Prologue
La porte refusait de s'ouvrir. Elle avait beau tirer dessus, la pousser, donner des coups de pieds dedans, s'agiter sur la poignée, elle restait close. Cela faisait des mois, des années même, qu'elle n'avait pas tenté de fuir, trop résignée à accepter son triste sort, mais ce jour-là était différent. Il avait eu l'effet d'un électrochoc. Des gouttes de sang perlaient encore sur ses jambes. Elle peinait encore à tenir debout. Mais elle ne devait pas perdre une seconde. Il serait bientôt de retour.
Un coup d'œil à la pièce sombre et humide la figea. Le rai de soleil qui illuminait le coin où elle s'était réfugiée quelques heures plus tôt, où elle s'était tordue de douleur, attira son attention. Elle était là, sa solution, depuis toujours. Elle n'y avait seulement pas prêté attention, trop aveuglée par les mots et les coups qu'il lui portait tous les jours. Peut-être pourrait-elle réussir à se glisser dans l'interstice ? Sa maigreur rendait cette échappatoire envisageable. Mais elle était si faible. Arriverait-elle seulement à se hisser aussi haut ? Il fallait tenter. Elle ne pouvait plus rester là, à subir la violence de son mari, sans rien faire.
Calypso poussa la table de nuit, si lourde et massive, contre le mur, juste sous la lucarne crasseuse et pleine de toiles d'araignées. L'une d'elle en abritait une énorme velue, avec un corps rond et noir. La jeune femme sursauta lorsqu'elle étendit ses pattes et tomba à la renverse. Une grimace de douleur déforma son visage tuméfié, mais elle se ressaisit aussitôt. Araignée ou pas, cette fenêtre était sa seule issue, elle ne pouvait pas reculer pour si peu. Elle n'avait qu'un choix : faire face à son arachnophobie ou à la mort. La question ne se posait plus. Elle grimpa sur le meuble branlant, vacilla un peu pour trouver son équilibre et ouvrit le vasistas. L'air encore doux de cette fin d'été et le parfum agréable des quelques feuilles mortes qui jonchaient le sol lui arrachèrent un sourire crispé. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait plus mis le nez dehors. Elle n'en était plus très loin, de la liberté. Calypso posa ses mains sur le métal froid et rouillé et s'appuya dessus pour soulever son corps frêle. Mais, à bout de forces, elle retomba sur la table de chevet, elle avait si mal au ventre. Pourtant, elle ne pouvait pas se permettre d'abandonner. Alors, elle retenta sa chance. Une fois, deux fois... Ce ne fut qu'au bout du dixième essai que son corps bascula vers l'extérieur de la maison. Ses mains touchèrent le sol humide, s'enfoncèrent dans la terre. Elle rampa, passant outre sa souffrance quand un morceau de ferraille érafla son abdomen. Mais elle y était parvenue. Elle était dehors. Enfin.
Une bourrasque de vent ébouriffa ses longs cheveux bruns et bouclés. Ils s'emmêlèrent entre ses doigts lorsqu'elle essaya de les dompter, mais ça n'avait aucune importance. Elle était libre. Pieds nus, la jeune femme s'aventura dans le sous-bois qui bordait le jardin. Une branche craqua, elle sursauta. Est-ce qu'il la suivait déjà ? L'avait-il vue s'échapper ? Il ne devait pourtant pas rentrer avant une bonne demi-heure. Elle fut vite rassurée quand elle remarqua un crapaud posé sur un tas de feuilles. Le bruit devait provenir de ses bonds. Elle continua sur le chemin tortueux. Elle allait bien finir par tomber sur quelqu'un, une maison ou un village. Il le fallait, car elle ne pourrait pas marcher ainsi durant des heures, elle était trop fatiguée. Et elle saignait encore, beaucoup.
— Eh ! Vous, là ! s'écria une voix tonitruante. Qu'est-ce que vous faites sur ma propriété ?
Calypso recula de trois pas. Un homme aux épaules larges et à la bedaine imposante s'avançait vers elle, les sourcils froncés, furieux. Elle fut tentée de prendre ses jambes à son cou, mais en était-elle seulement capable ?
— Oh ! Vous êtes sourde ? Qu'est-ce que vous foutez là ? Vous êtes qui, d'abord ?
— Je... Je vous en prie, aidez-moi, balbutia-t-elle.
Le propriétaire des lieux arriva face à elle. Calypso recula et instaura une distance raisonnable entre eux. Le visage du vieillard, tanné par le soleil, s'adoucit quand il remarqua les marques sur celui de la jeune femme. Intrigué, il la dévisagea un instant. Puis, lui offrit une moue rassurante.
— Allez, venez... Ma femme va s'occuper de vous. Vous êtes en sécurité maintenant.
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