Chapitre 22
D'humeur exécrable, il ouvrit à Ilyes et Anis. Il les quitta pour se réfugier sur le balcon et allumer une cigarette. Les exclamations admiratives d'Ilyes quand il aperçut Calypso ne firent qu'accentuer sa colère, ce qui n'échappa pas à Anis. Ce dernier ne semblait toujours pas prêt à pardonner Caly, il l'évitait du mieux qu'il pouvait à chaque soirée qu'ils étaient condamnés à passer ensemble. L'enthousiasme de son petit frère pour la tenue de la jeune femme l'énervait donc tout autant que Matthias.
— Qu'est-ce qu'elle a encore fait ? demanda-t-il à son ami d'enfance.
— Rien. C'est pas elle le problème. C'est Ben. Je savais bien que c'était suspect tout ce temps qu'ils passaient ensemble. J'arrive pas à croire qu'il me fasse un coup pareil. On avait dit qu'on touchait pas aux sœurs.
Anis hocha la tête et alluma une cigarette, en silence.
— Pourquoi tu lui en veux encore ?
— A Ben ? J'ai rien contre lui, moi, se défendit Anis.
— Non. Caly. Pourquoi tu lui en veux encore ? Tu sais bien qu'elle pouvait pas rentrer...
— C'est pas parce qu'elle est partie pendant dix ans que je lui en veux. Je sais bien qu'elle pouvait rien faire contre ce connard.
— Alors pourquoi ?
— Parce qu'avant même de partir, elle nous a tous piétiné. Toi, Milie et Ilyes encore plus. Elle vous a fait du mal à tous, elle vous a dit des trucs monstrueux. Et ça, je peux pas lui pardonner.
— Tu crois pas que tu pourrais faire un petit effort pour te montrer moins... agressif avec elle ? lui demanda Matthias. La dernière fois, elle était inconsolable. Tu lui manques, je crois. Elle t'aimait beaucoup, tu le sais bien. Tu devrais parler avec elle, lui laisser une chance de s'expliquer.
— Hum... Ça servira à rien. J'en ai rien à foutre de ses excuses.
— Anis... souffla Calypso derrière lui. S'il te plaît.
Le jeune homme à l'air taciturne se retourna vers elle et haussa un sourcil. Il ne s'attendait pas à la trouver ainsi vêtue de cette longue robe de soirée qui donnait l'impression qu'elle sortait tout droit d'un cabaret. Il détourna aussitôt le regard et le reporta sur la rue et la fumée qui sortait de sa bouche. Matthias en profita pour s'éclipser après avoir souhaité bon courage à sa sœur pour la discussion qui s'annonçait. Cette dernière s'accouda au balcon et alluma à son tour une cigarette. La flamme du briquet dansa devant ses yeux puis disparut, ne laissant derrière qu'un point rougeoyant.
— Je suis désolée. Pour tout, souffla-t-elle, entre deux taffes.
— Ça suffira pas, gronda Anis. T'as foutu toute ta famille en l'air. Et Ilyes aussi. Et moi. Comment tu peux croire que tout redeviendra comme avant aussi facilement ? Les autres sont trop cons de t'avoir pardonnée. Tu le mérites pas.
— Il me... il m'avait enfermée, murmura-t-elle, incapable de le dire à haute voix. J'étais prisonnière.
— Je te parle pas de ces dix dernières années. Je te parle de tout ce qu'il s'est passé avant. Tu nous as fait du mal à tous en te détruisant. On s'est tous crevés pour essayer de te sortir de ce merdier. Et toi, comment tu nous as remerciés ? Tu nous as craché ton venin à la gueule. C'est pas parce que t'es partie que je t'en veux. Au contraire, en te cassant, tu nous as fait du bien à tous. Au moins, on avait plus à supporter tes conneries. C'est pour tout le reste.
Calypso en resta muette. Anis venait de se débarrasser de plus de dix ans de rancœur et de colère, il aurait dû se sentir soulagé, content même de voir à quel point ses mots avaient atteint la jeune femme, mais il n'y eut qu'un étrange vide, presque douloureux, au creux de sa poitrine. Un sanglot le fit réagir. La jolie brune tremblottait à ses côtés, elle fixait un point invisible devant elle alors que de grosses larmes roulaient sur ses joues. Ça ne fit que l'énerver davantage.
— Tu crois que ton numéro va me...
— Je sais que je vous ai fait du mal, haleta-t-elle, la gorge nouée. J'aurais aimé comprendre plus tôt que vous aviez raison. J'étais aveuglée par... par trop de choses. J'aurais dû vous écouter, je n'aurais pas dû vous dire toutes ces horreurs, je n'aurais pas dû partir avec lui... Mais je l'ai fait.
— Ouais. Tu l'as fait. Alors n'espère pas que je te pardonne. Je crois qu'on a plus rien à se dire, parce que je te pardonnerai pas.
— Toute ma vie, je vais devoir vivre avec ce poids sur la conscience. D'avoir fait du mal aux personnes que j'aime le plus. Tu en fais et tu en feras toujours partie. Je ne veux pas que tout redevienne comme avant, parce que je ne suis plus la Caly d'avant. Toutes ces années m'ont fait prendre conscience de beaucoup de choses et crois-moi, je ne me pardonnerai jamais tout le mal que je vous ai fait. Mais je crois en avoir assez payé les conséquences. Elles seront à jamais gravées dans ma peau.
La jeune femme tendit son bras sous le nez de son ancien ami pour lui révéler l'une des cicatrices les plus profondes que Daniel avait laissées sur son corps. Ce jour-là, elle avait failli mourir et quand il avait appelé les pompiers, il leur avait dit qu'elle avait tenté de se suicider. C'était comme ça que ça se passait à chaque fois. Tant de fois, elle avait approché la mort sans jamais l'atteindre. Toute cette souffrance resterait à jamais ancrée dans son corps et son esprit. Anis pouvait lui en vouloir tant qu'il voulait, ça ne changerait rien au fait qu'elle avait survécu et que plus jamais elle ne se laisserait écraser par un homme. Elle se l'était promis.
— C'est lui qui t'a fait ça ? murmura Anis, en effleurant la longue ligne blanche sur l'avant-bras de son ancienne amie.
Calypso hocha la tête et retira brusquement son bras quand un frisson la parcourut. Elle frotta sa peau pour se débarrasser de la sensation désagréable qu'Anis avait laissée derrière lui.
— Il est où, maintenant ?
— Je ne sais pas, bredouilla Caly. J'ai porté plainte quand j'ai réussi à m'enfuir. Mais je n'ai pas de nouvelles, quand les flics sont allés chez nous... chez lui, il était parti.
— Alors il est encore en liberté ?
La jeune femme acquiesça et retint un nouveau sanglot. Cela faisait des semaines qu'elle avait réussi à ne plus craindre le retour de son mari et Anis venait de réveiller son angoisse. Et si Daniel revenait ? S'il voulait se venger ? Il était capable de tout, lui faire du mal à elle, comme à sa famille. Un sifflement s'échappa de sa poitrine compressée par la peur, une boule douloureuse obstrua sa gorge, sa cigarette lui échappa, sa vue se troubla. Si Daniel la retrouvait, c'en était fini d'elle. Elle le savait.
— Caly, bredouilla Anis, penaud. Excuse-moi... J'aurais pas dû te parler de lui.
C'était trop tard, elle s'était déjà perdue dans ses pensées obscures, elle ne l'entendait plus. Ce fut alors qu'il comprit à quel point il avait été dur avec elle. Matthias avait raison, elle avait assez souffert. Et elle lui manquait aussi, finalement. Anis entoura les épaules de la jeune femme de ses bras musclés par des heures de boxe, comme dans leur jeunesse, il tentait de la rassurer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top