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Donna regarda autour d’elle ; il s’agissait d’une très petite place avec un très grand sapin, éclairée par des décorations de Noël clignotantes dans la brume et un réverbère enneigé. Le petit homme avait vraiment disparu.
Donna poussa un soupir qui envoya balader un cœur de vapeur devant elle, fronça les sourcils et puis fit un pas vers le sapin. De près, il était très clair que le cadeau n’était pas seulement d’une forme étrange mais aussi grossièrement emballé, en patchwork de papiers brillants et morceaux de scotch très imaginativement collés sur le paquet qui, Donna nota, était drôlement imposant.
Donna posa deux mains mouflées sur le paquet, conclut qu’il abritait une sorte de structure métallique étrange et, subitement prise d’une irrésistible curiosité, déchira le patchwork de papier en deux gestes experts.
Elle plissa joliment le nez, comme elle le faisait souvent quand elle était prise de consternation, parce qu’elle l’était, et libéra sa main gauche du gant de laine feutrée pour caresser des doigts le bois vernis de la luge. Le grand flocon qui clignotait vert et rouge au-dessus illuminait son visage de vert, de rouge, de vert et encore de rouge en ombres chinoises.
C’était une vieille luge de bois pleine de cicatrices sous les doigts de Donna ; elle avait l’air d’avoir vécu. Donna très rapidement décida qu’elle l’adorait.
Alors qu’elle inspectait la luge, un bruit comme celui d’une branche qui craque résonna dans son dos. Donna se retourna dans un sursaut mais, bien sûr, elle était seule. La place était toujours aussi vide qu’elle l’était une minute auparavant.
Il se trouvait qu’elle avait lu suffisamment de livres pour savoir qu’il était temps de partir ou au moins de se rendre à son prochain point avant que d’autres branches ne se mettent à craquer, et elle saisit la lanière de cuir rouge qui servait à traîner la luge. Il y avait juste assez de neige pour que le transport n’en soit pas pénible, mais elle doutait de pouvoir s’en servir - en tous cas en ville. Pour trouver plus de neige et des pentes il lui faudrait monter dans les hauteurs, vers le chalet.
Non sans jeter un dernier regard par-dessus son épaule, Donna se mit en marche. Il fallait qu’elle retourne vers la place centrale, maintenant. En dépassant des fenêtres éclairées, elle ouvrait de grands yeux d’enfant ébahi et elle s’enfonçait un peu plus dans son écharpe et son épais manteau.
Il lui venait soudain à l’esprit à quel point elle était seule.
Elle était en colère contre elle-même en quelque sorte. Passer les fêtes seule dans un chalet isolé, quelle idée elle avait eu? - surtout que le fichier de son prochain roman à succès était toujours aussi vide, si l’on oubliait les mots magiques.
Je suis déjà passée ici, pensa au bout d’un certain temps Donna en s’arrêtant devant une façade décorée.
Il était possible qu’elle ait été en train de tourner en rond.
Toutes les ruelles du centre-ville se ressemblaient ; sol pavé, charmantes et vieilles façades décorées et le tout enneigé. Il n’y avait personne dehors - après tout on était un jour de réveillon de Noël, il était minuit moins trente et il faisait très froid. Qui d’autre sinon Donna se serait retrouvé dehors un soir de 24 décembre ? Qui d’autre sinon Donna aurait suivi un inconnu étrange jusqu’à une place bizarre ? Qu’est-ce que Donna allait bien faire pour - oh.
La luge vint buter contre ses chaussures quand Donna s’arrêta net.
Bienvenue au marché de Noel, indiquait un panneau très abîmé. Elle était arrivée devant une autre place où un marché de Noël, quoique désert, était tout illuminé.
Donna serra la lanière de cuir de la luge contre elle, dans ses moufles, et entra.
Des camionnettes et stands prenaient toute la place, zigzaguant entre de massives décorations de Noël et des sapins de toutes les couleurs.
“Bienvenue au Marché de Noël!”, fit une voix très enthousiaste à sa droite - une femme d’une cinquantaine d’année portant une chapka mauve, observa Donna en se tournant après avoir frolé la crise cardiaque. C’était une camionnette de marrons chauds.
“Qu’est-ce que vous faites ouverts à cette heure-ci?,”, s’étonna Donna en tirant la luge derrière elle.
“Le Marché de Noël est toujours ouvert quand on a besoin de lui,”, répondit la dame à la chapka en coulant à Donna un regard malicieux.
“Oh,”, fit très simplement Donna. La femme lui indiqua les marrons et Donna hocha la tête. Elle avait très froid, et en vérité seul le bout de son nez rougis sortait encore de son écharpe et de son bonnet.
“Je ne vous ai jamais vue dans le coin,”, remarqua la femme alors qu’elle versait des marrons dans un gobelet de papier journal, armée d’une très grande louche.
Le marché de Noël était éclairé par des lampes violettes, et un stand de fleurs sentait très fort, l’odeur se mélangeant à celle très sucrée des marrons chauds et du chocolat chaud.
“Et pourtant si,”, répondit vaguement Donna, les yeux rivés sur la louche. Un vieil homme venait d’arriver vers la camionette lui aussi, et après un échange de regards brillants la femme se baissa sous le comptoir, visiblement à la recherche de quelque chose.
Donna, se rendant compte qu’elle devait avoir l’air terriblement impolie, ajouta, “Mais je suis là pour les fêtes seulement. Je dors dans le petit chalet, plus haut.”
La femme poussa une exclamation depuis le dessous du comptoir, et en sorti toute décoiffée, chapka sous le bras et très grande bougie en forme de nain de jardin serré très fort contre elle.
“La maison de l’écrivain, donc,”, soupira la femme en tandant finalement la bougie au vieil homme.
“Oh, merci, mais je ne suis plus vraiment sûre de l’exactitude du terme.”, ria Donna avec un air un peu triste. La femme était de nouveau concentrée vers une étagère du fond et Donna s’aperçu que le vieil homme portait des patins à roulette oranges.
“Oh, non, mais je parlais de l’autre écrivain,”, dit au nez rougie de Donna la femme en se retournant. Elle semblait tendre au vieil homme un sachet d’araignées. Donna écarquilla les yeux, se penchant vers le sachet malgré elle.
“Pardon ?”, fit Donna, poliment, en s’écartant du monsieur aux araignées. Mais la femme lui tendait maintenant le sachet de papier journal des marrons chauds.
“Attention, c’est chaud,”, l’avertit la femme.
Hélas, un autre client venait d’arriver et Donna compris qu’elle n’aurait pas de réponse. C’était décidément une drôle de nuit. Elle baissa les yeux sur le cône de papier journal ; c’était vrai que c’était très chaud. Donna était contente d’avoir les moufles. Elle décida de garder le cône dans sa main gauche, et de traîner la luge de la main droite.
“Jolie luge,”, fit, encore une fois, une voix - gauche cette fois-ci, alors que Donna passait sous une grande lune jaune en papier mâché. C’était le vendeur de chocolat chaud. “Chocolat chaud?”
Il avait une barbe blanche et des yeux rieurs. Et un pull de Noël délicieusement immonde.
“Volontier.”
Le vieil homme se mit à la tâche. Donna retira sa moufle droite, puis la gauche, et saisit un marron sur lequel elle souffla. Ça lui brûlait les doigts, de la meilleure des manières.
“Vous parliez de l’écrivain?”, demanda soudain le vendeur de chocolat chaud. Donna leva les yeux, soudainement très concentrée sur le vieil homme. De ce qu’elle voyait caché derrière son dos, il faisait fondre des morceaux de chocolat.
“Je crois,”, elle répondit en épluchant le marron. Ses doigts étaient encore tout engourdis par le froid mais la brûlure du fruit aidait, en quelque sorte.
“C’est le poète qui habitait dans le chalet. Un bon garçon. Les gens disaient de lui qu’il était excentrique et mal-élevé, je pense juste qu’il avait besoin d’un ami. Il faisait de très grandes fêtes, on a même vu Leonardo DiCaprio un jour,”, souffla le vieil homme en se tournant vers Donna, baissant la voix comme s’il lui livrait un secret.
“Vraiment?”, fit Donna en soufflant encore un peu sur le marron. Le vieil homme, très satisfait de son effet, hocha la tête avec un air suffisant.
“Le pauvre enfant. Il a mis en scène sa mort 4 fois, vous savez, et puis un hiver il est vraiment mort. Personne ne sait vraiment comment. Une histoire de poison, il paraît. Certains pensent qu’il est encore là. La vendeuse de santons dit qu’il l’a hantée pendant deux mois pour se venger de la fois où elle l’a pris comme modèle pour son santon et s’est ratée,”, termina le vendeur de chocolat chaud en remuant sa marmite avec un air lugubre.
“Intéressant. Dites, est-ce que vous pouvez m’aider?”, demanda Donna en se hissant sur la pointe de ses pieds. Elle tacha de sourire pas dans son écharpe mais au vieil homme, qui eut l’air de briller.
“Bien sûr! Je suis la meilleure personne que vous trouverez en matière d’aide ici.”
Ni une ni deux, Donna posa le cône de marrons sur le comptoir et sortit la carte de la poche de son manteau, et pointa du doigt le cercle rouge qu’elle devait maintenant trouver. À la vue de la carte, le vieil homme eut ce que Donna jura être un sourire en coin.
“Je vois. C’est de l’autre côté de la forêt, vous allez avoir besoin de la luge.”
“J’ai bien peur qu’il n’y ait pas assez de neige pour la luge.”
“Je pense qu’il y en aura assez,”, fit le vieil homme.
Donna s’aperçut alors qu’il neigeait. “Oh,”, elle dit.
Elle regarda le ciel. La brume, les flocons qui tombaient sur elle - c’était un de ces moments hors du temps où le silence, irréel, éttouffait tout le reste avec du blanc.
“Maintenant, écoutez moi,”, reprit le vieil homme, espiègle. Donna écouta. “C’est tout simple, vraiment,”, il dit lorsqu’il eut fini de lui donner des directions.
“Je suppose que oui,”, répondit Donna en entourant le gobelet de chocolat chaud fumant de ses mains. “Merci beaucoup.”
Elle s'apprêtait à ramasser la lanière de la luge quand la femme à la chapka réapparut. “Vous ne partirez quand même pas du Marché de Noël sans moulin à neige?", s’offusqua-t-elle. Les lèvres de Donna s’étirèrent en un sourire. “Certainement que non,”, elle répondit.
La femme et le vieux monsieur échangèrent un regard complice et se dépechèrent de disparaître dans leur maisonettes.
Ainsi, Donna sortit du Marché de Noël avec un cône de marrons chauds et un chocolat chaud, et un sac avec un moulin à vent en forme de flocon, du pain d’épice, des fleurs violettes et un sachet noir sur lequel elle ne préféra pas s’attarder.
Le vieil homme avait été très clair dans ses instructions et Donna, avec son sac de fleurs et sa luge presque toute neuve, se sentait plus déterminée que jamais. La neige tombait à gros flocons et elle repensait à la carte et au petit homme et au Marché de Noël et puis à l’écrivain. Alors qu’elle spiralait dans ses pensées, un très grand bruit explosa derrière elle, suivi de près par une demi-douzaine de jurons à en faire rougir toute la ville.
Donna, tétanisée d’abord, se retourna, très lentement.
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