Chapitre 21


Elias jura. Les rayons du Soleil levant l'avaient réveillé d'une nuit pleines de rêves victorieux. Il tira les rideaux et regagna son lit d'un pas traînant. Il se sentait encore fatigué, les muscles perclus, la tête lourde. Il tenta de se rendormir mais des coups retentirent. La porte de la chambre vibrait et Ailes grogna d'une voix pâteuse.

La personne se soucia peu de l'avertissement et entra d'un pas alerte. Son visage était fermé, ses sourcils froncés.

— Debout, gros lard ! Allez, habille-toi. Elise à plein de choses à nous dire. Il faut qu'on fasse notre rapport pour Londres aussi. Active-toi !

Elias grincha devant l'insulte mais ne bougea pas d'un pouce. Eugène souleva les draps et le secoua.

— Magne-toi bordel ! On n'a pas de temps à perdre !

— Oh là là ! C'est bon, s'exclama Elias. La guerre ne va pas nous filer entre les doigts !

Son compagnon leva les yeux au ciel et bougonna. Il asséna une tape sur le dos d'Ailes puis sortit de la pièce en faisant le plus de bruit possible.

Elias était réveillé dorénavant. Il se mit debout et entreprit de faire bouger ses membres. Le saut en parachute et la marche lui avaient laissé une douleur à l'épaule qu'Eugène venait de raviver. Il se massa le dos et tritura ensuite dans son sac à la recherche de vêtements propres. Il devrait aller en acheter, les quelques affaires fourrées en vrac ne suffiraient pas pour tout le séjour.

Il se mit sur le corps un T-shirt, enfila un pantalon et des chaussettes, puis quitta sa chambre. Malgré l'été, un vent frais circulait dans les couloirs et Elias regretta la chaleur de son lit.

Il prit son petit déjeuner dans le salon en compagnie d'Elise qui lisait le journal. Le pain dur le rassasia un peu et il s'enfonça dans sa chaise.

— Maintenant que vous êtes tous les deux là, vous allez pouvoir me raconter ce qu'il s'est passé ? demanda la vieille femme.

— Je ne pense pas qu'Ailes soit en mesure de le faire, je vais donc vous expliquer, débuta Eugène ce qui lui valut un regard noir de l'intéressé. Nous sommes arrivés en parachute hier dans l'endroit indiqué puis...

Elise semblait très attentive, elle retenait le récit de son hôte. Les yeux d'Elias s'étaient perdus dans le vague, il observait tantôt les mains de la femme, sa peau étriquée et ses veines bleutées qui saillaient à la surface, tantôt le soleil dont les rayons tentaient de filtrer à travers le verre de la fenêtre. Le brouhaha de la rue lui parvenait et il se mêlait aux paroles d'Eugène. Les odeurs du marché flottaient elles aussi dans l'air, s'infiltrant à travers les interstices.

Elias attrapa le journal et lut les gros titres. Rien de bien intéressant, le journal local n'avait pas grand-chose à raconter. La semaine n'était pas passionnante. Il tourna les pages à la recherche de quelques indices sur l'avancée de la guerre mais il ne trouvait rien. À coups sûrs, il était plus efficace de questionner Elise plutôt que de lire cette revue de propagande dont l'édition était maintenant dirigée par les Allemands.

L'esprit d'Elias vagabonda.

Comment est cette ville ? Occupée, annexée ? Est-ce qu'elle ressemble à Londres ? Je n'en peux plus, je veux partir d'ici...

Pendant quelques jours, les deux espions devaient rester chez la vieille femme. La veille, il était trop sonné pour observer les lieux et à présent il aimerait sortir dans la rue, flâner.

— Allô Elias ! s'exclama Eugène, le regard noir. Tu nous écoutes ou tu t'es fiches ?

La réponse brûlait de sortir, mais il se retint et répondit avec un sourire forcé.

— Bien, donc d'après ce que j'ai entendu, débuta Elise, la situation est quelque peu critique. Il risque d'y avoir du remous si l'on découvre les corps. Il faudra inventer un scénario plausible. En attendant, j'ai prévenu le voisinage que je recevrais votre visite et que vous demeurerez chez moi, mais je vous avais annoncé comme trois personnes. Il nous faut envisager une autre histoire.

— Nous pouvons inventer que notre cousin s'est fait mal avant de partir et il n'a donc pas pu venir.

— Je ne sais pas si cela tiendra la route, les SS ne sont pas tendres, donc il faudra dans tous les cas être prudents !

— Nous savons, répliqua Elias d'une voix rude.

Peut-être trop...

Les yeux d'Elise se plissèrent et s'assombrirent. Elle semblait peinée d'être ainsi coupée. Elias ne pouvait rien y faire, il n'avait pas la capacité de changer sa personnalité. Les trois résistants gardèrent le silence pendant quelques minutes.

— Quand pourrons-nous sortir ? demanda Eugène.

— Il serait préférable que vous restiez au moins jusqu'à dimanche, soit trois jours. Vous pourrez ainsi créer une couverture plausible. Je vous intégrerai lors de la messe dans la ville, ce sera le meilleur moment ! affirma Elise, un sourire aux lèvres.

Les deux résistants acquiescèrent puis se levèrent et regagnèrent chacun leur chambre. Elias décida de se glisser dans son lit, pour regagner ses rêves dans une vie onirique. Pourtant, à peine avait-il touché le matelas, son esprit convergea vers un autre point d'ancrage.

Il songea à sa mission. Jusque-là, elle était parfaitement planifiée, tout avait été prévu par les Anglais, mais ensuite... Les résistants étaient livrés à eux-mêmes, deux au lieu de trois. Deux compagnons qui ne se supportaient pas. La mission s'annonçait rude et les trois jours qui commençaient s'annonçaient déjà trop longs.

Elias se sentait enfermé entre les quatre mur, livré à lui-même. Il n'avait qu'une envie : sortir, voir Metz, cette ville nouvelle. Fouler à nouveau le sol sur lequel il avait vécu son enfance, cette France qu'il avait abandonnée.

L'extérieur semblait l'aspirer mais la fenêtre se dressait, comme un obstacle.

Elias repensa au rapport qu'il devait écrire pour Londres. Cela allait l'occuper, mais il n'était pas sûr d'être capable dès maintenant de relater la mort de Louis. Le nom de son ami sonnait encore à ses oreilles, tout comme sa voix ; il entendait encore cette grosse tonalité qui dépareillait tant de son corps. Une nouvelle fois, les larmes lui vinrent et il plongea la tête sous son oreiller, le cœur gonflé. Il n'avait pas envie que ses joues se colorent, que son âme se vide et qu'il passe pour un faible. Mais aux yeux de qui ?

Il n'y a presque personne dans cette foutue maison !

Elias balançait entre l'idée de craquer ou bien de rester stoïque. Mais serait-ce oublier Louis ?

À bout de nerfs, il plongea dans un sommeil mouvementé, peuplé de cauchemars qu'il aurait préféré ne pas imaginer. Il s'infligea la douleur qu'avait ressentie son ami, il comprit pourquoi il devait vivre. Mais ce n'était que des rêves, rien de bien important.

Les heures passaient, Elias était complètement déréglé, dès que la nuit était tombée, il s'était senti alerte, apte à parcourir des kilomètres, il avait veillé tandis que la lune brillait dans le ciel. Il l'avait observée pendant de longues minutes à travers la fenêtre.

La chambre était rangée, les quelques affaires bien au fond de l'étagère. Elias, ne sachant quoi faire de son sac, le jeta au-dessus de son placard, mais un objet rebondit sur sa tête.

Son petit carnet noir se trouvait là, face contre terre, n'attendant plus qu'on le ramasse. Elias était sûr de ne pas l'avoir pris. Non, cela ne lui disait rien, mais alors qui pouvait l'avoir placé là ? Qui avait voulu mettre son journal dans ses vêtements, le faire sauter en parachute et parvenir jusqu'à Metz ?

Il n'y avait qu'une possibilité : Clara. La jeune fille était la seule à connaître l'existence de ce carnet. Par hasard, elle l'avait une fois surpris à y consigner sa vie. Elias se souvenait du malaise qu'il avait ressenti ce jour-là.

Maintenant, il était heureux, ravi de pouvoir se replonger dans ces pages. Il feuilleta le journal, son écriture fine remplissait plus de la moitié, les lettres s'alignaient les unes à côté des autres, retraçant l'histoire de sa vie.

À la fin du carnet, un papier avait été glissé entre deux pages, une simple feuille, qui contenait des mots ordinaires. Clara lui apportait ainsi un immense soutien.

Bonne chance, Elias.

J'ai glissé ton carnet dans tes affaires, il te sera peut-être utile pour y raconter ce que tu as vécu pendant ta mission. Tu nous raconteras tout quand tu seras de retour parce que tu le seras !

Je suis de tout cœur avec toi !

C.

Quelques mots avaient été raturés au bout de l'avant-dernière ligne et Elias ne put les déchiffrer, cependant il s'en moquait. Il était tellement reconnaissant de Clara, relire sa vie lui permettrait peut-être de découvrir de nouvelles choses, de repenser aux moments forts qui l'avaient mouvementé, mais surtout, cela tromperait l'ennui.

Quant à écrire sa mission, Elias s'y refusa, il ne pouvait pas se montrer si faible. Alors qu'il s'apprêtait à se plonger dans ses souvenirs, quelqu'un toqua brutalement.

— Non !

La porte s'ouvrit tout de même et Elias s'empressa de dissimuler le carnet.

— Hé bien, tu me caches des choses ?

Les premiers mots d'Eugène avaient fait ressurgir en Elias la pensée de Louis et il en voulut d'autant plus à son compagnon.

— Dégage ! s'insurgea-t-il. Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « Non » ? Tu n'as rien à faire là !

— Alors déjà, petit morveux, tu me parles autrement ! répliqua Eugène. Je suis ton aîné, tu me dois du respect ! Je me nomme Rostre car je suis la proue du bateau, celui qui fait avancer la mission. Sans moi, tu ne serais rien !

— C'est ça ! Cours toujours !

Avant que cela n'en vienne aux poings, Elise arriva à petits pas.

— Calmez-vous ! Je ne vais pas pouvoir faire la police tout le temps ! Si vous continuez, je vais être obligée de faire un rapport au réseau ! Allez, allez, Eugène, retourne dans ta chambre, séparez-vous !

Le résistant adressa une grimace à Elias puis quitta la pièce.

— Je peux vous tutoyer n'est-ce pas ? demanda Elise, les sourcils froncés.

— Oui, bien sûr ! s'exclama Elias, attendri par cette femme qui ressemblait fort à la grand-mère qu'il n'avait jamais connue.

— Je me disais que cela ferait plus naturel, comme je suis votre grande tante ! reprit-elle avec un clin d'œil.

Ils avaient l'air d'être de légion chez elle.

— Mais ce que j'ai dit tient toujours, reprit-elle d'un air sévère. Tenez-vous et gardez vos distances si nécessaire, mais arrêtez sans cesse de vous bagarrer comme des gamins ! Sinon, vous ne mènerez jamais à bien votre mission !

*****

Hello !

Comme prévu, nouveau chapitre !

ça chauffe entre Elias et Eugène ! 😡

Comment trouvez vous les personnages pour le moment ? Arrivez vous à ressentir leurs émotions ?

Plume

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top