.5. coeur qui pleut

Eden avait une relation particulière avec la pluie qu'il caractérisait souvent de « sinusoïdale stricte non-réciproque ».

« Sinusoïdale stricte » parce que ça alternait entre amour et haine, jamais entre les deux.
Quand il pleuvait, soit Eden en était ravi car il prenait plaisir à rêvasser le nez dehors, respirer l'air nettoyé et sentir les gouttes de pluie s'écraser sur son visage ; soit il était en rogne car il était contraint de rester à l'intérieur, étouffé par les autres personnes qui l'entouraient.

C'était ce qui se passait en ce moment. Une averse avait débarqué au moment de la récré, emprisonnant tous les élèves dans le hall et les couloirs du lycée.

(« Non-réciproque », c'était simplement parce qu'Eden aimait la pluie, puis la détestait ; tandis que la pluie, elle, qu'est ce qu'elle en avait à faire de lui ? C'était de la pluie.)

Eden n'arrivait pas à déterminer si la présence de Tom et Raphaël était une bonne ou une mauvaise chose. D'un côté, il leur était reconnaissant d'être là et de le cacher du regard des dizaines d'autres lycéens autour d'eux, de l'autre, il aurait aimé avoir une excuse pour pouvoir se réfugier dans un cabinet de toilette, seul, le temps qu'ils retournent tous en cours.

Il en avait plein la tête.
Il ne savait pas exactement pourquoi il avait envoyé le message, la veille (il n'était même pas sûr d'avoir bien composé le numéro). Il avait pensé que ça conclurait l'histoire, peut-être.
Au contraire, ça lui avait encore plus assailli l'esprit et il ne pouvait pas s'empêcher d'y penser, à son écriture, à son visage, à ses mots, à ses yeux.

Ses yeux.

Il venait de lever les siens et leurs regards s'étaient croisés.
Adam était en face, à l'autre bout du couloir, lui aussi entouré de ses amis, et le regardait.

Alors qu'il tentait de lui sourire, une bombe nucléaire explosa entre eux et les sépara.

Elle portait le nom de Julienne.

Colorée et rieuse, plus bruyante que la totalité des élèves qui l'entourait. Eden la trouvait insupportable. Ce sentiment s'intensifia quand elle passa un bras autour d'Adam en parlant trop fort à son goût de sa carrure d'athlète.

Son estomac fit un bruit bizarre, une explosion de papillons. Morts.

- Eden ? Tu m'écoutes ?
- Quoi ? Non, pas vraiment.

Tom soupira, mais son regard pesant montrait son inquiétude.

- Je demandais si t'avais fini le livre de français.
- Merde, non. Il faut le lire pour quand ?
- Vendredi.
- Et... On est quel jour ?
- Mercredi, mec, t'es sur quelle planète ? T'as fumé un truc avant de venir ou quoi ?

Eden lâcha un gros soupir et passa la main sur son visage.

- Je reviens.
- Eden, attends, fit Raphaël en lui prenant le bras. Qu'est ce qu'il y a ? Il s'est passé un truc hier, quand on était pas là ?
- Non, ça... Eh, ça va, je dois juste aller pisser.
- Depuis quand tu vas aux chiottes pour pisser, toi ? répliqua Tom avec un regard bourré de sous-entendus.

Eden les regarda tour à tour. Ils étaient inquiets.
Et lui, il s'en voulait.

- Désolé, marmonna-t-il.

Il dégagea son bras et se fraya un chemin à travers la foule, sans sentir les trois paires d'yeux qui le fixaient.

La journée passa à une lenteur phénoménale.

Ce n'était pas qu'Eden s'ennuyait, c'était qu'il avait l'impression d'attendre quelque chose, sauf que ce quelque chose n'arrivait pas.
C'était insupportable.

Il avait écrit un truc, pendant le cours de maths. Il avait terminé ses exercices alors monsieur Almann l'avait laissé tranquille.

Des nuances de gris (pas le livre)
Ou de bleu un peu marron
Une sorte de mer, d'océan souriant
Je m'y suis noyé.

Le cours de sciences l'avait un peu tiré de son brouillard, en dernière heure.

Une autre raison pour laquelle Eden aimait les sciences, c'était leur logique, leur réalité.
Il avait besoin de concret, de quelque chose sur lequel se baser pour donner un sens à ce qui l'entourait.

La couleur des yeux d'Eden et les explosions de papillons dans son ventre faisaient partie des choses auxquelles il n'arrivait pas à donner de sens.

À la sonnerie de dix-sept heures, il était de retour sur Terre, les idées plus ou moins triées.

- N'empêche que j'aurais dû avoir les points, déclara Raphaël alors que Tom, Eden et lui se dirigeaient vers leurs casiers.
- Raph, tu t'es planté, assume et passe à autre chose, bon sang, râla Tom.
- Ma réponse était correcte !
- C'est une question de nuance, fit Eden. La prof l'a interprété différemment de toi, c'est tout.
- Et c'est ma faute si elle interprète les bonnes réponses en mauvaises ?
- C'est sa faute si tu sais pas admettre tes erreurs ?
- C'était pas une erreur, Tom.

Le sourire aux lèvres, Eden laissa ses amis à leur débat et déverrouilla son casier.
Il tendit la main pour prendre un manuel, mais s'arrêta dans son mouvement en voyant un post-it jaune coincé entre les gonds.

L'écriture ronde d'Adam apparut tandis qu'il dépliait le papier.

Je vais être honnête, je sais pas nager
Mais faire le grand saut sembler être une bonne idée
On pourrait apprendre à barboter sans brassards
Tu viens à la sortie théâtre, samedi soir ?
(tu as mon numéro)

- Eden, dis à Raphaël de se taire, j'en peux plus.
- Mais non, je réclame un... Eden, ça va ? T'es tout rouge...

Et il souriait à s'en faire mal.
Il finit par se retourner vers ses amis, qui le dévisageaient sans un mot.

- Bon, il faut que je vous raconte.

Il avait cessé de pleuvoir.

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