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Le froid du dehors lui tomba dessus comme une masse.

Donna n’était pas frileuse, elle n’aurait pas décidé de vivre à la montagne si ça avait été le cas. Mais dans sa précipitation, malgré son éclair de génie de dernière minute, elle avait oublié de mettre un pull supplémentaire en dessous de son manteau.

Enfonçant fermement les mains dans les poches, elle se mit en route.

La ville était encore un peu tranquille, par rapport à ce qu’elle serait en février. Tous les appartements n’étaient pas encore loués, les pistes de ski, cachées dans la pénombre de la montagne, restaient fréquentables en journée et les restaurants en haut des télésièges tournaient à mi-régime, effectifs réduits.

Mais l’hiver était là, pas de doute : au bord des toits pendaient des stalactites de glaces, terrifiant selon Donna; dans le caniveau, une neige grisâtre se laissait piétiner par les passants, sa jumelle blanche poudrait tous les endroits que les après-ski des touristes ne foulaient pas quotidiennement.

Donna aimait  vivre en montagne, assurément, mais elle n’aimait pas les touristes qui s’empilaient à dix dans appartements prévus pour quatre, passaient leur journée à skier mal en risquant de tuer une ou deux personnes à chaque descente et parlaient fort, le soir, quand elle essayait de se concentrer devant son fichu fichier word. Elle aurait pu attribuer ses récents problèmes d’écriture au début de la saison des sports d’hiver, mais ç’aurait été mentir. Pourtant elle voulait peut-être un peu se mentir, un peu se voiler la face. C’était tellement confortable.

Elle marcha dans une flaque de neige fondue qui s’écrasa sous ses bottes, produisant un bruit des plus agréable, un splouch mouillé et solide à la fois.

Elle était presque arrivée à la place de la fontaine. C’était l'exact centre ville, tout autour de la place des boutiques multicolores laissaient pendre leurs enseignes. C’était à qui attirerait le plus de touristes. Passé l’hiver, les décorations m’as-tu vu étaient remisées au placard et la place redevenait un lieu agréable où se poser, peut-être prendre un café, mais en cette saison elle donnait plus la migraine à Donna que l’envie d’y flâner.

Et puis la fontaine, la jolie fontaine qui représentait un bouquetin perché en haut d’une montagne (cliché peut-être, mais charmant pour sûr) était gelée. De tout l’hiver, elle ne crachait pas une goutte d’eau, se contentait de rester immobile, ses yeux vides fixant toujours le même point. Aujourd’hui, Donna se tourna dans la direction que pointait ce regard. Il était fixé sur la montagne. Ça la rendit triste, ce bouquetin prisonnier d’un corps d’airain, regardant vers la montagne. Peut-être qu’il rêvait, au fond de lui, d’y retourner. Peut-être qu’il n’y avait jamais été, qu’il ne pouvait que l’imaginer, que chaque jours tous les hivers il voyait des gens descendre la grande rue en direction de la montagne, la remonter le soir venu, joues rouges et yeux vitreux, brassés par toutes les sensations, mais que lui, pauvre bouquetin-statut, ne pouvait pas y aller.

Donna secoua la tête, riant toute seule. Ça n’était qu’une statut, qu’est-ce qu’elle racontait ? Elle manquait de sommeil.

Elle observa les alentours de la place, se promena en rond en se rapprochant petit à petit de la fontaine. La glace avait sculpté une barbichette encore plus impressionnante au bouquetin. À ses pieds, il y a avait un paquet, du même style que celui qu’elle avait trouvé chez elle. Elle se pencha pour le ramasser, faillit se cogner méchamment la tête contre un des sabots du bouquetin en se redressant.

Le paquet était froid entre ses doigts gardés tièdes par les poches de son manteau. Elle l’ouvrit doucement, précautionneusement, inquiète et joyeuse à la fois.

Dedans, il y avait trois papillotes. Elles provenaient toutes les trois d’un paquet différent au vu de leur emballage.

Donna s’assit sur la margelle de la fontaine. La première papillote était au chocolat noir fourrée au praliné. Elle la laissa fondre dans sa bouche. Dans l’emballage, il y avait un de ses petits pétards qui la terrifiait, gamine. Elle avait peur qu’ils lui explosent entre les doigts, la brûlant gravement ou pire. Ses cousins s’amusaient toujours à la poursuivre en en brandissant une poignée au-dessus de leur têtes, lorsqu’ils étaient gosses, à Noël. Le souvenir lui fit monter un sourire aux lèvres.

La deuxième papillote était au chocolat blanc, fourrée à la pâte d’amande. Elle n’aimait pas vraiment le chocolat blanc, aussi l’avala-t-elle tout rond, prenant seulement le temps de lire le fourrage sur l’emballage. Là, pour accompagner la friandise, il y avait un petit papier froissé, avec des blagues mauvaises qui la firent glousser. Elle montra le papier au bouquetin de la fontaine, qui décidément avait l’air triste comme les pierres. Il aurait bien eu besoin de rire un coup, mais ça ne lui fit ni chaut ni froid.

La troisième papillote était fourrée à la ganache, avec une couche de chocolat au lait par-dessus. Donna la croqua en ôtant ses mitaines pour les secouer. Des paillettes de chocolat leur étaient tombées dessus. Elle les remit et se saisit du petit papier froissé, pressé dans l’emballage de la papillote, s’attendant à d’autres blagues qui la feraient doucement sourire. Mais à la place, il s’agissait d’une citation (et de deux autres coupées, sur les bords, incompréhensibles avec seulement la moitié de leurs mots) de Sartre : «Faire, et en faisant se faire et n’être rien que ce qu’on fait. ».

Elle la relut plusieurs fois, pour être sûre de bien comprendre. Le petit papier se chiffonna entre ses doigts.

Ce qu’elle faisait, elle, de sa vie, c’était écrire. Elle y consacrait ses journées, parfois ses nuits, y perdait son sommeil et son beau teint. Mais se considérait-elle comme une écrivaine pour autant ? Non. Certainement pas. Gorgonzola pourrait en témoigner ( à condition que les miaulements et les airs sournois soient comptés comme des témoignages ), elle n’était jamais sûre de ce qu’elle faisait. Jamais sûre qu’elle avait le droit, qu’elle pouvait, qu’elle devait, qu’elle était légitime. Elle était toujours hésitante.
Elle se leva, fit trois pas et jeta le papier dans une poubelle. Elle ne savait pas quoi penser.

Il faisait toujours nuit, mais les lampadaires l’éclairaient assez. Elle sortit la carte du premier cadeau, chercha sa prochaine destination. Un point rouge lui sauta aux yeux, elle fronça les sourcils. C’était une sacrée trotte qui l’attendait, mais elle était curieuse maintenant. Curieuse de savoir quelle serait la prochaine chose qu’aurait à lui dire ces mystérieux cadeaux.
Elle fourra la carte dans sa poche et se mit en route.

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