Chapitre 23


Elias murmura un vague mot d'excuse à l'encontre de la bande, il leur promit de les retrouver le lendemain devant l'église puis il prit les jambes à son cou. Le vent lui fouettait le visage, il courait, toujours plus vite. Même s'il avait étudié le plan de Metz et se repéra avec tâtonnement. Il se dirigea tout de suite vers sa nouvelle maison. Tout son corps tremblait, il avait peur.

Peur qu'on retrouve sa trace, peur qu'il ne puisse pas achever sa mission, peur de mourir aux mains des Allemands.

Une enquête avait été ouverte, quiconque aurait des renseignements devait les remettre aux SS. L'étau se resserrait, il y avait un risque, un gros risque. Elise pouvait les trahir, ce n'était pas à exclure.

À cette idée, Elias se figea. Était-ce une mauvaise idée de retourner chez la femme ?

Non, non... jamais elle nous trahirait !

Il poursuivit sa route, serein. Des dizaines de papiers décoraient les rues. Elias décelait toutes ces feuilles qui décideraient de sa mort.

Ses mains tremblaient, il aurait voulu les arracher, mais est-ce que ce n'aurait pas été une preuve de sa culpabilité ? Il avait tué deux soldats. Ce n'était pas rien mais il ne pouvait plus revenir en arrière de toutes les façons. Et même s'il pouvait, il n'aurait pas modifié son acte. C'était lui ou eux qui y passaient.

Il ouvrit soudainement la porte de la bâtisse et les murs vibrèrent. Il jeta son manteau sur la chaise près de l'entrée et courut pour parvenir jusqu'au salon. Personne.

De délicieuses odeurs sortaient de la cuisine mais, doutant à nouveau, Elias décida qu'il était plus prudent de parler d'abord à Eugène qu'à Elise. Il grimpa les marches deux à deux, n'écoutant pas la salutation de la vieille femme et toqua avec force à la chambre de son compagnon.

Pas de réponse. Encore une fois. Elias pesta et ouvrit la porte. L'espion n'était pas là, il devait être dans la ville et à quelle heure rentrerait-il ? Aucun moyen de le savoir... Plutôt qu'attendre, il préféra se référer malgré tout à leur hôte. Même si elle pouvait représenter un danger, elle était résistante, elle ne les trahirait pas.

Il redescendit l'escalier, faisant grincer le bois. Son cœur battait encore à toute allure, ses cheveux se dressaient sur sa tête et ses joues étaient rougies par la course. Il entra en trombe dans la cuisine et se laissa tomber sur une chaise.

— Qu'est-ce qu'il se passe Elias ? demanda la vieille femme, tournée vers sa casserole, faisant mijoter des légumes.

Il ne savait pas quoi dire, comment annoncer la fatidique nouvelle, ce qu'ils redoutaient depuis leur arrivée. Devant son silence, Elise se retourna et recula devant le visage d'Elias.

— Tu t'es battu avec un tigre, dis-moi ? se moqua-t-elle.

Sa phrase mit Elias en rogne et il s'écria :

— Bordel ! Ces putains de Boches ont trouvé Louis, des affiches sont placardées partout dans la ville ! Si quelqu'un vient à apprendre que c'est moi qui ai tué ces deux nazis, je vais mourir. Et toi, tout ce que tu trouves à dire c'est que j'ai une tête de con !

Elise resta impassible et Elias se décomposa encore plus.

Pourquoi je lui ai fait confiance ? À tous les coups, elle est dans le camp des nazis.

— Je sais que tu as peur que je vous trahisse, mais ce ne sera pas le cas. Je m'étais attendue à cette nouvelle. Peut-être pas si tôt en revanche...

Elle se laissa glisser sur un siège et posa la tête entre ses mains. Ses cheveux blancs pendouillaient tristement sur son front tandis que sa peau s'était étirée encore plus que d'habitude. Son sourire avait disparu, tout comme l'éclat dans ses yeux bleus.

Elias se sentit coupable ; il ne voulait pas mettre en danger cette grand-mère et l'impliquer dans cette affaire. Pourtant, depuis qu'elle avait accepté de les accueillir, elle était embarquée dedans, pour le meilleur comme pour le pire.

— Cependant, restons calme, reprit-elle d'une voix douce. Il y a peu de risques que les Allemands remontent jusqu'à vous. Il faudra faire attention mais tout ira bien.

Les deux résistants se regardèrent, gardant le silence. Ils savaient pertinemment que tout n'irait pas bien. Cette foutue guerre allait être leur perte.

La porte claqua et, dans l'entrée, des bruits résonnèrent, rompant ainsi le calme. Elias sursauta et se redressa. Eugène passa une tête joyeuse dans l'encablure de la porte.

— Qu'est-ce que c'est ces têtes déprimées ? Elias, tu n'as pas réussi à te faire d'amis ? demanda-t-il.

— Ta gueule ! Tais-toi et épargne nous tes commentaires avec ton petit air hautain, hurla Elias.

— Tu me parles sur un autre ton sale morveux, répliqua Eugène en serrant les poings.

Elise secoua la tête en se demandant à quel moment le SOE avait décidé de les envoyer en même temps en mission.

— Calmez-vous nom de Dieu ! s'écria-t-elle prenant une voix qu'Elias n'avait encore jamais entendu. On croirait entendre des gamins ! On a un problème plus important à régler que vos interminables disputes !

— Quel problème ? questionna Eugène d'un air innocent.

Elias grimaça et leva les yeux aux ciels.

— Si tu ne regardais pas que ton nombril, peut-être que tu le saurais !

— Stop ! s'exclama Elise à bout de nerf. Ce n'est pas parce que je suis une personne âgée que je ne peux rien faire donc vous allez tout de suite arrêter ça ! Je vous promets : la prochaine fois qu'il y a une dispute, je préviens Londres.

Elias lança un regard noir à l'autre espion et serra les poings. La présente d'Eugène l'insupportait, tout comme ses airs prétentieux. Sa stature carrée lui donnait envie de vomir, dès qu'il le voyait, il grinçait des dents. Il se calma tout de même, la menace était bien trop grande.

— Elias a découvert des affiches disant qu'une enquête avait été ouverte pour l'assassinat de deux Allemands et la découverte d'un troisième corps. Vous risquez donc de vous faire arrêter si vous ne vous faites pas discrets.

Eugène resta silencieux, ses mains tournaient frénétiquement, manie qu'Elias trouvait dérangeante.

Tout m'énerve chez ce type bordel ! Calme-toi !

Le silence était tel qu'on entendait le brouhaha de la rue, les cris des marchands et des enfants. Ailes laissa son esprit s'évader vers cette rue, se glisser dans la peau d'un inconnu où il ne serait ni résistant, ni recherché par les nazis.

Son corps restait dans la cuisine de la maison, prisonnier des quatre murs.

Prisonnier de ma mission...

Il passa une main dans ses cheveux, ne sachant que faire. Son cerveau avait beau tourner à plein régime, il ne voyait aucune solution.

— Ah oui, on a un problème, s'exclama Eugène, fusillant du regard son compagnon. J'avais bien dit qu'il fallait mieux les cacher !

— Ce n'est pas possible ! Vous n'allez pas recommencer ! Vous m'insupportez. Concentrons-nous ! Je pense que la meilleure option serait de faire profil bas. Si vous disparaissez d'un coup, on risque de se douter de quelque chose.

— Il faut qu'on décide aussi ce qu'on dira si on se fait arrêter pour que nos récits soient les mêmes.

Les résistants réfléchirent intensément, ils passèrent leur repas à songer à leur futur scénario. Ils devaient être très prudents, le moindre faux pas pourrait les mener au peloton d'exécution.

Exténué, Elias monta se coucher juste après le déjeuner, des maux de tête commençaient à arriver progressivement et ses paupières devenaient lourdes. Il s'allongea sur son lit, les bras et jambes écartés. Ses pupilles bleues fixaient le plafond, à la recherche d'une quelconque réponse aux dizaines de questions qui se pressaient dans son esprit.

Au moins, j'ai réussi à me faire de nouveaux camarades ! Je réussirai peut-être à soutirer des informations de la bande d'Albert !

Eugène avait sûrement réussi lui aussi à se lier avec quelqu'un. Toutefois, ils n'avaient pas pu échanger sur cela, mais il se doutait que cela n'aboutirait à rien de toutes les manières.

Il attrapa un livre posé sur la table de nuit, les grands romans du moment étaient déprimants, ils ne parlaient que de guerre, jamais d'amour. Un des romans d'Agatha Christie ayant été traduit l'année précédente, Elias se plongea donc dans Les dix petits nègres.

Les meurtres de cette villa l'occupèrent toute l'après-midi. Les cloches de la cathédrale sonnaient, il n'y prenait garde et bientôt, il fut déjà l'heure du dîner. De misérables morceaux de topinambours flottaient dans de l'eau bouillie. Ce semblant de soupe ne calma pas l'appétit d'Elias et il s'affaissa dans son siège, le ventre noué.

Les deux espions firent un simple récapitulatif de la journée puis ils se quittèrent, des idées plein la tête. Elias ne resta pas longtemps avec Elise, il la laissa à ses jeux de cartes pour regagner sa chambre.

Il se glissa sous ses draps, songeant que désormais, ce serait cela son quotidien, sans rire ni joie. Il regrettait presque d'être parti en mission. Ce n'était pas ce qu'il avait imaginé, sans bonheur, tout était terne. De plus, Louis n'était plus. Elias n'avait, pour le moment, aucun moyen de montrer sa vaillance et de faire ses preuves.

La tête encore lourde, l'esprit troublé par lajournée, il ferma les yeux, fatigué.

***

Hello !

J'espère que ce chapitre vous a plu !

Plume

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