Chapitre 7
Dans les rues calmes de Paris, Calypso marchait d'un pas vif. Chaque ombre, chaque bruit, lui donnait l'impression d'être suivie. Peut-être que Daniel était là, qu'il se terrait dans la nuit en attendant de trouver le moment opportun pour la priver à nouveau de sa liberté.
Elle arriva devant le grand immeuble à la sublime façade en pierre de taille que sa mère lui avait indiqué. D'une main tremblante, elle composa le code et poussa la lourde porte en fer forgé. Arrivée devant les escaliers, couverts d'un tapis rouge aux coutures dorées, elle s'arrêta. Elle n'était plus sûre de rien. Mais elle n'avait pas fait tout ce chemin, la peur au ventre, pour faire demi-tour. Il fallait qu'elle le voit, qu'elle lui parle. Caly avait besoin de lui. Elle le savait, jamais elle ne pourrait reprendre le cours normal de sa vie sans lui. Elle gravit les marches une à une, comme si un boulet était accroché à sa cheville et rendait cette ascension plus difficile. Mais elle atteignit enfin la porte du deuxième étage.
Calypso posa le doigt sur le bouton blanc de la sonnette. Alors qu'elle allait le presser, elle les entendit, ces nombreuses voix graves. La panique la gagna. Et si elle s'était trompée d'adresse ? Et si ça n'était pas son frère qui vivait là ? Et si elle se jetait dans la gueule d'un nouveau loup, plus dangereux et vicieux encore que ne l'était Daniel ? Une voix se rapprocha de la porte. Elle sursauta. Son doigt glissa. La sonnerie retentit. Elle aurait dû détaler, fuir, mais elle se raidit, comme un lapin pris dans les phares d'une voiture.
La porte s'ouvrit à la volée. Elle tomba nez-à-nez avec ce grand homme qu'elle avait l'habitude de voir de loin, dans l'obscurité de la nuit, au travers de la fumée de leurs cigarettes. Son voisin était là. Les sourcils froncés, Ben essayait de comprendre ce que sa voisine faisait là. L'évidence le frappa de plein fouet. Matthias. Sa sœur, revenue d'entre les morts. Les marques sur le visage de cette dernière, et sur celui de sa voisine. L'emménagement de la brune craintive justement le jour où Calypso avait fait son apparition chez Matthias... Tout. Était-ce possible que... ?
— Ma... Matthias est là ? bredouilla-t-elle.
Il ne fallait pas qu'elle se démonte. Elle avait fait tout ce chemin pour voir son frère, et puis son voisin lui avait toujours dit qu'il ne lui ferait jamais de mal et il avait tenu parole. Peut-être devait-elle apprendre à lui faire confiance.
— Je vais le chercher. Entre.
— Je... je ne préfère pas.
— Comme tu veux, lui sourit-il. Mais personne te fera de mal ici.
Calypso hocha la tête. Elle s'en doutait. Aucun ami de Matthias n'avait jamais été violent avec elle. Mais après tous ses déboires, elle n'arrivait plus à croire qui que ce soit.
Ben traina les pieds dans le couloir, perturbé par la révélation qui s'était imposée à lui. Il passa une main sur son visage, comme pour se remettre les idées en place. Comment allait-il bien pouvoir annoncer ça ? Et surtout, comment avait-il pu passer à côté ? Ces yeux noisette qu'il avait l'impression de connaître. Elle avait les mêmes que Matthias.
— Qui était-ce ? demanda Léna, lorsqu'elle vit arriver son ami. Wow, qu'est-ce qu'il t'arrive ? T'es tout blanc.
— Euh... C'est que... Matt, y a quelqu'un pour toi, à la porte.
Matthias haussa un sourcil et quitta son téléphone des yeux. Il était en train de chercher une photographie qu'Emilie lui avait envoyé quelques jours plus tôt et qui l'avait fait pleurer de rire.
— C'est qui ?
— Ta sœur... je crois... marmonna Ben, peu sûr de vouloir être entendu.
Il se souvenait encore de l'état dans lequel était son meilleur ami quand il était venu le voir une semaine plus tôt, accablé par le retour surprise de Calypso.
— Emilie ? Qu'est-ce qu'elle fout là, elle...
— Nan. Pas Emilie.
Anis et Ilyes se figèrent, la bouche entrouverte. Ils avaient dû mal entendre, ça n'était pas possible. Calypso était morte. Ils s'attendaient à entendre Matthias s'énerver, dire à Ben que ce n'était pas drôle, qu'il était con, ou autre chose dans le même genre. Mais son silence ne fit que les assommer plus encore. Pourquoi ne réagissait-il pas ? Et pourquoi Léna grimaçait ainsi ?
— C'est une blague ? gronda Ilyes.
— Elle... elle est rentrée... commença Matthias, d'une voix étranglée.
— Elle est morte ! s'emporta Anis.
— Non... Elle a débarqué chez les parents, samedi dernier... Elle est... salement amochée et...
— Nan. Nan, c'est pas possible. Elle est morte, putain !
Anis ne put en supporter plus et traversa le salon à grandes enjambées. Il s'engouffra dans le couloir et aperçut la jeune femme, debout devant la porte ouverte. Il n'y avait pas de doute possible. C'était bien elle. Plus maigre, plus abîmée qu'elle ne l'était en partant, mais c'était elle. Comment avait-elle osé leur faire croire à sa mort ? Et elle revenait comme ça, comme si de rien n'était. Furieux, Anis lui adressa un regard assassin, donna un coup de pied dans la commode et fit demi-tour pour s'enfermer sur le balcon et allumer une cigarette d'une main tremblante de rage.
— C'est une blague, Matt ? Pas vrai ? demanda Ilyes, sidéré par cette révélation.
Matthias tourna la tête de gauche à droite, incapable de parler. Que venait-elle faire là ? Ilyes en resta médusé. Le regard vide, il tentait de comprendre, mais il n'y avait rien à faire. Un épais brouillard obstruait ses pensées. Lorsque Matthias se leva et disparut à l'angle du corridor, il réalisa ce qu'il se passait. Il bondit à son tour sur ses pieds.
— Attends, souffla Léna, en rattrapant Ilyes par le bras. Laisse-les deux minutes, seuls. Ils en ont besoin. Matt ne lui a pas encore parlé depuis son retour...
Ilyes s'arrêta, son bras retomba mollement contre sa hanche. Du coin de l'œil, il vit Matthias devant la porte, face à Calypso. La jeune femme tripotait nerveusement le bas de son chemisier, jouait avec le dernier bouton. Elle mordillait l'intérieur de sa joue, tic qu'elle avait depuis toujours quand elle redoutait quelque chose. Et tout à coup, elle fut prisonnière d'une étreinte chaude, brutale. Caly frissonna. Son cœur bondit. Elle eut un haut le cœur. Ses muscles se tendirent, prêts à fuir le danger. Mais le murmure qui chatouilla son oreille, la rassura aussitôt :
— Excuse-moi...
Calypso resserra ses doigts sur le t-shirt de son frère, se cramponnant à lui comme si elle redoutait qu'il lui soit arraché.
— Ne pars plus jamais. Plus jamais, murmura Matthias à son oreille, soulagé d'enfin pouvoir l'étreindre, la toucher, pour s'assurer que c'était bien réel. Plus jamais.
— Je suis désolée, Matty...
— Moi aussi. J'aurais pas dû partir comme ça l'autre fois. Je suis désolé. Tu m'as manqué, souffla Matthias. J'étais perdu sans toi...
Le jeune homme embrassa le front de sa sœur quand ses larmes commencèrent à couler sur ses joues creuses. Dix ans qu'ils ne s'étaient pas vus. Dix années bien difficiles, pour l'un comme pour l'autre. Les bras serrés autour des épaules frêles de sa sœur, Matthias savourait la douce chaleur qui l'enivrait et lui donnait l'impression de combler le creux qui s'était formé dans son cœur.
— Dis-moi que tu reviens pour de bon... que tu ne repartiras plus jamais loin de moi, susurra-t-il.
— Je reste. Je te le promets, Matty. Je resterai toujours.
Matthias resserra sa prise sur le corps maigre de sa jumelle. Il embrassa encore son front, le sourire aux lèvres, rassuré. Tout irait bien désormais, il n'était plus seul, il avait retrouvé sa moitié.
— Viens...
Le jeune homme entraîna Caly à l'intérieur de l'immense appartement, le sourire aux lèvres. Il fallait qu'Ilyes et Anis la voient. Il fallait qu'il la présente à Léna. Ils devaient parler, pour comprendre, pour rattraper toutes ces années perdues. Quand Ilyes vit sa meilleure amie, cachée derrière Matthias, il ne put résister plus longtemps et se précipita vers elle. Aussitôt, il la serra dans ses bras, la fit même virevolter, le cœur battant.
— J'arrive pas à croire que tu sois là, lui chuchota-t-il. Tu m'as manqué 'Lily. C'est lui qui t'a fait ça, pas vrai ? C'est lui qui t'empêchait de rentrer ?
Calypso hocha la tête et enfouit son nez dans le coup de son meilleur ami et confident pour dissimuler ses larmes. Léna, à côté d'eux, glissa sa main dans celle de Matthias qui semblait sur le point de s'effondrer. Tandis qu'Anis regardait la scène depuis le balcon, toujours aussi furieux. Il ne comprenait pas pourquoi son petit frère pardonnait aussi facilement Caly. Et puis, il y avait Ben, Gabriel et Maxime, qui restaient silencieux, assis dans le canapé, sans trop comprendre ce qu'il se passait.
— Qu'est-ce qui leur prend à tous, là ? demanda Gabriel, à voix basse.
— C'est compliqué...
Ben croisa un instant le regard de sa voisine. Peut-être que ça expliquait pourquoi il s'était senti investi de la mission de la protéger depuis qu'elle avait emménagé ? Il l'observa un moment, comme il avait pris l'habitude de le faire, ce qui n'échappa pas à Léna. La jeune femme avait remarqué l'insistance du regard de Ben sur la brune et elle y avait croisé une lueur étrange. Alors, elle lui fit signe de le suivre dans la cuisine.
— Comment t'as su que c'était Caly ?
— Simple déduction... Elle a les mêmes yeux que Matt. Le même nez aussi et...
— Arrête, elle est complètement défigurée, même moi je n'ai pas compris du premier coup qui elle était. Alors ?
— En fait... C'est ma voisine.
Léna haussa un sourcil. Se pouvait-il qu'une telle coïncidence existe ? Calypso emménageant justement dans l'appartement voisin de celui du meilleur ami de Matthias ? C'était fou !
— Elle a emménagé samedi dernier... Et quand Matt m'a dit qu'elle s'était pointée après le PACS et qu'elle semblait s'être fait cogner... Ça pouvait être qu'elle.
— Donc tu la connais ?
— Pas vraiment... Je la croise à la fenêtre tous les soirs. Elle y passe des heures. Je sais pas ce qu'elle a vécu avant de revenir ici, mais elle va pas bien...
Léna grimaça. Même si elle était contente que Matthias ait enfin fait un pas vers Caly, après tant de jours passés à déprimer, elle craignait un peu la suite. Et si Calypso allait si mal qu'elle entraînait son frère dans sa chute ?
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