.6. chiffon de sentiments
- Adam, tu dis rien, là, reste pas dans ton coin !
La voix gueularde de Julienne lui fit lever la tête. Il grimaça.
- Je me sens très bien là, t'as vraiment pas à t'en faire.
Il n'aurait jamais dû venir.
Il n'aurait jamais dû accepter l'invitation de Ben quand il avait parlé d'un « aprem chez moi avec les potes ».
Il avait oublié que Ben était « pote » avec un bon trois-quart du lycée, et que lui, Adam, faisait partie du dernier quart des « amis proches ».
Il n'avait jamais adressé la parole à la moitié des gens qui l'entouraient, et même s'il était de nature sociable, ça le mettait mal à l'aise.
Il avait espéré pouvoir au moins rester aux côtés de Ben cinq minutes, mais ce dernier était en train de fumer avec deux autres personnes, lâchant un éclat de rire entre deux panaches de fumée.
L'odeur arriva aux narines d'Adam, qui se crispa.
Il détestait.
Après un regard rapide autour de lui, il comprit qu'il perdait son précieux temps et se leva. Moins d'une minute plus tard, ses semelles claquaient sur le trottoir.
Il faisait déjà noir, c'était la fameuse période de raccourcissement des jours.
- Connerie. Ils raccourcissent pas, les jours. On a juste moins le temps de les voir. Ils fatiguent, ils se couchent tôt.
Il marmonnait tout seul comme ça quand quelque chose le frustrait. Il s'en rendit compte et ça le frustra un peu plus.
Il était chiffonné. Comme la feuille de brouillon d'une interro qu'on a raté.
C'était un sentiment chiant.
Pas d'autres mots. Juste chiant.
Alors il déverrouilla son téléphone et relu encore une fois le message d'Eden.
Message reçu : Eden
19:33
paré pour la natation
je serais là samedi soir
Pendant un moment, il avait eu peur qu'il dise non, ou qu'il ne dise rien du tout. Ça aurait été pire.
Ça lui était un peu venu d'un coup, l'idée du post-it. Encore une décision sur un coup de tête. Mais bon, jusque là, il n'en avait regretté aucune.
Pourtant, là, il prit le temps d'hésiter.
Est ce que c'était approprié ? Ce n'était pas trop ?
Est ce qu'il passerait pour un harceleur s'il envoyait encore un message ?
C'était Eden.
Ça valait le coup d'essayer.
Il pianota sur son clavier, verrouilla l'écran et fourra les mains dans ses poches.
Il était inutile de nier qu'Eden lui avait accroché le regard depuis un certain temps. Adam lui-même le savait, ce garçon lui plaisait et il espérait lui plaire aussi.
C'est toujours agréable d'avoir une chance à la réciprocité, quand il est question d'attirance.
Eden, à ses yeux, sortait tout droit d'un univers atypique et mystérieux, presque fictif. Il était cette personne poétique rien qu'à sa façon de marcher, au regard plein d'Histoire.
Un timide socialement maladroit qui écrivait des poèmes et un saxophoniste en herbe qui savait faire des sandwiches et connaissait trop de monde.
Adam trouvait leur situation terriblement cliché, mais il trouvait aussi que la notion de « cliché » devenait elle-même cliché, alors il s'en moquait un peu.
Il ne le cachait même pas : il avait envie de le voir.
Nouveau message : Eden
19:56
je fais rien de spécial, non. et toi ?
Et il avait trop hâte pour attendre samedi.
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