.4. bat la mesure
Oui, il avait attendu.
Plus précisément, il avait espéré. Un peu trop.
Oui, son enthousiasme l'avait convaincu qu'il enverrait un message.
Oui, il s'était créé des millions de scénarios, avait imaginé tous les modèles de textos qu'il pourrait possiblement recevoir.
Non, il n'avait rien reçu.
Et alors ?
Et alors rien, voilà.
Il se sentait juste con.
Il se prenait vraiment la tête pour rien, ce jour-là. Écrire cette simple petite note sur la première page de ce simple petit carnet, ça aussi ça avait été une prise de tête pour rien.
Trop penser. Vraiment pas le genre de trucs qu'Adam faisait d'habitude.
Fatigué de vérifier ses notifications sans arrêt, il soupira et finit par éteindre son téléphone.
Et puis il était préoccupé par cette polémique sur les ondes, tout ça. Ça détraquait le cerveau, qu'on disait.
Lui aussi, il lui détraquait le cerveau.
La scène de leur midi ensemble repassait inlassablement dans sa tête, comme un disque rayé qui refuse de passer à la prochaine chanson.
Les moindres détails étaient imprimés dans sa mémoire et remontaient aléatoirement à la surface comme les sacs plastiques le font dans les vagues des mers polluées.
L'odeur rouillée de la rampe d'escalier, le rouge des joues d'Eden, son regard fuyant, le toucher rugueux de la couverture de son carnet.
pensées de poèmes et déjections spirituelles d'Eden
à garder au fond d'un sac
C'était probablement le fait que ces mots étaient ceux qu'Eden avait choisi d'écrire en premier sur ce carnet qui avait poussé Adam à écrire les siens.
À présent, il ne savait pas s'il le regrettait ou non.
Il jeta le portable sur son lit et reporta son attention sur ses partitions. Il se concentra, prit une grande inspiration.
Le son du saxophone emplit ses oreilles, sa chambre, ses poumons.
Il entra dans un de ces moments de liberté, d'arrêt du temps, de pause dans l'univers, tandis que son souffle réveillait l'instrument.
Rien n'existait plus. Il était parti dans son microcosme, il était intouchable. Il ne restait que des notes s'invitant à danser et son coeur qui battait la mesure.
Fausse note.
La bulle qu'il s'était créé éclata.
Il s'arrêta. Respira.
Il reprit.
✨
- Terre à Adam, vous me recevez ?
- Je te reçois parfaitement, maman, pas besoin de préciser sur quelle planète on est.
- Tu es complètement ailleurs, ce soir.
- Je suis en face de toi, bonjour.
- Tu sais ce que je veux dire.
- Évidemment que je sais ce que tu veux dire, mais ce n'est pas ce que tu dis.
- Tu penses à autre chose, tu as l'air préoccupé, chéri.
Adam ne savait jamais comme répondre au chéri alors il se contenta de soupirer.
- C'est au lycée ?
- C'est pas grave.
- Tu sais, si c'est à cause d'une mauvaise note, il faut pas t'en faire.
- Maman, c'est pas grave, merde quoi.
Il n'attendit aucune réaction et se leva pour débarrasser la table. Sa mère resta silencieuse un moment, le coup du juron avait fonctionné.
Lui tournant le dos, Adam remplit le lave-vaisselle en se triturant l'intérieur de la joue. Il retint un long soupir et laissa sa mère s'approcher.
- Désolé, marmonna-t-il en alignant des fourchettes. 'Juste de mauvaise humeur.
- Tu peux en parler, si tu veux, tu sais ?
- Je sais.
Il se risqua à lever les yeux vers les siens, leurs regards s'accrochèrent puis les lèvres de sa mère s'étirèrent en un sourire compatissant.
- C'est une fille, c'est ça ?
- Bonne nuit, maman.
- Chéri...
- Non.
Il ferma le lave-vaisselle et fila dans sa chambre avant qu'elle n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit.
Il passa le reste de la soirée sur son lit, allongé sur le dos à fixer le plafond, Tom Waits en fond musical.
Il aimait bien faire ça. Il se dit qu'il devrait le faire plus souvent. Ça remettait ses idées en place, tout en douceur. Merci Tom Waits, marmonna-t-il sans réfléchir.
Il ne bougea de nouveau que lorsqu'il entendit la porte de la chambre de sa mère se fermer. Avec un nouveau soupir, il saisit son téléphone éteint et se dirigea vers la salle de bains.
Torse nu devant le miroir, l'esprit dans le brouillard, fredonnant Tom Waits en se brossant les dents, il ralluma son portable sans trop s'en rendre compte et le laissa dans la poche de son jean.
Il jeta un oeil à son reflet, chantonna les dernières notes de Chocolate Jesus.
Et se figea quand sa poche vibra.
Il mit quelques secondes à réagir, la brosse à dents en bouche, puis sortit le téléphone.
Nouveau message : numéro inconnu
23:09
Entre deux étages, coincé comme les tomates du sandwich qu'il lui a donné,
Un garçon rougit, fixe un carnet
Il passera la soirée à hésiter
Mais on dit qu'il faut se jeter à l'eau
Alors il se décide et fait le grand saut
Même s'il boit la tasse
Il pourra toujours revenir à la brasse.
Son coeur battait.
Ses yeux lisaient et relisaient.
Et lui, il souriait tellement que - merde - il se foutait du dentifrice partout.
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