24🎁
Main dans la main, les deux héros avancèrent sur ce chemin qu'ils venaient de tracer. Ils ne firent que quelques pas qu'une lumière aveuglante vint les enrober. S'ils étaient obligés de fermer les yeux, ils purent sentir cette chaleur réconfortante qui les enivrait. Sans pouvoir en expliquer la raison, leurs âmes étaient entourées du même halo de bien-être et de profonde sérénité. Naturellement, ils attribuèrent cela à cette quête qui allait enfin s'achever. A un travail de longue haleine qui porterait enfin ses fruits. Et si tout se déroulait comme prévu, la jeune femme aurait réussi à réunir un père et son fils. Au bout de quelques instants, ils sentirent qu'ils pouvaient rouvrir leurs yeux.
Ils s'attendirent à ce que leurs prunelles découvrent une sorte de jardin d'Eden, un long sillon recouvert de neige où une arche dorée marquerait leur passage et les inviterait à suivre le léger sillon qui les mènerait au bonheur, mais ils se trompaient.
Quand les iris du duo se réhabituèrent à la lumière qui les entourait, ils furent surpris par le spectacle qui les attendait. Ils eurent simplement droit à une pièce noire emplie de miroirs dont une pâle lueur en émanait. Cet endroit ne semblait posséder ni de début ni de fin, les miroirs avaient chacun leur propre taille et leur propre forme. Tout ce dont ils s'assuraient, c'était de ne laisser aucun espace entre eux. C'était un schéma incompréhensible pour tout être humain qui se respectait. Pire encore, les reflets de la jeune femme et du vieil homme semblaient chacun prendre vie en fonction de celui qui était regardé.
Tantôt, le reflet semblait exprimer un profond désarroi, tantôt il mettait en avant la plus rayonnante des joies. On pouvait presque croire qu'ils bougeaient seuls, mais la logique les en empêchait. Les seuls êtres vivants demeuraient Donna et Lucien, immobiles tels des statues. Leur stupeur était trop grande pour qu'ils ne puissent effectuer le moindre mouvement. Tout ce qu'ils parvenaient à faire, c'était observer leurs reflets qui semblaient se jouer de leur sort.
Et puis, il y avait cette fameuse lumière. Une sorte de faisceau agile et en perpétuel mouvement. Agité, il passait aisément d'une surface à l'autre que ce fût les glaces froides ou les humains au cœur chaud et au cerveau stupéfait. Ce faible rayon de lumière paraissait si fragile, prompt à s'éteindre à tout instant. Et en même temps, il était plus certain que jamais lorsqu'il bondissait sur les corps humains qui se présentaient à lui. Sautillant d'une figure à l'autre, il semblait n'avoir aucune logique.
Tout spectateur averti aurait vu que ce n'était pas le cas. Tout fin observateur aurait déduit qu'il cherchait à attirer l'attention pour être certain d'être remarqué. Et une fois que le faible faisceau était certain d'être capté par la rétine des héros, il avançait de surface en surface pour leur indiquer le chemin qu'ils devaient emprunter. C'était sa façon à lui de leur parler, de leur montrer leur chemin. Hélas, il ne parlait pas le même langage que ces intrus qui avaient pénétré dans un monde inconnu. Si Lucien demeurait calme, Donna finit par exploser d'une voix aiguë :
— Alors, c'est tout, hein ? On a fait tout ce chemin juste pour tout ça, dis ? Pitié, Lucien, dis-moi que je me trompe ! Dis moi que nous n'avons pas enduré toutes ces épreuves pour en arriver là ! Cela n'aurait aucun sens, ce serait trop cruel...
— Tu as raison, répondit Lucien d'un ton plus calme. Ce serait trop cruel. Alors je te propose de chercher la raison de tout ce cirque et de découvrir la véritable fin de notre histoire, qu'en dis-tu ?
Pour simple réponse, la trentenaire hocha la tête tandis que Lucien lui offrit un sourire paternel et rassurant. Ce simple sourire réconforta la jeune femme et lui insuffla toute confiance en cet homme certes âgé, mais possédant une détermination à toute épreuve. Pour comprendre cet endroit, les deux compères décidèrent de se référer au premier poème de Revoar, mais à peine eurent-ils fini leur lecture que de grands fracas se mirent à résonner. Par réflexe, ils protégèrent leurs têtes, mais ils constatèrent rapidement qu'aucun bout de verre ne tombait sur eux.
Curieux, ils se redressèrent et purent constater que les miroirs implosaient en eux-même. Ils se déchiraient, mais au lieu d'exposer leurs débris sur les aventuriers, leurs éclats étaient aspirés dans un néant insondable. Il ne fallut que quelques minutes pour que tout miroir eut disparu. Cependant, il restait ce faisceau de lumière qui commença lentement à s'éloigner pour faire apparaître deux tunnels distincts qui finissaient par se rejoindre devant les héros abasourdis.
Donna fut la première à réagir à ce changement. De la voix de droite, elle entendait des clameurs familières s'élever. Les larmes aux yeux, elle reconnut presque immédiatement la voix de son père qui lui contait une énième histoire pour qu'elle puisse s'endormir. Elle entendit alors sa voix d'enfant réciter en choeur avec celle de son père :
— Maintenant que l'histoire est terminée, les méchants rêves se sont envolés. La princesse peut aller se coucher sans crainte que son sommeil ne soit perturbé ! Et si jamais, cela est le cas, elle aura toujours maman et papa !
Le baiser que l'enfant reçut fut comme éprouvé par la Donna adulte, comme si elle revivait cet instant précieux qu'elle avait conservé dans les tréfonds de sa mémoire, un de ces rares événements heureux qu'elle avait gardés en souvenir.
Le reste, elle l'avait effacé puisqu'ils étaient partis, cela ne lui servirait à rien. Elle ne pourrait pas les retrouver même si elle y employait toute son énergie. Et pourtant...ce tunnel qui s'illuminait dans cet univers parallèle paraissait vouloir lui prouver le contraire. Après tout, elle avait peut-être le droit à une seconde chance. C'était ça son miracle de Noël, retrouver tout ce qu'elle avait perdu. Comme pour la conforter dans cette idée, elle se vit plus vieille avec quelques rides qui ceignaient son front, un stylo en main et un cahier posé sur ses genoux. Sauf que cette fois, elle ne mâchouillait pas le stylo, non ; elle faisait courir la mine sur les feuilles blanches qu'elle parvenait enfin à noircir. Donna en était certaine : en prenant ce tunnel, elle retrouverait sa famille et son écriture.
Lucien eut le droit à une vision plus simple, mais tout aussi enchanteresse. Contrairement à Donna, aucune image ne sortit de l'obscurité. Aucun fantôme ne revint devant lui pour l'inciter à le rejoindre. Au lieu de cela, il entendit les éclats de rire d'un enfant de huit ans. La respiration du garçon laissait à penser qu'il courait en même temps qu'il riait. Ce rire qu'il n'avait plus entendu depuis si longtemps était la plus douce symphonie qui pouvait résonner aux oreilles du vieil homme. Simplement parce que ce n'était pas le rire de n'importe quel garçon ! C'était son garçon, ce fils qui avait disparu depuis plusieurs années. Ce n'était peut-être qu'un fantasme, mais il savourait la béatitude qu'il ressentait en entendant de nouveau ce rire enfantin. Il aurait tout donné pour revoir le propriétaire de ce rire, et ce même si sa voix sonnait plus grave. Au même moment, il l'entendit, cette voix adulte, grave et mélodieuse. Jaillissant des ténèbres du tunnel, elle prononçait d'une voix calme :
— Aux mépris humains d'une obscure cruauté, viens à moi cette infinie beauté. Cette splendide lueur qui émerveille mon cœur, et provoque en moi mille éveils et mon heurt.
Ces quelques phrases remuèrent l'estomac du vieil homme. C'était impossible, il était mort ! Ou du moins, il l'avait enterré depuis plusieurs années. Il devait aller de l'avant, suivre Donna dans son périple. Pourtant...cette petite voix au fond de son être le supplia d'aller vers cette voix qui sortait du néant et qui appartenait à ce fils perdu depuis toujours. C'était sa dernière chance de le revoir en ce monde. Lucien avait des défauts, mais il n'était pas du genre à se laisser aveugler par la rancune. Sa quête allait s'achever, il retrouverait son fils et ses questions trouveraient enfin des réponses. Il cesserait de se faire du souci et de paraître plus vieux qu'il ne l'était réellement.
Mais cette voix n'avait qu'un seul inconvénient : dire adieu à Donna.
Celle-ci l'avait bien compris et à l'instant où Lucien se tourna vers elle, la jeune femme aux cheveux auburn courut se réfugier dans les bras de ce nouvel ami. Fermant à moitié ses yeux verts, elle étreignit la taille de Lucien de ses bras frêles et blancs comme l'asphalte. Sa taille moyenne lui permit de poser sa tête contre le haut du torse de ce géant. Ce colosse lui rendit son étreinte. Malgré ses soixante ans, Lucien possédait presque autant de force qu'un jeune homme de vingt ans, il mesurait un mètre quatre-vingt dix et possédait une stature imposante. Ce physique contrastait avec sa soyeuse chevelure noire parsemée de quelques mèches blanches, de son teint hâlé, de son regard gris et empli de douceur ainsi que des traits fins qui dessinaient son visage, c'était cet aspect qui lui donnait un air paternel et rassurant. Une fois que cette étreinte respectueuse prit fin, Lucien embrassa le front de Donna et dit d'une voix douce :
— Merci d'avoir fait ce bout de chemin avec moi. Merci de m'avoir forcé à suivre cette ultime trace. Sans toi, je n'aurais jamais pu retrouver mon fils.
— Si j'ai pu aider, j'en suis ravie ! Et puis, vous aussi m'avez aidé, j'aurais de quoi écrire pendant au moins trois décennies ! Je suis juste déçue de ne pas pouvoir rencontrer Raphaël.
— Je lui parlerai de toi, sois sans crainte. Jamais je n'oublierai celle qui aura permis nos retrouvailles. Enfin, de ce que je vois, tu as ton propre chemin à suivre, petite écrivaine !
— C'est vrai. J'aurais aimé rester avec vous jusqu'au bout...mais tout a une fin, même les meilleures histoires ! J'espère que nous pourrons nous revoir dans notre monde.
Seul un regard bienveillant lui répondit. C'était certain, jamais elle ne pourrait oublier cet homme si généreux et altruiste. Hélas, il fallait le délaisser pour suivre son propre chemin et reconquérir ce qui lui manquait tant. Il en allait de même pour Lucien qui regrettait de ne pouvoir présenter son fils à cette nouvelle amie si courageuse. Dans un dernier soupir commun, ils avancèrent tous deux vers la Destinée qu'ils allaient emprunter. A peine eurent-ils esquissé un pas que la voix malicieuse d'Aenja résonna dans l'air :
— Pas si vite, pauvres âmes errantes, pensiez-vous que cela serait si simple ? Un seul chemin peut être emprunté sous peine de briser l'équilibre de nos mondes opposés ! Vous allez faire devoir un choix : une jeune femme retrouvant sa famille et son écriture ou un père qui renoue avec son fils. A vous de choisir !
Et l'esprit repartit aussi vite qu'il était arrivé, laissant le duo stupéfait. Aucun d'eux n'osa rompre le silence qui s'était installé entre eux. Cela signifierait de renoncer à l'un de leurs rêves. Chacun le comprenait, mais nul n'était prêt à l'accepter. C'était innommable comme décision à prendre ! Les torturer durant mille ans aurait été plus agréable ! Hélas, ce qui leur était imposé relevait de l'impossible. Pourtant, Donna finit par dire d'une voix pleine d'émotion :
— Lucien, il faut qu'on aille chercher Raphaël.
— Quoi ? Non, il en est hors de question ! s'insurgea ce dernier.
— C'est pourtant tout l'enjeu de cette quête : retrouver votre fils et comprendre ce qui lui est arrivé. Ce qu'on me propose est incroyable, mais ce serait égoïste de ma part d'accepter.
— Au contraire, Donna, ne vous sacrifiez pas pour combler les désirs d'un vieil homme désespéré. Ce qui se trouve au fond de ces ténèbres n'est sûrement qu'un mensonge ou un souvenir, mais je doute d'y trouver mon fils, c'est improbable. Alors que vous, vous avez la chance de réussir votre vie !
— Lucien, je vous respecte, mais nous avons fait une quête qui m'a parue être une éternité pour retrouver votre fils ! Ce serait stupide de faire marche arrière maintenant. Ma situation familiale est...compliquée. Si je peux vous aider à reconstruire votre famille, cela suffira à mon bonheur et cela fera une bonne histoire à raconter, qui sait ?
— Si j'ai bien compris, je n'ai d'autre choix que d'accepter votre bonté.
La jeune femme lui répondit par l'affirmative en lui offrant un grand sourire. Reprenant la main du vieil homme, les deux compagnons de route avancèrent alors main dans la main jusqu'à cette destination mystérieuse d'où provenait la voix de Raphaël. Ils débouchèrent alors sur une vieille cour pleine de neige où jouaient un enfant et sa mère. Ils se poursuivaient l'un l'autre et se jetaient gentiment des poignées de neige, la mère veillant constamment à ce que son petit s'amuse en toute sécurité malgré le froid et le verglas. Leurs éclats de rire s'étendaient sur plusieurs mètres. La joie et la bonne humeur régnaient dans cette atmosphère.
Alors que Donna eut à peine le temps de porter son regard sur ces deux individus, elle fut tirée prestement vers un coin reculé de la cour. Abrité du vent glacial par un chêne aux branches enneigées, un jeune homme était assis, enroulé dans un manteau sur une couverture en guise de siège, les yeux rivés sur une page qu'il s'efforçait de noircir plus ou moins rapidement. Quand sa main était suspendue en l'air, il récitait à haute voix le vers sur lequel il butait afin de trouver la bonne rime ou le bon pied. Il n'avait pas remarqué les voyageurs, mais l'inverse n'était pas vrai. Lucien demeura figé devant le fantôme qu'il voyait jaillir devant lui. Le regard de Donna oscilla entre le jeune homme et Lucien qui commençait à pleurer en silence. Avant même qu'elle ne put poser la moindre question, il annonça d'un ton empli d'émotion :
— C'est lui, c'est mon fils. Mon Raphaël.
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