Chapitre 21

Myriam avait réussi à convaincre son fils de rester encore quelques jours de plus, mais l'heure du départ avait enfin sonnée. Ben jouait des coudes sur les quais bondés de la gare, impatient d'enfin arriver chez lui et de retrouver Calypso. Il ne lui avait rien dit quant à son retour précipité, il avait hâte de voir la tête qu'elle ferait quand elle se retrouverait face à lui. Alors, quand il arriva enfin dans son quartier, il trottina gaiement jusqu'à son appartement, son sac de voyage sous le bras. Le cœur battant, presque essoufflé, il ne prit même pas la peine de passer par chez lui pour poser ses affaires et s'empressa de sonner à la porte voisine. Il n'y avait pas un bruit dans le petit immeuble, pas même chez Calypso. Peut-être avait-elle peur d'ouvrir ? Non, il l'aurait entendue quand même. Peut-être n'était-elle pas là ? Ben appuya nerveusement sur la sonnette une seconde fois. Puis une troisième, une quatrième et une cinquième. Rien. Calypso n'était pas chez elle. Son effet de surprise tombait à l'eau.

— Fait chier...

Frustré, Ben rentra chez lui et se jeta dans son canapé. Le goût amer de la déception envahissait sa gorge serrée. Il n'avait aucune nouvelle d'elle depuis une semaine, depuis son appel le soir de Noël. Il avait bien essayé de l'appeler plusieurs fois, mais elle ne répondait jamais. Il avait espéré qu'elle avait juste peur, qu'elle était gênée de lui reparler au téléphone après lui avoir avoué qu'il lui manquait, car il était persuadé qu'elle avait honte de s'être laissée allée ainsi. Mais peut-être ne voulait-elle finalement pas le voir ? Non, il se faisait des films. Elle n'était juste pas chez elle. Peut-être qu'elle travaillait ?

Pris d'espoir, le jeune homme se rua dans les escaliers et courut jusqu'à la brasserie qu'il trouva close. Pas là non plus. Il tenta de l'appeler encore une fois et tomba à nouveau sur son répondeur. Son poing se contracta sur son portable. La colère l'envahit. Pas contre Calypso, contre lui, d'avoir été assez stupide pour espérer une quelconque relation avec elle.

Soudain, des vibrations se firent sentir entre ses doigts. Il fut tenté d'ignorer cet appel qui provenait certainement de sa mère, inquiète de savoir s'il était bien arrivé, mais jeta tout de même un regard à son écran. Le visage souriant de Calypso, qu'il avait réussi à capturer un soir chez Matthias, s'y affichait et fit bondir son cœur à tel point qu'il en eut la nausée.

— Allô ? s'empressa-t-il de dire.

— Je suis désolée de ne pas t'avoir répondu hier... et avant-hier et... excuse-moi, s'il te plait, l'implora Calypso, d'une voix tremblante, pleine de doutes. Tu m'en veux ?

— Un peu, balbutia-t-il, la gorge serrée.

La jeune femme soupira. Sa voix grave lui avait manqué durant cette semaine et pourtant elle n'avait jamais décroché, trop effrayée par les sentiments qu'il lui dévoilait petit à petit. Et désormais, il lui en voulait. Elle avait tout foutu en l'air. Parce que durant cette semaine, elle avait eu le temps d'y penser, de se rendre compte qu'il comptait bien plus à ses yeux qu'elle ne le pensait. Quelques larmes la brûlaient. Elle dut lever les yeux au ciel pour les retenir. Recroquevillée dans un coin du balcon de l'immense appartement de son frère, Calypso avait hésité des heures durant à appeler Ben, avant de finalement se décider, honteuse de l'avoir rejeté tant de fois.

— Pardon, gémit-elle.

— Pleure pas, souffla-t-il.

— Ça me fait peur, tout ça. Je sais bien que tu ne me... enfin de toute façon, maintenant tu dois me détester, bredouilla-t-elle, la boule au ventre.

— Caly, je pourrai jamais te détester.

Ben s'arrêta en chemin et s'appuya contre un mur, à l'abri de la fine pluie qui tombait sur la ville.

— Je viens de rentrer, l'informa-t-il. T'es pas chez toi ? Je voulais te voir, mais...

Calypso se redressa brusquement et se cogna la tête dans le volet derrière elle, ce qui lui arracha un grognement de douleur. Alors il voulait la revoir ? Pourquoi ? Pourquoi ne lui en voulait-il pas ? Chaque appel qu'elle avait rejeté n'avait fait que faire enfler un peu plus son angoisse, sa peur de le retrouver sans savoir quoi lui dire. Et en quelques mots, il avait réussi à la dissiper. C'était comme ça avec Ben, il parvenait toujours à apaiser ses maux, même quand elle le rejetait. Calypso releva les yeux vers le ciel qui s'assombrissait de minute en minute, dénué d'étoiles.

— Je sais que tu m'en veux, mais... tout le monde vient chez Matty et Léna ce soir pour...

— Je serai là, répondit-il à toute vitesse. Je suis rentré exprès pour ça. Pour toi, surtout.

La jeune femme sourit bêtement, les joues rougies. Il avait toujours cet effet sur elle quand il disait ce genre de chose. Son cœur s'emballait, ses joues s'échauffaient, si bien qu'elle dut cacher son visage entre ses mains pour se soustraire au regard moqueur de Léna.

— A tout à l'heure, alors, souffla-t-elle, avant de raccrocher.

— Allez viens, on va te faire belle pour le prince charmant, pouffa Léna.

Calypso étouffa un gémissement de honte. Ses mains gelées posées sur ses joues bouillantes, elle releva doucement la tête vers son amie qui lui souriait de toutes ses dents. Elle n'avait aucune idée de ce qui l'attendait, mais Léna avait raison. Elle n'avait pas vu Ben depuis plus d'une semaine, il fallait qu'elle fasse un effort de présentation. Et puis, elle avait eu tout le temps d'y penser, d'en parler avec la petite blonde, avec sa petite sœur et de réaliser que Ben lui plaisait vraiment. Même si elle redoutait de tomber encore dans les filets d'un homme, Léna et Emilie avaient su la rassurer. Ilyes aussi, quand elle avait passé la journée avec lui et qu'elle lui avait évoqué cette stupide attirance qui l'effrayait.

— Il va pas en revenir, s'exclama fièrement Léna, en ressortant de son dressing.

Cela faisait dix bonnes minutes qu'elle s'était enfermée dans la grande pièce où elle entreposait tous ses vêtements, à la recherche de la robe qui irait parfaitement à Calypso. Cette dernière avait patienté devant la porte quelques minutes, puis, lassée, était retournée dans le salon auprès de Matthias. Il n'était pourtant pas de très bonne compagnie. Il avait pris du retard sur la correction des partiels de ses étudiants et s'était mis en tête de tout rattraper avant la nouvelle année.

— Caly ! Viens voir ! cria Léna.

— Qu'est-ce qu'elle fout ? maugréa Matthias.

— Tu devrais lâcher tes copies et aller te préparer aussi, Matt. Ils vont tous débarquer et tu seras encore en pyjama à râler après tes étudiants débiles. M'enfin ça changera pas trop de d'habitude, grincheux.

La jeune femme adressa un clin d'oeil à son frère et trottina dans la chambre de son amie pour éviter le coussin que lui lança Matthias. Il la fusilla du regard, soupira, mais finit tout de même par rassembler toutes ses copies et les ranger dans son sac avant de se diriger avec nonchalance dans la salle de bain. Tous leurs amis devaient arriver bientôt et rien n'était prêt. Léna avait décidé qu'elle ne préparerait rien et embaucherait Ben, qui s'était finalement libéré pour être là ce soir.

Calypso regardait la robe que lui tendait Léna, fière de son choix. Elle ne pouvait pas mettre ça. Ça ne lui irait jamais. Elle n'assumerait pas de montrer autant son corps, elle qui se cachait toujours derrière ses vêtements amples.

— Tu seras magnifique, fais-toi confiance.

— Non. Je ne peux pas. Ça va être moche. Regarde-moi ! Je ne suis qu'un sac d'os ! Et puis on verra les cicatrices sur mes bras.

— Personne ne dira rien, ils savent tous ce qui t'es arrivé.

— Mais moi je ne me sentirai pas à l'aise, s'énerva Calypso.

— Essaie-la quand même. Et si elle ne te plait pas, je t'en trouverai une autre, d'accord ? lui proposa Léna.

La petite blonde n'en démordait pas. C'était cette robe qui irait le mieux à Calypso. Cicatrices ou pas, ça ne changeait rien. Elle serait magnifique dans cette tenue qui mettrait divinement en avant son corps svelte. Peut-être qu'ainsi, elle se rendrait compte qu'elle était bien plus belle qu'elle ne le pensait. Résignée, Calypso adressa une moue boudeuse à son amie, mais s'enferma malgré tout dans le dressing pour essayer la longue robe fourreau rouge vif. Jamais elle n'avait porté quelque chose d'aussi habillé. La brune se déshabilla et dut prendre une profonde inspiration pour affronter le reflet qu'il lui renvoya. Elle avait encore pris un peu de poids et paraissait moins squelettique qu'autrefois. Pourtant, elle se trouvait encore trop maigre.

— Tu es belle, rappelle-toi, s'exclama Léna de l'autre côté de la porte.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? marmonna Matthias, toujours aussi énervé par les aberrations qu'il avait pu lire dans les copies de ses étudiants.

— Dis-lui qu'elle est belle, elle veut pas me croire.

Figée face au miroir, Calypso s'observait, époustouflée. La longue robe rouge en coupe portefeuille laissait apparaître sa jambe gauche et la longue cicatrice blanche qui ornait sa cuisse, rappel cuisant de Daniel. Il avait vu le sang dans la baignoire et était entré dans une rage folle. Le décolleté censé mettre sa poitrine en avant tombait sur de petits seins maigrichons, les bretelles fines se croisaient dans son dos presque entièrement dénudé. Le tissu couvrait si peu sa peau striée des stigmates de son enfer qu'elle en eut un haut le cœur. Jamais elle ne serait capable de se montrer ainsi. Pourtant, elle devait le reconnaître, sur une femme plus assurée, moins abîmée, elle devait être sublime.

— Allez, montre-nous.

Calypso prit son courage à deux mains et poussa la porte battante pour se révéler au jeune couple. Elle n'osa pas les regarder, de peur d'y voir le même dégoût que dans ses propres yeux. Et alors qu'elle tripotait nerveusement le tissu souple, Matthias la serra brusquement dans ses bras.

— T'es trop belle comme ça, lui susurra-t-il à l'oreille.

— Tu dis ça pour me faire plaisir.

— Pas du tout.

— Écoute-le, pour une fois qu'il a raison, pouffa Léna.

— On voit trop mes...

— Caly, arrête de te dénigrer. On en a déjà parlé, ces cicatrices font partie de toi, elles seront toujours là, alors prends les plutôt comme une preuve de ta force. Tu es encore là après avoir vécu tout ça. Tu es une battante, rappelle-toi.

La jeune femme hocha la tête, dubitative. Matthias resserra ses bras autour de ses épaules pour étouffer un gémissement. Elle craqua à son tour. Le brun ne supportait toujours pas ces évocations à toutes ces années que Caly avait passées loin de lui, à souffrir sans qu'il ne le sache. La culpabilité le rongeait.

— Allez, personne ne te fera aucune remarque, si ce n'est pour te dire que tu es magnifique. Fais-moi confiance, tout ira bien. Tu m'avais promis que je pouvais choisir ta tenue, lui rappela Léna, un rictus malicieux aux lèvres.

Léna savait être persuasive, si bien qu'à force d'insistance, elle réussit à convaincre Calypso de garder la robe rouge pour la soirée. Ravie, elle s'activa autour d'elle pour la coiffer et la maquiller d'un léger trait d'eye-liner qui mit ses yeux noisette en valeur. Matthias avait enfilé le costume que Léna lui avait acheté pour leur PACS et regardait sa sœur se transformer sous ses yeux. Elle n'avait plus rien de la jeune femme chétive et apeurée. En quelques minutes, elle s'était mue en femme fatale, somptueuse. Les joues rosies, Calypso se dévisageait dans le miroir. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait.

— J'en connais un qui va tourner de l'œil en te voyant, lui murmura Léna.

La brune piqua un fard, sous le regard interrogateur de Matthias qui espérait avoir mal compris. La réaction de sa sœur jumelle eut raison de lui. Cela ne fit qu'attiser sa mauvaise humeur. Il savait bien qu'il aurait dû se méfier de la relation que Ben nouait avec elle. Il se sentait même trahi par son meilleur ami.

— Matty, couina Caly.

— Laisse tomber.

Déçu, le jeune homme s'éclipsa dans le salon, sauvé par la sonnette qui retentissait dans l'appartement depuis de longues secondes. 

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