Chapitre 13

 Ben quittait le café où travaillait Calypso. Il s'y rendait tous les jours, accompagnant Caly le matin et rentrant avec elle le soir. C'était un rituel qui s'était établi entre eux sans qu'ils n'en parlent vraiment. Si la jeune femme avait d'abord été réticente à l'idée de le voir débarquer tous les soirs, elle y avait pris goût et sentait même l'anxiété la gagner quand la fin de son service arrivait et qu'il n'était toujours pas là.

— A ce soir ! s'exclama Ben, le sourire aux lèvres.

— Vraiment, murmura Élise, une fois qu'il fut hors de portée. Y a un truc.

— Arrête, geignit Caly, les joues rosies.

— Tu vois ! T'aimerais bien.

Calypso lui adressa un regard exorbité. Il en était hors de question. Elle arrivait à peine à lui faire confiance comme simple voisin, ami peut-être, alors Elise ne devait rien espérer. Ben non plus, et il le savait. Même si depuis quelques jours, il sentait poindre une attirance irraisonnée pour elle. Ça avait commencé la semaine précédente, quand ils étaient rentrés ensemble après leur journée de travail. Le ventre de Caly avait grondé, ce qui lui avait arraché un rire gêné. C'était là qu'il avait senti son cœur se tordre, ou bondir, il ne savait pas trop. Puis, ils étaient rentrés, et ils avaient encore passé la nuit à la fenêtre. Et c'était au petit matin qu'il avait eu cette sensation étrange, en se rappelant du rêve qu'il avait fait. Calypso y souriait, y riait. Elle se laissait approcher, toucher et... il l'avait embrassée. Depuis, il ne cessait de repenser à ce songe lointain. Son regard se perdait souvent sur la jeune femme alors qu'elle servait d'autres clients et il se surprenait à la dévorer des yeux.

Alors ce matin-là, après avoir quitté la petite brasserie, Ben s'était précipité chez sa meilleure amie, Léna. Il fallait qu'il en parle à quelqu'un et elle était la seule qui ne s'en offusquerait pas. Il se voyait mal dire à Matthias qu'il rêvait d'embrasser sa sœur.

— Tu ne travailles pas aujourd'hui ? s'étonna Léna.

— Nan, j'ai pris ma journée. Je suis mort, je dors presque plus et Gaby arrête pas de recommencer ses morceaux douze mille fois.

— Donc tu viens faire la sieste chez moi ?

Ben esquissa un sourire malicieux et s'allongea sur le sofa. Il ferma aussitôt les yeux et fit mine de ronfler quand Léna le poussa pour s'y asseoir aussi.

— Est-ce que ton manque de sommeil serait, par hasard, dû à une certaine voisine... ? demanda Léna, d'un air innocent.

— Comment tu sais ça ?

— Elle a dit à Matt que tu l'aidais à gérer ses angoisses. Elle culpabilisait un peu, même, de t'empêcher de dormir. Donc elle n'a plus peur de toi ?

Ben rouvrit les yeux et se redressa pour boire le café que lui tendait son amie. Il n'était pas certain de pouvoir dire que Caly n'avait plus peur de lui. Il y avait encore quelques fois où elle sursautait en entendant sa voix, où elle bondissait à un mètre de lui lorsque leurs bras s'effleuraient alors qu'ils marchaient. Malgré tout, elle lui faisait confiance. Il en avait pris conscience quand elle lui avait demandé s'il pouvait venir chez elle le soir du 23 novembre. Habitué à s'occuper de Matthias à cette date les années précédentes, Ben n'avait pas tout de suite compris ce qu'elle voulait de lui. Ce fut lorsqu'elle lui avait ouvert la porte et qu'il l'avait trouvée en larmes, tremblante, qu'il avait saisi toute son importance. Elle avait besoin de lui, plus que jamais. Ben avait tendu la main vers elle, doucement, pour ne pas l'effrayer. Il l'avait attirée délicatement contre son torse. Il s'était attendu à la voir le repousser, mais elle s'était accrochée à lui ainsi durant des heures, jusqu'à sombrer dans le sommeil. Elle n'avait pas voulu lui dire ce qu'il se passait, elle ne lui avait pas décroché le moindre mot, mais il était là et c'était tout ce qui comptait.

— Elle te plaît, pas vrai ? déclara Léna, en lui décochant un regard malicieux.

— Ne le dis pas à Matt, s'il te plaît, murmura Ben, presque honteux d'admettre son attirance.

— Oh je le savais ! Alors vas-y dis-moi tout.

— Y a rien à raconter, parce qu'il se passera rien. L'idée m'a peut-être traversé l'esprit, mais...

— Mais quoi ? Tu passes tout ton temps avec elle, toutes tes nuits. C'est normal que les choses évoluent entre vous, non ? Puis, elle te fait confiance maintenant. Alors de quoi t'as peur ?

Ben haussa les épaules et passa une main tremblante dans ses cheveux mal coiffés. De quoi avait-il peur ? Il se répéta la question une bonne dizaine de fois sans oser admettre la réponse. De beaucoup de chose, en fait. C'était Caly qui l'effrayait. Non pas qu'elle représente un danger, mais plutôt une menace qui planait au-dessus de sa tête, celle de tomber amoureux d'elle et de ne plus pouvoir revenir en arrière. Trop de fois il avait été terrifié à l'idée de la voir suffoquer lors d'une énième crise d'angoisse. Et si elle n'allait jamais mieux ? Il ne ferait qu'en souffrir.

— J'ai peur de me perdre... murmura-t-il. De me perdre dans une relation sans avenir... Elle est pas prête à quoi que ce soit de ce genre. C'est à peine si elle me fait confiance.

Le jeune homme s'affala dans le canapé et poussa un long soupir désespéré. Il était de toute façon incapable de réfléchir. Il ne le voulait pas, parce que s'il commençait à y penser, il n'arrêterait plus jusqu'à la retrouver le soir venu et il avait besoin de repos, justement pour tenir durant la nuit. Alors, il referma les yeux bercé par l'air de Bach qui résonnait tout doucement dans l'immense salon de son amie. Somnolant, il laissa ses pensées le porter auprès de sa jolie voisine. Il n'avait qu'une hâte : que la nuit tombe pour se précipiter à son travail, retrouver son sourire si rare et précieux, discuter avec elle quelques minutes avant de retrouver le calme apaisant de leur minuscule cour.

Mais ses plans furent contrecarrés par l'apparition bruyante et surprenante d'une petite tornade brune. Emilie était de retour et contente de retrouver son ami, sur qui elle venait de sauter. Ben bondit, tiré de son demi-sommeil et grommela quelques mots avant de s'apercevoir de ce qui l'avait réveillé.

— Je croyais que t'étais à Londres, ou je ne sais où ? maugréa-t-il.

— Ah bah merci, ça fait plaisir l'accueil, s'offusqua-t-elle, alors que Matthias et Léna pouffait de rire derrière elle.

— J'étais en train de dormir et tu me sautes dessus, tu t'attendais à quelle réaction au juste ? s'énerva-t-il.

— Rolalaaaaa, t'as pas appris à être aimable pendant mon absence en tout cas. J'espère que tu es plus sympa avec Caly !

Ben manqua de s'étouffer, surpris par cette remarque. Il crut voir Matthias écarquiller les yeux, tout aussi étonné, tandis que Léna lui adressait un sourire innocent. Cette dernière avait proposé à Emilie d'inviter Calypso pour la soirée, histoire que les trois frères et sœurs se retrouvent enfin tous ensemble. Et puis, elle avait une idée derrière la tête.

— Bon... Je vais y aller, marmonna Ben, remarquant que la nuit tombait.

— Tu devrais rester, Caly ne va pas tarder à arriver, lui chuchota Léna. Eh Matt ? Ben peut rester ce soir, hein ? Comme ça, Caly ne rentrera pas seule.

Matthias ne sembla pas très enthousiaste à cette idée, mais accepta tout de même. Calypso lui avait souvent parlé de ces nombreuses heures passées à écouter Ben lui répéter de respirer. Connaissant son ami, il se méfiait de cette amitié naissante. Et d'un autre côté, ça le rassurait de savoir que son meilleur ami était là pour veiller sur elle. Depuis qu'elle était rentrée, Matthias ne cessait de redouter le retour de Daniel, de craindre que Caly disparaisse de nouveau, de s'inquiéter de ne pas réussir à retrouver leur complicité d'antan. Léna tentait de le raisonner, mais ça ne suffisait pas. Alors, il s'en remettait à Ben, à contrecœur.

— Alors tu fais à manger ! s'exclama Emilie. J'en peux plus de la bouffe dégueue des anglais, j'ai besoin de me gaver de bons trucs. Allez, s'te plait, Ben.

Connu pour ses talents culinaires, le grand brun ne se fit pas prier et partit avec la jeune femme faire quelques courses, sous l'œil suspicieux de Léna qui avait vu clair dans son jeu. Ben tentait par tous les moyens de repousser le moment où Calypso se rendrait compte qu'il était là, lui aussi. Et puis, ce serait peut-être pour lui l'occasion de discuter d'elle avec Emilie.

— Je suis contente que vous vous entendiez bien, lui dit la jeune femme alors qu'ils flânaient dans les rayons de la supérette. Je crois que ça lui fait du bien, de te fréquenter. Ça lui redonne confiance. T'as un effet bénéfique sur elle.

Ben ne put réprimer un sourire satisfait. Gonflé de fierté, il attrapa les sacs et reprit le chemin vers l'appartement. 

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