Chapitre 17
La voiture s'engouffra dans une allée de graviers blancs et s'arrêta devant un grand bâtiment moderne designé par un architecte de renom, d'après la petite blonde. Le jardin était tenu d'une main de maître par une équipe de jardiniers qui s'affairaient autour d'un buisson de roses et apportait un charme supplémentaire à l'endroit. Et quand elles entrèrent dans le hall au plafond haut, Calypso ne put retenir son admiration. La décoration sobre et simple était embellie par de magnifiques œuvres contemporaines choisies avec soin par le propriétaire.
— Où est-ce qu'on est ? s'étonna-t-elle.
— Dans un spa, tenu par un ami de mon père. On s'est dit que ça nous ferait bien à toutes les trois de nous détendre un peu, l'informa Léna. Et puis... ce sera l'occasion de discuter.
Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres pulpeuses et déclencha aussitôt un feu brûlant sur les joues de sa belle-sœur. Il n'y avait aucun doute à avoir sur la teneur de leur conversation. Encore plus quand elle vit Emilie sautiller gaiement en tapant dans ses mains, comme une hystérique. Calypso roula des yeux et suivit Léna jusqu'au comptoir où attendait une hôtesse tirée à quatre épingles qui leur indiqua une porte en verre. Et les trois femmes s'engouffrèrent dans un long couloir qui débouchait sur trois cabines où elles pourraient se changer.
— Mais je n'ai pas de maillot, moi, leur fit remarquer Caly.
— On a tout prévu. Tiens, la contra Emilie. On se retrouve de l'autre côté.
Calypso attrapa le bikini que lui tendait sa petite sœur et soupira. Il y avait si peu de tissu pour couvrir les marques indélébiles que Daniel avait laissées sur son corps. La jeune femme enfila le deux-pièces et se figea lorsqu'elle se retrouva face à son reflet. Elle ne pouvait pas sortir comme ça. Depuis qu'elle avait quitté Daniel, Calypso prenait soin d'éviter tous les miroirs qu'elle croisait, de peur d'y voir les dégâts qu'il avait infligés sur son corps maigrelet. Elle détestait ce qu'elle y voyait. Les cicatrices grossières qui ornaient son ventre, son dos, ses jambes, ses bras. Elle haïssait l'image qu'elle se renvoyait. Celle d'une femme faiblarde, incapable de se défendre, au corps repoussant. Et elle repensa à Ben. Elle venait de trouver une raison de plus de le repousser.
— Caly ? s'écria Emilie de l'autre côté de la porte.
La jeune femme resta silencieuse, absorbée par son reflet répugnant. Elle ne pouvait pas se montrer ainsi à sa petite sœur. Elle ne supporterait pas de la voir ainsi.
— Caly ? Est-ce que ça va ? s'enquit Léna.
— Je... je ne peux pas, haleta Calypso.
Ses doigts suivaient lentement les stigmates que Daniel avait laissés sur sa cuisse quand il avait trouvé le test positif qu'elle avait caché dans un pot de fleurs. Lorsque les deux traits s'étaient révélés sur le plastique blanc, elle avait su que c'en était fini d'elle.
— Allez, ouvre-nous, l'implora Emilie. T'as pas à avoir peur de quoi que ce soit, tu le sais.
Daniel était entré dans une rage folle, il avait tout cassé autour de lui, il hurlait, il l'insultait et elle, elle restait recroquevillée dans un coin de la salle de bain. Et puis, il s'était emparé de son rasoir.
— Caly... ouvre...
D'une main tremblante, la jeune femme appuya sur la poignée et poussa la porte avec une extrême lenteur, redoutant de se retrouver face aux regards dégoûtés et tristes de Léna et Emilie. Mais quand elle se retrouva enfin devant elles, les deux femmes se jetèrent sur elle pour la serrer dans leurs bras sans même prendre la peine de la regarder. Calypso fondit aussitôt en larmes quand Emilie s'accrocha à elle et embrassa sa joue.
— Je suis immonde, gémit Caly.
— Pas du tout, la rassura Léna. Moi, je te trouve très jolie, ne te focalise pas sur ça, ce n'est pas ce qui te définit.
— Le laisse pas avoir encore cette emprise sur toi, Caly, poursuivit Emilie. Tu es partie, tout ça, c'est derrière toi maintenant, alors ne le laisse pas continuer à dicter ta vie et comment tu te perçois.
— Mais je... j'arrive même pas à me regarder dans le miroir... je suis répugnante.
— Pas du tout ! Loin de là ! Tout ça, tout ce qui te répugne, moi je trouve que ça montre juste à quel point tu es forte. Tu as passé dix ans avec ce sale type, mais tu es encore là et tu es revenue. Maintenant tu as toute ta vie devant toi, pour te reconstruire et oublier tout ça. Alors ne te laisse pas encore avoir par ce qu'il a essayé de te faire croire. Tu vaux bien plus que ce qu'il a pu te dire. Caly... Tu le sais, t'as toujours été un modèle pour moi, j'aimerais être aussi forte que toi. Tu as combattu cette épreuve et tu t'en es sortie vivante. Alors maintenant, fais-toi confiance et...
Calypso hocha la tête, peu convaincue, mais les mots doux et rassurant d'Émilie et Léna s'infiltraient dans son esprit et s'y faisaient une petite place. Elle voulait y croire, elle voulait réussir à surmonter ce dégoût qui lui laissait un goût amer au fond de la bouche quand elle sentait les boursouflures de ses cicatrices sous ses doigts. Emilie posa ses deux mains sur les joues humides de sa sœur et planta son regard brun dans les yeux noisette de Calypso, puis elle embrassa son front et lui adressa un sourire bienveillant.
— Tu vas t'en sortir. Laisse-toi le temps. Ça ne fait que quelques mois que tu l'as quitté. Laisse-toi le temps de guérir.
— Et quand tu te sentiras prête, tu pourras te regarder dans le miroir et tu te trouveras belle, parce que tu l'es. Regarde-moi ça, tu as vu ces yeux ?
— Léna... T'es pas objective, elle a les mêmes que Matthias, pouffa Emilie.
— Oui, bah justement. Je suis tombée amoureuse de Matthias. Donc tu vois, ça c'est un sacré atout que tu possèdes.
Calypso sécha ses larmes d'un revers de main et esquissa un rictus amusé. Les filles avaient bien fait leur travail, elle se sentait un peu plus légère, mais si elle n'était pas à l'aise pour autant avec ce bikini qui dévoilait son corps aux regards intrigués de tous les autres clients du spa quand elles traversèrent une grande pièce où se prélassaient quelques femmes sur des chaises longues. Puis, elles entrèrent dans une pièce à l'écart. Elles y étaient seules, avec pour seule compagnie un jacuzzi, une bouteille de champagne et trois coupes.
— Allez, on trinque à ta nouvelle vie !
Très vite, Calypso oublia la honte que lui faisait éprouver son corps. Bien cachée sous les bulles du bain bouillonnant, elle se laissait aller à un peu de bonheur. Emilie ne cessait de s'agiter face à elle pour lui redonner le sourire. Elle avait entreprit de lui raconter comment elle s'était retrouvée à boire des pintes de bière avec une bande de punks londoniens rencontrés par hasard dans la rue. Elle riait à gorge déployée et répandait la bonne humeur autour d'elle, si bien que la bouteille de champagne y passa sans même qu'elles ne s'en rendent compte. Léna s'était autorisée une coupe, mais s'était arrêté là, préférant ne prendre aucun risque pour son cœur, ce qui avait intrigué Calypso. Alors, elle avait entreprit de lui raconter son long combat pour la vie. Atteinte d'une maladie orpheline, elle avait dû mener une féroce bataille contre son propre corps qui attaquait son cœur. Mais tout ça était derrière elle désormais, les médecins avaient réussi à trouver une parade. Bien sûr, elle restait fragile, alors elle prenait toutes les précautions nécessaires, mais pouvait enfin se laisser aller à la vie.
— Ben m'a beaucoup aidée au début, expliqua-t-elle. J'avais vraiment peur de parler de ma maladie aux garçons, j'avais peur qu'ils ne me repoussent à cause de ça et Ben... bah c'est Ben, quoi. Il a su trouver les mots pour me rassurer.
— Aaaah... Ben, ce héros, rit Emilie, un brin éméchée.
Calypso sentit ses joues s'échauffer lorsque les deux amies lui adressèrent un regard appuyé à l'évocation du jeune homme. Elle s'enfonça un peu plus dans le bain chaud et sirota sa coupe d'alcool, l'air de rien, mais elle se doutait bien que la question qui suivrait lui serait adressée.
— Tu sais que tu ne peux pas te cacher derrière ton verre ? se moqua Emilie.
— Hein ? Quoi ?
— C'est ça, fais l'innocente. Alors, dis-moi, ma soeur chérie, qu'est-ce qu'il se passe avec Ben le prince charmant ?
La jeune femme glissa de la petite marche sur laquelle elle était assise et but la tasse. Quand elle refit surface, en toussotant, elle tomba nez à nez avec Emilie, qui lui souriait de toutes ses dents. Elle la connaissait bien, quand elle voulait quelque chose, elle l'obtenait. Mais elle n'avait aucune envie de parler de Ben, ça la mettait mal à l'aise parce qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'il se passait réellement entre eux. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'il l'aidait à aller mieux, qu'elle aimait passer du temps avec lui, mais qu'elle avait peur.
— Tu sais... intervint Léna. Ben est venu me voir hier... il...
— Je t'en prie, ne dis rien, l'implora Caly.
— Ça te fait peur ? l'interrogea Emilie, plus sérieuse.
Calypso hocha la tête timidement. Elle était terrorisée. Et pourtant... quand elle se remémorait la soirée de la veille...
— Il tient vraiment à toi.
— Je connais Ben depuis quelques années maintenant, intervint Emilie. Il a toujours été là pour Matty, même dans les pires moments et il a toujours été là pour moi aussi. T'as pas à avoir peur de lui, il tient à toi, il ne te fera jamais de mal.
— Je sais, souffla Caly, d'une voix étranglée. Je... je n'ai pas vraiment envie de parler de ça, est-ce qu'on pourrait changer de sujet ?
— Comme tu veux... soupira Emilie. Mais réfléchis-y, d'accord ? Laisse-lui une chance.
La jeune femme acquiesça d'un signe de tête discret et détourna le regard de sa petite soeur qui lui adressait un sourire charmeur, comme pour la convaincre un peu plus. Durant toute la journée, Calypso évita du mieux qu'elle put le sujet "Ben" et s'était sentie soulagée quand Léna et Emilie s'étaient endormies dans un transat. Enfin les regards attendris avaient cessés. Mais elle s'était retrouvée seule avec ses pensées et s'était égarée auprès de son voisin. La nuit qu'elle avait passé en sa compagnie avait été étrangement calme, loin de tous ses cauchemars habituels. Dès lors qu'elle s'agitait un peu, Ben l'apaisait d'un murmure. Et elle se surprit à espérer pouvoir à nouveau dormir contre lui, à l'abri de ses démons.
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