Kè mwen

Billy est irrémédiablement le fin stratège que j’avais prédit. En affaire et dans le train-train quotidien. Mes sincères excuses d’ailleurs à sa grandiose intelligence, pour avoir pensé être une de ses exceptions. Sa maladresse. Moi la petite chose, moi, si peu de choses.

Non, il ne perd pas le nord. Jamais. Et surtout pas pour Rockalia. Car après m’avoir entraîné dans les sentiers glissants de ses pseudos remords, allant de « Je tiens à l’avoir cette conversation chérie, j’ai à te dire. Peut-être pas assez pour faire taire toutes les interrogations immobiles dans tes yeux, mais quand-même. Par-dessus tout, je souhaite t’entendre, et pourquoi pas, absorbée un peu de cette colère. », nous avons sitôt atterrit à l’essentiel, ––tout ce que je suis uniquement aux yeux de ma Giselle d’amour–– à Clara : « Tiphaine m’a dit que tu étais d’accord pour l’accompagner. Elle se fera une joie de l’apprendre. Je la sens un peu triste en ce moment. »

Si je me suis sentie bafouée ? Très ! Malheureusement, j’étais déjà toute cuite, avec un niveau de culpabilité menaçant de percer le plafond, et ma valise remise à sa place. Comme je suis sentie minable après son départ, après qu’il m’ait lancé non sans un mépris évident sur le faciès « tu peux garder ta poupée ».
Ah ! Au moins ma sainte colère a repris ses droits. Et ainsi ai-je convenue de boire un café avec la journaleuse, mercredi prochain, à Pioneer Square. Je me suis assise sur cette même chaise verte aux finitions dorées et forgées, devant le miroir de cette coiffeuse qui l’est tout autant, et me suis-je répétée, les globes rouges et hors de leurs orbites, de ne pas pleurer, jusqu’à ce que l’envie se dissolve.

Puis j’ai appelé ma mère. « Princess », ainsi ai-je été accueillie, avec une joie aussi longue et tonitruante que le vrombissement d’une voiture en plein démarrage. L’euphorie dans sa voix était tout autant au rendez-vous que l’est le soulagement chez tout conducteur ayant peiné à réanimer un moteur. Qu’est-ce que j’ai été heureuse ! Maman m’aime au moins, ma manman elle, m’aimera toujours. Et j’ai pleuré de joie lorsque dans la foulée, elle a lâché au milieu de rires et des braillements d’un Ocean très déterminé à traverser l’écran pour se blottir contre sa maman : « je peux enfin respirer. » Malgré les larmes brulantes qui pour une fois portaient le nom du bon, ––mon adorable garçon visiblement tourmenté par mon absence–– mon visage s’est égayé. Je suis son oxygène, y a-t-il plus important, spécial et cher que ça ?

La réponse est venue d’elle-même, la tristesse m’a quitté à la seconde, pour laisser place à la tiédeur béate d’une reconnaissance sans fond. Et je suis allée dehors, célébrer le timide soleil au zénith, remercier le vent glacial, j’ai offert un sourire à la nature. Le même que je m’offre à moi-même devant la glace dans un accoutrement des plus simplistes : un jean sous des bottes à talons bas en cuir, et un bomber noir comme le bas de ma tenue, au-dessus du pull rouge à motifs verts, tricoté par mon amour de mère.

–– Mini pouce, tu es prête ? beuglé-je par pure mauvaise foi, dans les couloirs, jusqu’à ce que je la distingue du haut de l’escalier, plantée dans le salon, à côté de Daisy dont le rictus narquois contraste avec la moue assassine de ma petite sœur. Eh bien, tu sens quel froid il fait là dehors ? Où sont tes mitaines ?

Les mains rangées dans les poches de sa parka blanche assortie à son bonnet, elle me toise de toute la petite méchanceté ––qu’on ne soupçonnerait pas avec les airs angéliques qu’elle affiche d’habitude. Celle-ci s’empresse de gonfler les joues, les lèvres froncées. Mini pouce ne compte pas me répondre. À sa décharge, je ne me suis toujours pas excusée pour la frayeur que je lui ai faite.

–– Elle n’a pas voulu en mettre tout à l’heure et mademoiselle est difficile à convaincre.

Ah ! Un redoutable femme d’affaire en devenir. C’est de famille ça !
Je voudrais sourire, mais c’est un soupir d’exaspération qui s’échappe.

–– Tu vas mettre tes mitaines ou alors, pas de Frost ce soir jeune fille. On va pas me mettre ta mort sur le dos aussi, si ?

Elle n’a pas nonchalante comme moi, mais bel et bien aussi guindée que sa mère, et dédaigneuse comme sa tante. Aussi il n’y a aucun hasard dans la lenteur qu’elle met à retirer ses mains de ses besaces avant de détourner son visage.

–– Je m’appelle Clara, minaude-t-elle, chère sœur. Et non, je ne mettrai pas de mitaines.

–– Ouh, je vois ! Papa et maman ne sont pas là, alors on sort les cornes !

–– Qu’est-ce que ça peut te faire, que j’en mette ou pas ? Tu t’en fiches non ?

–– Pas quand tu es sous ma responsabilité et que les portes d’une prison font partir des alternatives, si jamais il t’arrive le moindre bobo.

–– Tu n’exagères pas un peu là ? Qu’est-ce qu’il pourrait bien m’arriver ? Au pire une petite grippe de rien du tout. Il faut te calmer la sorcière.

La bouche au poids mort, je la regarde célébrer sa petite victoire du jour, par le coin gauche de ses lèvres froissé de malice. La chipie se marre… Ah, ah ! Elle peut toujours les attendre mes excuses. Voilà qu’elle vient de me faire passer l’envie de me plier à les lui présenter. Si c’est pour recevoir un accueil aussi chaleureux, autant m’étouffer avec ma culpabilité.

–– Tu m’as appelé comment là ? Sorcière ?

–– Moi ? m’accable-t-elle de son innocence (plus pacotille, tu meurs !), devant la présence absente de sa nounou. Non, non, tu t’es baptisée toute seule en m’intimidant avec ta poupée vaudou maléfique.

–– Elle n’est pas maléfique, me sens-je obligée de me défendre.

Ou plutôt, de défendre ma mère, parce que moi, des religions et des croyances, je n’en ai rien à faire.

–– C’est toi qui l’a insinué.

–– Peut-être, mais ton père et vous tous le pensiez bien avant mon arrivée ici, j’en suis certaine. Ce qui est complètement faux. Le vaudou est une religion comme un autre. Ma mère et ma tante sont exemplaires et aussi pieuses que n’importe lequel de vous ici. Par contre ce n’est pas le sujet, alors tu montes mettre ces mitaines de malheur !

L’œil brillant, faisant foi d’une coulée de larmes à venir, elle retrousse le nez, plis le front et s’interdit de battre des sourcils pour ne pas s’abandonner à cette envie chagrine. J’en ai un détestable pinçon au cœur, je me suis encore défoulée sur elle.
Putain de honte incarnée…
On ne fait pas plus vache que moi dernièrement.

–– Dans ce cas, nasillarde ma petite sœur, moins enjouée tout à coup, tu vas toi aussi te couvrir te la tête et le cou.

Ouais, c’est vraiment un truc de famille ça… Acculée par le temps et mes sentiments, je ne discute pas cet ordre. L’heure est plus à la fuite qu’à autre chose, le remord menace de me perforer la peau.

De l’air, de l’air, ça décante tout.
La prévision était sûre, je reviens sereine, chargée de bonnes résolutions, prête à repartir sur de bonnes bases. Je lui prends la main, la choque au passage. Elle ne l’exprime pas verbalement, mais son regard inquiet ne trompe pas, là où la persistance de sa moue grincheuse justifie son mutisme. Mademoiselle teste la sincérité de ce geste plus inespéré que doux. Si elle n’était pas d’une pâleur ambre comme sa maman, j’aurais juré avoir ma copie conforme sous les yeux. Ça me fait sourire. Et pour une raison floue qui le restera, elle m’imite, jusqu’à ce que le taxi commandé quelques minutes avant prenne forme devant nous.

–– Mais, bégaie la gamine en tirant sur mon bras, elle est où Sephora ?

–– Je lui ai donné sa soirée mini pouce.

Elle tique, puis roule des yeux.

–– C’est Clara, s’agace-t-elle sur un ton las, mais bougon. Je ne prends jamais de taxi, j’ai mon chauffeur. C’est Sephora.

–– Moi j’en prends tout le temps ma petite. Et puis estimes-toi heureuse, j’aurais pu décider qu’on y aille en bus. Allez viens.

Je tire, elle tire. En voilà une application fiable du théorème des actions réciproques. Ça m’apprendra à avoir les mains aussi molles. On n’a pas avancé d’un pas. Enfin, si, j’ai bougé mais elle nous a fait revenir à la même place.

–– Ce n’est pas un caprice Rock. Une de mes camarades de classe a disparu voilà un an déjà, et on n’a toujours pas de nouvelle d’elle. Elle est sortie dans la rue toute seule.

Beaucoup plus peinée par le fait qu’elle si peu de confiance en moi, que par la disparition de cette enfant dont je ne sais rien, je me mets à sa hauteur pour lui tenir les joues, comme le fait d’habitude ma mère, comme l’a fait la sienne il y a quelques semaines, avec tendresse, encline à la rassurer, et même si c’est autant difficile à croire qu’à effectuer, à me racheter également.

–– Je suis désolée pour ton amie. Mais promis, il ne t’arrivera rien. Tu es avec moi et… je ne tiens en aucun cas à connaître de quelle couleur sont les murs d’une prison, opté-je pour cette réponse-là à la dernière minute, devant la petite fille amusée pour, Dieu sait quelle raison. Rien ne vaut la liberté, je t’assure. Plus important encore, ma famille m’attend avec impatience. Allez, maintenant monte, la troupe de noël t’attend toi aussi.

Les lèvres toujours étirées, elle acquiesce et s’exécute. Nous nous installons sur ses joyeuses questions liées au films d’animation qui nous réunit ce soir, après qu’elle ait aimablement saluée et remerciée le chauffeur pour sa patience. L’espace de ce petit voyage, nous devenons non pas deux sœurs (ce serait trop dire), mais deux sympathisantes, cordiales et ouvertes, l’une envers l’autre, ce qui lui offre la latitude de me larguer le plus choses possibles dans les oreilles. Elle a cinq copines, parmi lesquelles deux sœurs jumelles noires dont le regard gris la laisse sans voix. Elle est cheffe de sa classe, mais a du mal à assumer son autorité auprès de ses camarades. D’après Riley son amie du jardin d’enfant, ça la rend moins cool. Il y a aussi ce garçon qu’elle n’arrive pas à déclasser, et pourtant elle essaie. Papa dit que ce n’est pas grave, mais elle a horreur d’être reléguée au second plan, (si ce n’est pas ça un air de famille) alors elle s’accroche, elle ne perd pas l’espoir d’y parvenir. Dernièrement l’école l’ennuie, elle a hâte de le prendre ce congé… Et, ah !

–– Est-ce que tu fais du vélo ?

Billy lui a dit que oui. Il a néanmoins oublié d’utiliser le temps verbal adéquat. J’en faisais, jusqu’au jour où il est parti, parce que je n’en faisais généralement qu’avec lui, parce qu’il m’a appris, parce qu’en faire me le rappelait.

Par chance, le taxi stoppe pile poil à ce moment-là, propice à la diversion que j’improvise aussitôt. Il s’en aurait fallu de peu pour que je remette la fontaine en marche. Cela m’épargne aussi d’avoir à lui mentir. Assurément, j’aurais tout nié, vue comment ça puait l’invitation à plein nez. Billy, je le blaire de moins en moins ; et plus il y aura de la distance entre nous, mieux tout le monde se portera…

Oui, oui, je peux me montrer raisonnable. Mes foudres ne sont destinées qu’à un seul. Enfin, deux, mais le second, je n’ai aucun moyen de l’atteindre. Lui le peut par contre, l’urgence est donc au replie avec lui. Je me protège, protège mon cœur, reste loin : je jouerai les indifférentes jusqu’à ce que mon cœur soit lobotomisé.

Ça ne peut pas faire plus mal que leurs deux corps emboités dans mon esprit, ça.

–– C’est quoi ce sourire ?

C’est ma peine, dont je préfère me moquer dorénavant.

–– Les lumières, elles ont quelque chose non ? Tu ne trouves pas ?

–– Non.

Du vert et du rouge sur tout le long de la voussure d’entrée. Le Paramount Theater est enluminé et illuminé. Mais non, elle a raison, elles n’ont rien les lumières, c’est moi qui ait du blues dans l’âme. Désespérée de ne plus savoir m’en débarrasser, je gigote comme un Homme à la mer. Toute émotion positive est sujet à l’espoir en moi. Et comme la lumière, naturellement l’incarne…

Nous pénétrons dans le foyer du théâtre, main dans la main. Clara inspecte les alentours, à la recherche des jumelles. Elles doivent déjà être installée, conclut cette dernière après plusieurs coups d’œil ingrats. Et ses soupirs de déceptions nous accompagnent vers la salle de projection : une beauté, sous des illuminations orangées, contrastant agréablement avec le bleu de la scène. La tendance est définitivement aux voûtes par ici. Du toit à l’agencement des sièges, en passant par les sculptures sur les murs et la façade du plateau, tout est magnifiquement courbé.

Le film ne tarde pas à commencer. Ce n’est pas un supplice, cependant j’ai dépassé l’âge de croire en la magie. Quelque part, il a bien raison le Boogyman, la féerie n’est qu’une illusion, et les cauchemars très souvent, battent les rêves. Du reste, la vie est un cauchemar matérialisé…  Du coup, je trouve le temps hyper long. On parle de quatre-vingt-dix-sept minutes quand-même, ce n’est pas rien.
Ce n’est donc pas l’envie qui me manque de crier à tue-tête « Alléluia » lorsque l’heure de rentrer sonne, mais bien le courage. La honte ne tue pas, toutefois la réputation reste. Vue le futur auquel j’aspire, je ne pense pas que bouffon de théâtre puisse y figurer en bonne place… Non, on va s’abstenir.

–– C’était cool non ?

–– Ouais, plutôt pas mal, évalué-je. Mais dis, tu as vraiment eu peur quand il a brisé et jeté le bâton de Frost ? Tu m’as broyé la main, jeune fille.

–– Tu n’as pas entendu les cris d’horreur dans la salle ? Je n’étais pas la seule je te signale. Alors ne va pas me traiter de mauviette sœurette.

Sœurette ?

Je n’ai pas plus de temps que ça, de cogiter sur cette appellation, car dans un joyeux vacarme, elle s’élance vers…

–– Ah vous voilà les filles ! Mais vous étiez passées où ? Je vous ai cherché partout. Même dans la salle ! (Elle se ravise, de son propre chef et délaisse temporairement ses amies) Bonsoir mon oncle. Coucou ma tante. Rock, je te présente Tami et Larissa, mes amies, et Jamie leur petit frère. Les filles, ma sœur pas très cool, mais qui l’est en fait.

Une vraie pile électrique soudain, la gamine. Moi je n’ai jamais été aussi amorphe de ma vie. Coincée entre flammes et inlandsis, tout se saccade en moi. Sous le bloc entier et froid de mon corps couvert, se succèdent en réalité un ensemble de réactions toutes plus brutales les unes que les autres. Tectonique des plaques, séisme, tsunami, volcanisme, ouragan. Mon pouls me promet la tachycardie et ma peau, la combustion instantanée, pourtant ni mon cœur, ni mes entrailles n’ont jamais été aussi gelés. L’un martèle et c’est lourd, les autres se déchirent et c’est atroce. Au même moment, les deux pulsent, ne propulsent rien de plus horrible qu’un froid précambrien.

Mon cœur.

Je voudrais tant qu’il ne soit pas celui à qui est destinée cette appellation. Mais hélas, il l’est. N’est-ce pas lui qui vient à l’instant de rappeler que j’en ai un, fait de chair de sang et d’eau ? Pour toute réponse, l’organe se tasse un brin, lorsque je me soustrais aux spinelles noires estampillées sur ses cornées blanches, pour m’émerveiller comme m’avait prévenu Clara, devant les iris bleu-gris des jumelles ––ses filles.  Qu’elles sont belles !

–– Salut Rock ! s’écrie ces dernières d’une seule voix.

–– C’est vrai que t’as des poupées maléfiques ? enchaîne l’une d’elle.

–– Et que tu peux lancer des sors ? termine l’autre.

La honte ne tue pas, la honte ne tue pas, la honte ne tue pas.
Euh… Quand on est l’amoureuse éconduite de l’histoire, devant… j’aurais dit rivale, mais pour cela il faudrait encore qu’on soit deux engagées dans la compétition. Or, là c’est clair, nous sommes loin du cas de figure. Non seulement elle semble n’être au courant de rien, mais elle, elle l’a toujours eu, tandis que moi, je ne l’aurai jamais.

Enfin bref, la honte me tue à l’instant. Que de dire de sa plastique alors ? Elle m’enterre tout bonnement. Je savais bien que j’aurais dû écouter la coiffure lorsque celle-ci m’a assurée que des braids violets, plus fins et plus longs faisaient plus branchés. Le rendu sur elle en tout cas, l’est. Avec son regard hallucinant, dix fois plus. Ça m’apprendra à écouter les professionnels. À côté d’elle je suis forcée de reconnaître que je parais banale. Et si ce n’était que sa coiffure… Ma rivale (qui l’est exclusivement dans ma tête de folle), en plus d’être parfaitement éligible à miss monde, est d’une élégance sans faille, assise avec aisance sur le code atemporel de la grâce et du luxe, je m’en vais citer : la simplicité. Elle rayonne dans un pull blanc ultra large à col roulé, et un pantalon noir savamment enfoncé dans des cuissardes en daim, de la même couleur. Ces dernières lui donnent douze centimètres de plus…

Ah, il les aime grandes !

Mais qu’on soit d’accord, même dans la catégorie, je reste la dernière de la classe. La déesse nubienne, là aussi, me surclasse de quelques centimètres. Non, je ne peux plus croire maman quand elle dit que je suis la plus belle au monde. Ce ne serait pas trop non plus, de me dire que je peux bien aller me rhabiller.
Oui, je vais faire ça.

–– J’ai la sœur que je mérite, je suppose, ironisé-je, crispée. Pour ce qui est des confidences entre sœurette, l’imité-je en roulant des yeux, on repassera.

–– Oups, fait la gamine, réellement navrée si je m’en tiens à sa grimace.

–– Alors, c’est vrai ou pas ? insiste une des jumelles.

–– C’est bon Tami, la fustige gentiment son père. Tu verras ça avec Clara, qui va se faire un plaisir de rétablir les faits. Hein, ma puce ?

–– Oui mon oncle, maugréé la concernée, refroidie par l’inquiétude.

D’un geste vague, ce dernier leur donne la permission de s’éloigner un peu pour papoter, comme elles semblent pressées de le faire, mettant ainsi mes plans en mal. Où est-ce que je me terre moi, maintenant ? Comment je m’y prends pour dissimuler mon trouble, mon mal-être, ma rancœur, ma jalousie, devant sa fiancée et leur poupon qui, même s’il n’a pas la peau aussi claire qu’Océan, ne lui ressemble pas moins pour autant ? Ils ressemblent surtout à leur papa. Si je me réfère aux indications de sa mère, là au moins je l’ai devancée. Ocean est son aîné de deux mois. Quoiqu’en y réfléchissant, je ferais mieux de ne pas m’avancer. Il y a encore une ombre sur le tableau. Ocean est né prématurément, rien ne confirme que je sois tombée enceinte avant elle.

–– La fameuse Rockalia, ponctue futur madame Newton après avoir confié l’enfant à une femme que je n’avais pas remarqué jusque-là. Je n’ai pas eu l’occasion de te saluer à la soirée.

–– Ouais c’est moi, m’essayé-je à badiner, en veillant bien de garder mes mains dans mes poches. La sorcière.

Elle non plus ne semble pas tenir à mes serrer la main, c’est parfait. Chez les fourbes, je ne suis pas la reine. Enfin, je ne le suis pas encore. Ça a beau être la période électorale dans mon for intérieur, ces derniers temps, avec la tonne dilemmes qui se posent à moi, malgré cela je ne dirais pas que ma conscience soit en fin de mandat ––je garantis pas sa réélection non plus. J’en ai marre d’être dans l’attente d’un retour de bâton. Dieu récompense les bons, dit maman, pourtant il n’a pas cessé de me pleuvoir de la merde dessus.
Tiens, même mon accouchement a été difficile, après une gestation périlleuse ! Je pari que le sien s’est passé super bien. Moi j’ai dû mettre mes études en stand-by, à cause de la toxémie.

–– Nicole, mais appelle moi Nicky. Et oh excuse-les. Tu connais les enfants… leur effronterie leur joue des tours. Sinon, tu as un très joli pull.

Ah ! Elle a en plus un prénom de célébrité…

–– Merci, c’est ma mère qui l’a tricoté pour moi.

Elle réussit à me voler une douce émotion avec ce compliment-là, avant de tout faire capoter à nouveau en ayant la bonne idée se lancer dans la lecture du petit message inscrit dessus.

Au secours !

–– Ocean et maman aiment maman. On dirait un message.

–– Qui est Ocean ? s’implique sur ce, son fiancé.

Badaboum ! Mon cœur explose. Catastrophe ! C’est bel et bien une bombe ça.

Maman et ses idées ! Je fais quoi moi, maintenant, pour me sortir de là ? Deux alternatives pour un mensonge de qualité : balancer un truc tellement éloigné de la vérité et surtout de l’espace-temps, qu’il sera impossible à retracer, ou déformer stratégiquement la vérité. Sauf qu’à bien y penser, rien ne m’oblige à répondre à cette question. Nous ne sommes pas grand-chose l’un pour l’autre, je ne lui dois rien.

Tout devient plus facile.

–– C’est personnel.

–– Ah !

Je vais finir par piquer une crise s’il continue à afficher cet air surpris à chaque fois que je me montre froide et distante avec lui, comme si je comptais, comme s’il me voulait, comme s’il regrettait.

–– C’est vrai chéri, nous ne sommes pas assez proches. Je comprends qu’elle soit assez timide avec nous. Toutefois Rockalia, j’espère que nous apprendrons très vite à nous connaître et deviendrons de bonnes amies. Qu’est-ce que t’en dis ?

Chéri, ses mains calées sur ses omoplates, leurs bébés… qu’est-ce que j’en dis ? Bah, que ma vie est pourrie.

–– Je suis juste de passage, alors…

Je hausse les épaules.

–– Tu pars le vingt-sept, c’est ça ?

Comme d’habitude, sa voix m’ébranle le buste. C’est le même frisson et le même trajet qu’au premier regard, allant de mon abdomen à ma gorge, pourtant je jurerais être en train de ressentir quelque chose d’inédit. Calme, posée et basse, elle dégage un magnétisme fou. Il le porte en lui, il me rend folle. D’amour, de désespoir, de douleur.

–– Oui c’est ça, me hâté-je en acquiesçant frénétiquement. Et là, je dois m’en aller.

Les mains moites, le cœur et le corps en berne, je me raccorde à nouveau au monde environnant (enfin !) ; à la musique diffusée en douceur par les enceintes hors de portée, à la foule qui circule, ricane et converse, animée autant par l’euphorie des enfants que par celle de la Noël en approche. Les fêtes de fin d’année en émoustillent plus d’un. Tous le sont chez les Davis en tout cas.

–– Clara on lève les voiles !

–– Déjà ? Oh non…

–– Le contrat n’incluait pas les meetings politiques mini pouce, la taquiné-je en pointant de l’index leur petit trio. Grouille !

–– Tu crois qu’elle va, lui jeter un sors si elle ne se dépêche pas ? s’enquiert en toute innocence, Tami que j’arrive à distinguer maintenant avec sa boucle en moins, sur un ton qu’elle voudrait confidentiel.

–– Non, renchéris-je amusée, mais crois-moi, tu ne veux pas savoir ce qui l’attend. Allez sœurette, on rentre à la maison maintenant.

Je lui laisse le temps d’embrasser tout le monde. De ma part, ils ne reçoivent qu’un signe fébrile de la main en guise d’au revoir…

Il n’en est malheureusement pas un. Car à peine Clara et moi mettons le pied dehors, qu’une horde de flashs aveuglants, de micros envahissants et de voix assourdissantes à vriller les tympans, nous assaillent.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top