Chapitre 6


Elias chuta sur le pavé. L'homme qui l'avait bousculé ne se retourna pas et continua à marcher, tel un roi. Il eut beau s'insurger contre le monde entier, personne ne venait l'aider. Malgré sa chute et sa lèvre ensanglantée, il lui aurait bien couru après, mais il était encore trop impressionné par sa rencontre avec Frido.

Ses yeux papillonnaient dans tous les sens, tandis que ses mains fébriles tentèrent de se raccrocher à quelque chose, cependant, elles ne rencontrèrent que le gravier. Il se releva péniblement puis poursuivit la route vers sa maison, le dos courbé comme un vieillard.

Elias ne comprenait pas pourquoi il ressentait un tel état d'abattement. Il aurait dû être joyeux de devenir résistant, mais non, au lieu de cela, il se sentait exténué. La pression qui s'était accumulée depuis la mort d'Ellen se faisait à présent ressentir.

En parcourant les rues de Londres, Elias observait la population. Malgré l'optimisme qui se lisait sur le visage des habitants de la capitale, la mélancolie prenait chaque jour un peu plus de place dans les vies. Pendant que les bombardements se multipliaient, que le nombre de morts croissait, un soupçon de tristesse traversait les yeux des Londoniens.

Elias trouvait cela injuste que certaines personnes soient ainsi, dehors. Fort de sa propre expérience, il ressentait une compassion sans borne pour les mendiants. Il s'arrêta au bord d'un trottoir, tritura le fond de sa poche et tira un précieux shilling qui semblait bien inutile, mais pour le sans-domicile à qui il le donna, cette minuscule pièce avait une valeur inestimable.

Un large sourire éclaira le visage du vieillard et Elias sentit son cœur se réchauffer. Il aurait bien aimé passer du temps avec lui, mais le temps pressait. Il poursuivit sa route, croisant des connaissances, côtoyant des foules qui attendaient dans des queues interminables ou bien des ouvriers allant à l'usine. Certains lui faisaient part de leurs condoléances les plus sincères et il les acceptait d'un signe de tête, la gorge serrée.

Il était connu dans son quartier. Pendant plusieurs mois, il avait traîné dans les rues, volant çà et là pour survivre. Il s'était fait une petite réputation, laquelle s'était améliorée quand les Sanders l'avaient accueilli.

Désormais, on l'appréciait pour venir au secours des plus pauvres. Après un bombardement, Elias était toujours prêt à aider. Malgré ses colères légendaires qui résonnaient parfois plus loin que les murs de sa maison, on l'aimait pour sa serviabilité.

Quand il arriva chez lui, il trouva les barres de fer de son sommier dans l'entrée. Il passa un coup d'œil dans la cuisine pour remercier John, mais ce dernier n'était pas là. Il devait vendre ses baguettes aux clients de la boulangerie. Elias se dirigea vers l'arrière de la maison qui donnait sur la rue d'en face.

Il traversa des couloirs sombres, lesquels lui rappelèrent son excursion chez Frido. Il frissonna en repensant à son entretien. Des flashs lui revinrent en mémoire. D'abord la maison mystérieuse, puis les blagues douteuses du responsable et enfin la facilité de l'accès dans la Résistance. Il ne s'épancha pas plus sur la question car un délicieux fumet lui monta aux narines. Son estomac gargouilla à l'odeur du pain frais.

Arrivant derrière la boutique, ses yeux s'habituèrent peu à peu à la lumière naturelle. En de rares occasions, les Sanders avaient requis l'aide d'Elias, mais le plus souvent, sa famille s'occupait de la boulangerie seule. Désormais, il se doutait bien qu'il devrait se familiariser avec les lieux. Maintenant que le travail d'Ellen reposait sur les épaules des autres membres de la famille.

Elias entrouvrit la double-porte qui séparait l'arrière avec la boutique. Au milieu des fours à pains et des tas de farine, il se trouvait encore abrité du regard des passants, cependant il pouvait d'ores et déjà observer les mouvements de son père adoptif.

Des néons, pendus au plafond, éclairaient les étalages, tandis que Mr. Sanders s'activait et tamponnait les précieux tickets de rationnement. Bien que les corbeilles à pains se vidaient, la file d'attente s'allongeait toujours. Les miches filaient à toute allure et bientôt, il n'y eut plus rien. Le boulanger hurla que son magasin fermait ses portes et les habitants râlèrent. De nombreuses familles n'auraient pas de pain le soir même. Toutefois, peu à peu, tout le monde se dispersa et John ferma l'accès à la rue. Après avoir baisser le rideau de fer, il s'appuya sur le comptoir.

Il passa une main dans ses cheveux, y laissant une marque blanche. Il soupira et s'essuya les mains sur son tablier plein de farine après avoir épongé la sueur qui perlait sur son front.

Elias toussota pour se faire remarquer et son paternel sursauta.

— Qui est là ? gronda-t-il.

— C'est simplement moi ! déclara Elias en s'avançant d'un pas. Ne t'inquiète pas ! Je ne suis pas un voleur.

— Ah, Elias ! Comment s'est passée ton entrevue ?

— Ça s'est bien déroulé. Frido a voulu savoir...

— Chut, le réprimanda le boulanger. Tu ne dois rien me dire, cet entretien doit demeurer secret. Même pour les membres de la résistance. Tu as encore beaucoup à apprendre !

John secoua la tête et soupira. Elias resta statique, se rendant compte de son erreur. Effectivement, il n'était encore qu'un débutant. Il avait tant de route devant lui... Et en continuant ainsi, il ne deviendrait pas le grand espion de ses rêves.

***

Un petit comité s'était rassemblé dans la pièce. Au centre, Frido donnait les directives d'une voix forte. Chaque phrase était ponctuée par un mot d'humour, lequel ne faisait rire personne.

Au fond de la salle, Elias écoutait le dirigeant du réseau en trépignant d'impatience. L'homme n'avait pour le moment pas prononcé un mot à son sujet. Enfin son heure vint. Pour conclure son discours, le chef déclara d'une voix ferme :

— Aujourd'hui, nous accueillons un nouveau dans notre réseau. Sa volonté de fer et sa loyauté d'acier viennent consolider nos rangs. Jeune homme, approche-toi. Avant toute chose, il te faut un nom pour que nous puissions t'appeler. Lequel choisis-tu ?

Elias se leva et trembla en sentant tous les regards braqués sur lui. Pendant les dernières semaines, il avait beaucoup réfléchi au nom qui lui siérait le mieux. Il s'était préparé à l'annoncer maintes fois, néanmoins devant tant de gens, il se sentait intimidé.

D'ordinaire, il se présentait toujours le premier, mais cette fois-ci, il aurait aimé être à des kilomètres. Ses mains, devenues moites, gesticulaient dans tous les sens et ses jambes, flageolantes, semblaient prêtes à lâcher. Il se força à lever la tête, fixa tour à tour les résistants avant de bégayer :

— À partir d'aujourd'hui, jour où je rejoins la résistance, je me ferai appeler Ailes.

Des vivats s'élevèrent à travers la salle et Ailes se détendit. Ce n'était pas si difficile. Il souffla en expulsant tout l'air de ses poumons et sourit devant les clameurs qui montaient.

—Silence ! cria Frido. Bienvenue à toi, Ailes. Tu apprendras rapidement les règles qui régissent notre réseau. Je t'invite, en attendant, à te joindre à l'équipe deux. Tu les aideras dans leur tâche, tu ne seras pas de trop. Bien, maintenant, vous pouvez y aller

Ailes se tourna vers son groupe et l'un des résistants qui devait avoir son âge l'invita à approcher. Un gros costaud se présenta :

—Bien. Je suis Francesco, c'est moi qui commande ici, donc tu fais ce que je te dis ! C'est bien clair ? Et même si l'autre a dit que tu ne seras pas de trop, cela reste à démontrer !

Elias fut impressionné par tant d'autorité, néanmoins il avait l'habitude à l'usine. Il hésita à lancer une blague pour détendre l'atmosphère mais décida de se plier aux règles. Il se demanda ce qui lui valait tant d'animosité dans la voix de ce commandant, sans avoir le temps de s'attarder puisque le groupe s'éloignait déjà vers la sortie du quartier général.

Celui qui avait adressé la parole à Elias distribua à chacun un petit tas de feuilles et ordonna aux résistants de les mettre dans les boîtes aux lettres, sur les bancs, partout où des gens seraient susceptibles de les voir. Il leur rappela d'être discrets, puis tout le monde se dispersa. Francesco resta avec Ailes.

En découvrant sa mission, ce dernier avait été dépité. Il ne s'attendait pas à quelque chose d'aussi ridicule, il souhaitait participer à plus grand.

— Ailes, avant de protester, dépêche-toi ! On n'a pas que ça à faire ! grommela le résistant.

Au vu de ses yeux verts qui lançaient des éclairs, Elias comprit qu'il valait mieux obéir.

Francesco se posa au coin d'une rue ombragée et donna ses dernières directives. Ailes récupéra alors quelques tracts et, vérifiant que personne ne l'observait, commença à glisser d'une maison à une autre. Soulevant la plaque qui protégeait la fente de la boîte aux lettres, il fourrait la feuille dedans puis regardait aux alentours, avant de continuer sa mission.

Sans réfléchir ni s'émouvoir, il accomplissait sa mission dépourvu de but précis. Il ne voulait pas l'exécuter, il aurait aimé réaliser quelque chose de plus important, mais avec l'imposante présence de Francesco derrière lui, il comprit qu'il ne pouvait pas se révolter.

Après plus d'une heure à passer d'une maison à l'autre, les cloches de la cathédrale sonnèrent sept fois. Le soleil venait à peine de se lever et il fallait déjà qu'Ailes parte à l'usine.

Le responsable réunit son groupe, récupéra les derniers tracts et tout le monde s'en alla vers ses diverses occupations. Elias se sentait dépité. Contrairement à ce qu'il avait espéré, sa mission ne lui avait procuré aucun bien.

Quel est l'intérêt de continuer si c'est pour faire ça ?

Ce n'était pas le rêve de gloire qu'il avait imaginé, ni les actions héroïques qu'il avait élaborées. Il était furieux d'avoir été ainsi berné.

Elias gagna rapidement Willesden North London et entra dans les grands ateliers de l'usine. Louis l'attendait dans le hall et ils se mirent tous deux en route vers la salle d'ouvrage, parlant de tout et de rien. Comme d'habitude, Elias préféra attendre le déjeuner pour parler de sujets importants.

Pendant toute la matinée, son esprit fut occupé par la mission matinale. Sa certitude en avait été ébranlée. Était-ce vraiment ce qu'il voulait ? Distribuer des tracts à longueur de journée ? Il ne pourrait jamais montrer sa valeur de cette façon.

À l'heure du déjeuner, il resta plusieurs minutes immobile devant ses petits pois qui nageaient dans un fond de sauce. Le brouhaha ambiant lui faisait mal au crâne, il aurait voulu hurler, exprimer toute sa tristesse, sa colère, son désarroi. Il avait l'impression que son cerveau avait disjoncté, que quelque chose était cassé.

— Ohé ! Elias, tu suis ou tu es dans un autre monde ? s'exclama Louis devant son absence de réaction. Je te parle !

— C'est bon, Louis ! Excuse-moi ! J'ai mal à la tête, je crois que je vais retourner à l'atelier.

Il se leva sans laisser à son ami le temps de répondre, lequel ne comprit pas et resta à sa place. Tout en marchant dans les couloirs, le bruit diminua et Elias se sentit mieux. Ses yeux bleus se perdaient dans le vague, cherchant en vain un point d'ancrage. Toute sa volonté était bousculée.

Une fois réfugié devant son établi, il retrouva le bruit familier des machines, leur ronronnement l'apaisa. Malgré le son persistant, c'était bien mieux qu'au milieu de dizaines de gens dans le réfectoire. Il reprit son travail. Des larmes tombaient par moment sur ses outils, il les essuyait alors d'un geste rageur. Il ne voulait pas laisser la tristesse l'emporter, il voulait rester maître de lui-même, maître de ses pensées et de ses sentiments.

***

Hello !

Merci d'avoir lu ce nouveau chapitre <3

Des nouvelles mesures se préparent sans doute sur le plan du Covid. Une fermeture des écoles entraînerait plus de liberté et plus de temps, je pourrais sûrement reprendre ma correction. 

J'ai délaissé Résistant ces derniers temps, pourtant, il y a encore énormément de choses à perfectionner. 

Je vais essayer de m'y replonger ! 

J'espère que mon histoire vous plait et que vous souhaitez découvrir davantage les aventures d'Elias !

Bonne semaine !

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