Chapitre 20
La sonnerie résonna une fois, puis deux, puis trois. Et enfin, Ben décrocha. Il avait failli ne pas répondre, trop occupé à discuter avec son petit frère de son avenir. Mais quand il avait vu qui le dérangeait, il s'était précipité sur son portable.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il, à toute vitesse.
Aucune réponse, seulement le sifflement effrayant de Calypso, qui suffoquait. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'elle soit dans cet état ?
— Respire.
Toujours rien.
— Respire.
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'étonna sa mère.
— Caly... respire, allez... Concentre-toi. Tu sais qu'il n'est pas là, que tu es en sécurité avec Matt et Emilie. Respire.
— J'y arrive pas, couina-t-elle.
Ben tapotait nerveusement la table du bout du pouce. Il détestait ça, ne pas être là pour l'aider, ne pas pouvoir la prendre dans ses bras, lui murmurer à l'oreille qu'il ne lui arriverait rien. Il se sentait impuissant, incapable de l'aider. Et il n'avait aucune idée de ce qu'il pourrait se passer s'il n'arrivait pas à la calmer au téléphone. C'était une mauvaise idée de quitter Paris, il le savait, il avait eu un mauvais pressentiment dès l'instant où son train avait démarré.
— Caly ?
— Hmm...
— Ecoute-moi, d'accord ? Respire.
— Je peux pas, sanglota-t-elle.
— Si tu peux, sinon tu pourrais pas parler. Alors respire, lui ordonna-t-il. T'es toute seule là ?
— Non...
— Tu peux t'isoler dans un coin ? Loin de... ton père. C'est lui, hein ? C'est lui qui t'a mise dans cet état ?
La jeune femme acquiesça d'un couinement désespéré et s'exécuta. Elle posa les pieds par terre, prit appui sur la table et se redressa. Ben avait raison, elle ne pourrait pas se calmer tant qu'on la regarderait comme une bête de foire, encore plus avec son père qui semblait s'amuser de la voir ainsi souffrir. Alors, titubante, elle se traîna dans la chambre d'ami et s'allongea sur le matelas moelleux. Pelotonnée contre les oreillers, elle posa le téléphone sur sa poitrine et ferma les yeux.
— Maintenant, essaie de respirer calmement, souffla Ben.
Calypso serra la couette entre ses doigts et tenta de reprendre ses esprits. Elle inspira une grande bouffée d'air qui lui brûla les poumons et la délivra enfin de son cauchemar. Puis, elle retint sa respiration, de longues secondes, et expira jusqu'à manquer d'oxygène. C'était Ben qui lui avait appris cette technique de relaxation. Depuis qu'il n'était plus là, elle y avait souvent eu recours, ça lui permettait de reprendre pied sans son aide.
— Ça va mieux ? s'inquiéta le jeune homme.
— Oui... Excuse-moi, de t'avoir dérangé, murmura-t-elle.
— Tu sais bien que tu me déranges jamais. Tu veux me dire ce qu'il s'est passé ?
La jeune femme soupira et resserra ses doigts sur le tissu. Si elle était capable de respirer, la boule d'angoisse qui n'avait cessé de croître depuis le début de la soirée ne l'avait pas quittée. Un gémissement lui échappa, les larmes ruisselèrent de nouveau sur ses joues, la honte s'infiltrait en elle. Même avec sa famille, elle avait ce genre de réaction, c'était ridicule. Elle pensait pourtant avoir fait des progrès, grâce à son travail, grâce à Léna et Emilie, grâce à Matthias et, surtout, grâce à Ben qui l'accompagnait toujours dans son combat contre ses démons.
— Caly, pleure pas... Ça va aller...
— Tu me manques, geignit-elle.
Surprise par son aveu de faiblesse, Calypso plaqua une main sur sa bouche, trop tard. Elle imaginait déjà Ben sourire bêtement chez lui. Assis dans le canapé, le visage du grand brun s'illumina aussitôt, ce qui lui valut quelques moqueries de sa mère et son frère. Le coeur battant, Ben se leva pour s'isoler dans la cuisine, une cigarette aux lèvres. Accoudé à la fenêtre, il leva les yeux vers le ciel. Trois jours qu'il n'avait pas partagé cette vue avec Calypso. C'était trop long. Et les trois mots qu'elle venait de prononcer suffirent à lui rappeler à quel point elle l'attirait.
— Tu me manques aussi... T'as une fenêtre près de toi ?
— Oui...
— Je sais qu'on est pas ensemble ce soir, mais... t'arrives à voir des étoiles, toi ?
La jeune femme s'extirpa du lit et ouvrit la baie vitrée qui donnait sur un petit balcon. La bise la frappa et la fit frissonner, alors elle tira la couette et s'enroula dedans pour s'asseoir par terre. Les yeux rivés sur le ciel sombre, Calypso tentait de distinguer quelques points lumineux, mais les étoiles se faisaient timides au-dessus de Paris.
— Non... y a rien... Tu en vois, toi ?
— Ouais, y en a plein. Je crois qu'il y a la grande ourse en face de moi. Enfin j'en sais rien, j'y connais rien en étoiles, rit-il, nerveux.
Calypso pouffa de rire, ce qui eut pour effet d'étirer le sourire de Ben. Depuis le début de la soirée, il s'était retenu de l'appeler, entendre sa voix lui faisait du bien. Et puis, elle l'avait fait, ça voulait dire qu'elle tenait à lui, elle aussi.
— Benji ! s'exclama sa mère, de l'autre côté de la porte. J'espère que tu n'es pas en train de fumer à la fenêtre ! Tu sais bien que je n'aime pas ça.
— Benji ? s'étonna Calypso. Ben, c'est pas ton vrai prénom ?
— Nan... En vrai, je m'appelle Benjamin. Mais tout le monde m'appelle Ben, y a que ma mère qui veut rien entendre.
La jeune femme hocha la tête, les yeux toujours rivés sur le ciel. La voix grave de son voisin lui avait tant manqué et elle l'apaisait tant qu'un soupir lui échappa. Un sentiment de plénitude si agréable se répandit en elle quand il lui murmura qu'il avait hâte de rentrer pour la revoir.
— Le ciel s'est découvert, répondit-elle, sur le même ton. Je vois la grande ourse aussi.
— Benjamin ! Qu'est-ce que je viens de dire ? s'énerva Myriam. Éteins-moi ça ! Tu sais très bien ce que tu risques.
— Maman... sors de là, râla-t-il, exaspéré.
— Je suis désolée, je t'ai dérangé, s'excusa Calypso, lorsqu'elle prit conscience qu'il aurait dû être avec sa famille, plutôt qu'enfermé dans la cuisine à lui téléphoner. Je... je crois que mes parents sont partis, j'ai entendu la porte claquer... je vais aller voir. Excuse-moi.
— Mais non... tu m'as pas dérangé !
— Bonne nuit Benjamin, souffla-t-elle.
— Bonne nuit, Calypso... Tu me manques.
— Alors ? minauda Myriam. Qui est cette Calypso ?
Ben roula des yeux, écrasa son mégot dans le coquetier qui lui servait de cendrier et se retourna vers sa mère sans parvenir à effacer le sourire qui étirait ses lèvres depuis qu'elle lui avait dit qu'il lui manquait. Il n'avait pas envie de subir l'interrogatoire forcé de sa mère, alors il ignora la question et rejoignit Maxime dans le salon. Son petit-frère était occupé à feuilleter un vieil album photo dans lequel étaient consignées toutes leurs premières années.
— Papa aussi aurait voulu savoir qui est cette Caly, dit-il, sans relever les yeux de la photographie qui représentait leur père, bien avant qu'il ne tombe malade.
— C'est ma voisine, grommela Ben.
Le grand brun s'affala dans le canapé et ferma un instant les yeux. Il fallait qu'il rentre à Paris. Caly avait besoin de lui. Mais il avait promis à ses amis toulonnais d'être là pour le jour de l'an.
— Ta voisine, hein ? ricana Max.
— La sœur de Matt, aussi.
— Je croyais que c'était Emilie, la sœur de Matt.
— Emilie, c'est sa petite sœur. Caly, sa sœur jumelle. Et... elle a vécu des choses difficiles ces dernières années, soupira Ben. J'essaie juste de l'aider à aller mieux...
— Et au passage, tu tombes amoureux, pouffa Myriam. Elle est jolie ?
— Maman ! s'indigna Ben.
— Oh arrête Benjamin, je te connais par cœur. Tu peux bien le dire à ta vieille mère !
Ben leva les yeux au ciel. Il n'avait jamais trop aimé raconter ses conquêtes à sa mère, elle l'aurait certainement traité de goujat si elle savait comment il s'était débarrassé de certaines. Cette fois-ci était différente, car Calypso était différente. Il ne voulait pas d'une simple nuit avec elle. Il espérait bien plus que cela, mais il redoutait de se lancer. Caly était encore fragile, elle prendrait peur. Tout ça à cause de ce Daniel qui l'avait détruite. Il s'était pourtant fait la promesse d'attendre autant de temps qu'il le faudrait pour qu'elle soit prête.
— Tu tiens vraiment beaucoup à elle, remarqua Myriam.
— Oui... Et je veux faire les choses bien avec elle.
— Qu'est-ce qui lui est arrivé ce soir ? l'interrogea Max. Ça avait l'air tendu.
— Elle fait des crises d'angoisse.
Le jeune homme soupira. Il se demandait quand elle arriverait enfin à se débarrasser de son anxiété. Peut-être jamais. Il y pensait souvent la nuit, quand Calypso dormait paisiblement contre lui, dans son canapé. Ça l'effrayait un peu, puis la jolie brune se blottissait un peu plus dans ses bras, resserrait ses doigts autour des siens, et il oubliait toutes ses craintes.
— Tu crois qu'Agnès m'en voudra si je suis pas là la semaine prochaine ? marmonna-t-il.
— Elle va sûrement te maudire sur douze génération, la connaissant, rit Max. Mais je te couvrirai.
— Tu vas déjà rentrer à Paris ? s'indigna Myriam. Tu n'es arrivé qu'avant-hier.
— Si je pars dans deux jours, ça te va ?
Myriam se renfrogna, déçue que son ainé, qu'elle voyait trop peu à son goût, parte si tôt. Mais elle finit par accepter, incapable de résister à la moue triste qu'il faisait. Depuis que son mari était mort, elle n'arrivait plus à résister à Ben. Il lui ressemblait chaque année un peu plus.
— Tu me la présenteras, hein ?
— Ouais, amène-la ici, ce sera le meilleur moyen pour la faire fuir, se moqua Maxime.
Ben leva les yeux au ciel. Il savait bien qu'il n'aurait pas dû leur parler de Caly. Pourtant, il se sentait aussi soulagé de l'avoir fait. Ça ne faisait que lui confirmer ce qu'il savait déjà : ce serait elle, celle qui occuperait ses pensées et à qui il donnerait son cœur à tout jamais.
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