25🎁

Lucien était déboussolé par le fait de revoir enfin son fils. Il n'avait qu'une envie, c'était courir vers lui et le prendre dans ses bras, mais une chose le retenait. Donna ne sembla pas le percevoir car elle souriait, heureuse d'assister à ces retrouvailles. Elle lâcha la main du vieil homme pour que ce dernier aille vers son fils, mais le vieillard resta immobile. Au bout de quelques instants, Donna lui demanda d'une voix douce :

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Je l'ignore, j'ai imaginé ce moment plusieurs fois, mais je n'aurais jamais cru qu'il finirait par se réaliser. Et puis...j'ai peur qu'il ne soit pas lui-même. Il est dans cet endroit depuis si longtemps...Se souvient-il même de moi ?

— Bien sûr, il est impossible d'oublier un être qu'on a aimé, quel que soit le temps de son absence ! Et je n'ai pas renoncé à mon rêve pour que vous renonciez si près du but !

— Vous avez sans doute raison, mais j'ai peur de sa réaction. J'ai peur qu'il me repousse, qu'il m'ignore ou qu'il ne me voit tout simplement pas. Il est peut-être prisonnier, nous arrivons peut-être trop tard. Il est possible que...

— Il n'y a qu'une façon d'obtenir une réponse à vos questions, le coupa-t-elle d'un ton autoritaire. Pour faire taire vos incertitudes, c'est simple : allez le voir. Il est à quelques mètres de vous ! Si vous ne saisissez pas votre chance, nous aurons fait tout cela pour rien.

Lucien inspira un grand coup et sécha ses larmes. Il finit par avancer d'un pas hésitant jusqu'à rejoindre le jeune homme. Cet homme trentenaire auquel il faisait face possédait désormais la même taille que lui et la même chevelure brune que la sienne. Ses prunelles étaient aussi bleues que des saphirs, une belle barbe ornait son menton, sa musculature se faisait saillante malgré ses chauds habits, mais ses mains douces et délicates trahissaient son activité de poète. Cet homme se tenait là, face au vieillard, comme s'il n'était jamais parti. Quand Lucien se trouva à deux pas de son fils, il tomba à genoux, s'écroulant face au tumulte des émotions qui l'envahit. Malgré cela, il appela son fils :

— Raphaël... Raphaël, je suis là, je suis venu te chercher ! Je t'en prie, viens avec moi.

— Après tout ce temps, tu m'as enfin trouvé, sourit Raphaël dont les prunelles quittèrent les pages blanches pour se poser sur son père. J'avoue que j'ai cru ne jamais te revoir, mais je ne peux pas venir papa.

— Quoi ? Pourquoi dis-tu cela ? Cet endroit n'est pas réel, que ferais-tu ici ?

— Encore une fois, tu ne comprends pas. Regarde autour de toi, l'inconnue et toi êtes les seuls intrus du décor. Un décor que j'ai apprivoisé et que j'ai développé selon mon bon vouloir. Je m'y sens en sécurité ici, c'est mon nouveau chez moi. Pour moi, cet endroit est bien plus réel que tout ce que j'ai vu auparavant.

— Je m'appelle Donna, répondit la concernée. Et je rejoins votre père, cet endroit ne me semble pas commode pour vivre.

— C'est parce que vous n'en comprenez pas son fonctionnement, rétorqua d'un ton froid le jeune brun. Il s'agit d'un souvenir, j'ai déjà vécu cet instant pour de vrai. Je n'ai plus qu'à le rejouer à l'infini pour alimenter mon être présent. Tout ce qui m'a manqué, c'est ma poésie, mais grâce à mon dernier voyage, je suis parvenu à me procurer de quoi écrire.

— J'avoue que c'est impressionnant, souffla la rouquine. Cependant, je pense que ce n'est pas viable sur le long terme.

— Supposition ridicule puisque cela fait plus de quatre ans que je vis ici, répondit-il. Vous avez simplement l'esprit trop étroit pour tout saisir.

Donna soupira doucement avant de s'approcher de l'homme. Elle s'accroupit tant bien que mal aux côtés de Lucien, laissant de légères traces de doigts dans la neige.

— Raphaël, commença-t-elle, je comprends à quel point cet endroit t'es cher. Tout ici est paisible, et te permet de rester auprès de ton âme d'enfant et de ta mère. Mais j'ai bien peur qu'il ne s'agisse que d'une illusion, ou une sorte de rêve... Tu mérites bien mieux que de rester ici, dans une boucle temporelle où ton passé et ton présent ne font que se recouper. Tu sacrifies ton avenir, t'en rends-tu compte ?

Une lueur d'hésitation passa dans les yeux de Raphaël. Lucien entreprit alors de lui prendre la main, le cœur serré, offrant ainsi à son fils un contact humain, chose qui lui avait été impossible depuis si longtemps.

— Je ne peux pas abandonner ma mère, ni l'enfant heureux que j'étais, lâcha le jeune homme.

Donna jeta un coup d'œil à Lucien. Le regard fuyant et la tête baissée, il semblait ne plus jamais vouloir lâcher la main de son fils.

— Tu ne pourras jamais le redevenir, lui glissa-t-elle. Et puis, cette illusion à beau être parfaite, elle te prive des deux choses réelles les plus importantes : ton père, et ta plume.

A ces mots, quelque chose en Raphaël sembla s'éveiller. Donna avait raison : il s'était blotti dans ce monde si réconfortant pendant des années, et cela lui avait fait du bien. Mais désormais, même si c'était dur, il lui fallait aller de l'avant. Et si le retour à la réalité sensible allait sans doute être difficile, son père aimant et cette inconnue au cœur tendre étaient venus le chercher. A contrecœur, Raphaël prit alors la décision qu'il aurait dû prendre il y a déjà bien longtemps.

Il frotta ses mains l'une contre l'autre, et de la chaleur qui en émanait se forma une lumière puissante, qui se détacha en de petits filaments dorés après quelques instants. Sous les regards ébahis de Lucien et de Donna se créa alors une porte, d'abord toute petite, qui s'agrandit ensuite avant de s'ouvrir.

Ils se regardèrent, comme soudainement emplis d'une connexion soudaine qui les reliait tous les trois. Lucien, qui n'avait pas lâché la main de son fils, attrapa également celle de Donna. La chaleur humaine se répandit dans leurs corps, et entourés d'un halo étrange, quoique réconfortant, ils passèrent la porte sans un mot. Et leurs cœurs, bien que face à une scène des plus silencieuses, semblèrent résonner en milliers de mots.

Ils traversèrent le passage, toujours liés, et atterrirent avec plus ou moins d'équilibre dans le bar de Lucien, qui n'avait pas bougé depuis leur départ précipité. D'abord légèrement sonnés, les trois compères reprirent peu à peu leurs esprits.

— On a réussi ? lança finalement Donna, sans trop oser y croire.

Lucien acquiesça, les larmes aux yeux. A ses côtés, Raphaël semblait être dans le même état. Ils s'installèrent à une des tables le temps de se remettre de leurs émotions. Peu importait combien de temps ils étaient partis, ni l'état dans lequel ils étaient revenus : ils étaient ensemble et sains et saufs, c'était le principal.

Une fois installées dans le bar de Lucien, les langues se délièrent. Raphaël se mit à expliquer l'origine de la boucle temporelle qui l'avait emprisonné et s'excusa sincèrement auprès de son père pour tout le tracas causé. Donna assistait à la scène, un sourire aux lèvres, et très vite, la discussion d'abord si sérieuse se transforma en bavardages autour de cafés bien chaud. Noël était passé, mais la douce chaleur du bar et les souvenirs désormais ancrés dans les mémoires continuèrent de réconforter les cœurs des trois compagnons. La discussion s'éternisa, mais lorsque Donna se leva finalement pour rentrer chez elle, Raphaël l'arrêta en attrapant son bras.

— Merci Donna, merci pour tout, lâcha-t-il dans un sourire. J'espère qu'à l'avenir, nous nous reverrons. Peut-être entre écrivains, qui sait ?

La jeune femme hocha la tête, le coeur rempli d'un espoir nouveau. Ce Noël, bien que mouvementé, resterait spécial à ses yeux. Elle avait réuni un père et son fils, mais plus que tout, elle avait réuni son âme et sa plume. C'est emplie d'un sentiment de bonheur qu'elle pensait pourtant avoir oublié que Donna rentra chez elle, retrouva avec plaisir son petit Gorgonzola qui s'était fait une joie de se servir dans les croquettes, et après une douche réconfortante, s'enroula dans son plaid pour retrouver son ordinateur et ses écrits.

Cette fois-ci, elle savait quoi écrire.

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