L’ambiance avait changé au sein du bar. La tension s’était incrustée dans l’atmosphère chaleureuse. D’une certaine façon, l’air chaud s’était refroidi, comme si le poêle avait cessé de fonctionner.

— Comment avez-vous obtenu ce livre ? Quelle est votre relation avec Raphaël ? C’est vous qui avez créé ces cartes, ce jeu, cette quête ?

Trop de pression, trop de questions. Cela faisait maintenant presque deux heures et demie que Donna était partie de chez elle, alors, elle avait explosé. Tout avait été déchargé contre ce barman, qui sûrement n’en savait pas plus qu’elle, mais, au fond, elle espérait qu’un tel tsunami d’interrogations suffirait à éclaircir tous les mystères autour de sa quête. Le vieil homme bourru souffla avant de répondre.

— Je comprends que vous soyez surprise, mais sachez que je n’ai pas réponse à toutes vos interrogations.

Après une pause, il reprit devant le regard inquisiteur de Donna.

— Raphaël était mon fils. Poète émérite, reconnu dans les sphères avant-gardistes, il a innové autant que les grands noms que nous étudions à l’école. Il est parti dans une quête étrange durant une veillée de Noël, un peu comme vous. Il m’avait confié qu’il n’arrivait plus à écrire depuis plusieurs semaines. Beaucoup de coïncidences, vous ne trouvez pas ?
— Sans aucun doute… Mais revenons-en au livre. D’où vient-il ?

Encore une fois, le barman marqua une pause, comme pour marquer le sérieux de ses dires.

— Raphaël n’a jamais écrit cet ouvrage. Je le sais, car il me l’a dit lorsqu’il m’a confié ce livre. C’était quelques jours avant sa disparition, il y a trois ans. Il m’a raconté qu’il l’avait trouvé en suivant les points rouges de cette foutue carte. Il m’a recommandé de ne jamais l’ouvrir, alors je ne l’ai jamais fait. Puis, lorsqu’il est mort, je me suis refusé l’idée même d’y repenser.
— Et je viens perturber tout ça, génial ! J’adore avoir les plus beaux rôles dans le casting.

L’ironie de Donna ne détendit que peu l’atmosphère. Cette chasse au trésor faisait intervenir bien trop d’éléments mystiques et paranormaux pour laisser le rationnel faire la part des choses.

— De toute façon, qu’avons-nous à perdre à l’ouvrir ? Vous n’avez personne, moi non plus. Alors bravons notre peur et débusquons la vérité dans ces ténèbres occultes.
— Qu’est-ce que vous voulez faire ?
— Ouvrir ce livre.

Trop tard pour l’en empêcher : Donna avait déjà ouvert en grand les Poèmes de Revoar, bien décidée à percer les secrets derrière tout ce remue-ménage. Les pages du livre tournèrent d’elles-mêmes ; et devant deux personnes apeurées, une magie prit place et ouvrit un portail vers un autre monde. Sans même pouvoir fuir ou crier, ils furent happés dans le trou béant reliant une autre dimension. Avant de perdre connaissance, ils ouirent une voix semblant provenir des tréfonds de la terre.

— Bienvenue à Revoar. Tout ici ressemble à la Terre, sans être tout à fait la Terre. Bienvenue dans mon royaume, où le temps est éternellement figé et l’espace infiniment étendu. Bienvenue en mon domaine, dans lequel votre quête est amenée à continuer. Vous voulez des réponses, je les ai. Vous désirez comprendre, et je peux vous faire savoir. Vous êtes en quête de tout car vous ne possédez rien.