rapidité de ses pas appuyés, je peux affirmer qu'elle coure dans la direction opposée à celle par laquelle j'arrive, manifestement vers le sous-sol.
-- Tiphaine attends ! Tiph...
Il souffle, l'air dépassé. Enchaîne aussitôt par un bougonnement de rage en écrasant son poing contre le mur, avant de se lancer à sa poursuite.
Plus anxieuse que soulagée, malgré tout, je m'enfonce après leur départ, dans le couloir. J'ai conscience de n'avoir que très peu de temps devant moi, ils pourraient revenir à tout moment. Alors je me dépêche. Mais où chercher ? Éparpillée comme je le suis, j'ai carrément zappé l'hypothèse qu'un des employés ait pu le ramasser en effectuant le ménage. Presque trois jours se sont écoulés depuis, pas sûr que je le retrouve ici. J'aurais mieux fait de suivre le couple pour essayer d'en savoir plus sur les causes du chagrin de Tiphaine qui, immédiatement entrainera celui de ma sœur. Entre mes propres observations, les révélations de Clara dans la matinée et cette scène, à mon avis, il y a du lourd là-dessous...
Et la pauvre femme, vas savoir pour quelle raison, j'arrive à sentir sa souffrance là, dans ma poitrine.
Quelle n'est pas ma surprise de retrouver mon bracelet aux côtés du téléphone de Billy ? Il l'a trouvé, et il allait le garder...
Je n'ai pas le temps de pester à mon aise ; l'inscription sur la chemise fermée au-dessus de son agenda m'impose une pause, le temps de prendre connaissance de son contenu... Et, le dossier médical ouvert, pas besoin de le parcourir en entier, pour entendre mon cœur se déchirer dans un bruit atroce tant le coup porté est d'une cruauté sans nom et d'une barbarie hors normes...
Je saigne malgré moi, abondamment, étonnement...
Oh non ! Pas ça, pas lui, pas encore, pas pour toujours...
La prochaine fois je poste des photos des deux protagonistes... Ça vous dit ?
Allez, je vous dis à très vite...
Ciao ciao
Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy.
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