Chapitre 19


Deux hommes vêtus d'un uniforme surgirent de derrière un arbre. Les résistants n'eurent pas le temps de dégainer leur arme, mais Elias rapprocha sa main tremblante du pistolet qu'il portait à la ceinture.

— Plus un pas, sinon c'est la mort ! déclara un des soldats en allemand, les toisant de son fusil.

— Que faites-vous ici si loin de la ville ? renchérit le second.

Le trio ne sut pas quoi répondre, que faire face à une telle situation ? Les ennuis commençaient si tôt. Elias chuchota la voix brisée qu'il ne fallait pas bouger et Eugène leva les yeux au ciel, mais le soldat brun leur ordonna de se taire.

— Qu'est-ce que vous manigancez ? demanda-t-il d'un air menaçant.

Les résistants étaient à bout de nerfs, mais ils n'osaient pas faire un pas de côté. Ailes dévisagea ses camarades de galère. Rostre demeurait impassible, seul son sourcil gauche tressautait. C'était tout le contraire pour Evraikos. Elias pouvait lire la peur dans son regard. Des larmes perlaient sur ses sourcils tandis qu'il agitait la tête dans tous les sens. Ailes comprit tout de suite ce qu'il se passait quand son ami mit ses jambes en mouvement.

— Non ! hurla-t-il avant que Louis se décale.

S'il comptait sur sa rapidité, c'était raté.

À peine avait-il bougé d'un iota que le soldat brun activa son pistolet. Le coup de feu partit et la balle atteignit Louis de plein fouet. Il s'affaissa, un rictus sur le visage. Du sang commençait déjà à sortir à flot de sa blessure. Sa bouche s'entrouvrit, au lieu d'une parole, il rendit son dernier souffle.

La force décuplée par la haine, Elias profita du moment de battement pour sortir son arme. Sans hésiter, il fit feu à deux reprises. Les militaires tombèrent lourdement eux aussi, l'un sur l'autre les yeux exorbités.

Ailes s'effondra en sanglotant en s'approchant du corps de Louis.

— Mais pourquoi t'as fait ça bordel ? marmonna-t-il le cœur déchiré.

Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer.

Tout est allé vite... Trop vite !

Il tenta de remuer la main de son ami, mais ce dernier ne réagit pas. Ses yeux demeuraient ouverts, les pupilles dilatées.

Son ventre saignait en abondance, ses doigts, serrés autour de sa plaie, étaient couverts de sang visqueux. Sa bouche était encore ouverte mais sa peau était devenue froide comme de la glace. Elias, en guise de dernier adieu, fit glisser ses paupières sur ses iris éteintes.

— Comment je vais faire sans toi ? Tu n'y as pas pensé ? Relève-toi, ne m'abandonne pas ! supplia Elias.

Sa tristesse se mua rapidement en colère et il se retourna vers les soldats allemands, les yeux fous. Aveuglé par la fureur, il shoota dans leur corps.

— Stop ! Arrête ça tout de suite ! vociféra Eugène en s'approchant à grands pas. Ce n'est pas ça la solution, putain !

— Ah oui ? Alors tu es dans leur camp maintenant ? Peut-être que je n'aurais pas dû les tuer, j'aurais dû me prendre une balle en pleine gueule en plus de voir Louis mourir ? Tu es bien content qu'il soit mort n'est-ce pas ? Tu ne l'aimais pas non ? Tu n'aimes personne de toute façon ! cracha Elias, les poings serrés.

— Ta gueule ! Tais-toi ! Tout ce que tu dis est faux ! Nous avons trois morts sur les épaules et tout ce que tu trouves à dire c'est que je n'aime personne ! Grandis un peu ! Tu n'es qu'un gamin !

— Mais putain ! Je viens de perdre mon meilleur ami ! J'ai vécu avec lui tous les jours de ma vie depuis presque sept ans. Comment peux-tu ne pas comprendre ?

Elias s'écarta de quelques pas, les joues rouges, les poings serrés et la gorge nouée. Il avait envie que tout le monde meure, plus rien ne comptait à présent. Il ne pensait qu'à son ami mort pour une cause dans laquelle il l'avait entraîné.

— Rien de tout cela ne serait arrivé si je ne l'avais pas poussé à entrer dans la Résistance ! murmura Elias, le cœur, l'esprit et l'âme vides. Il serait avec sa famille, auprès des siens, et pas mort dans une forêt.

Il se laissa glisser contre un arbre et des larmes roulèrent allègrement sur ses joues, sans limite. Il comprima ses poings, frappa dans la terre, puis dans le tronc, arrachant des morceaux d'écorce. Mais cet acharnement ne servait à rien, Louis lui aurait dit de réfléchir.

Je réfléchis comment quand j'ai perdu mon seul ami ? J'ai tout quitté mais je restais avec lui, putain !

Sa force ne lui servait pas dans ces épreuves, rien ne lui était utile. Il souhaitait tout oublier, disparaître pour ne pas avoir à vivre cela. Son pistolet était à portée de main, il suffisait de tendre la main, de faire une pression de trop et la balle fusait. Pas de retour en arrière possible.

Ce n'était pas le remède, Elias le savait, mais il ne voyait pas d'autres options. À quelques pas, Eugène vérifiait le décès des soldats. Il ne semblait pas aussi accablé qu'Ailes, mais son dos était courbé et son visage ridé. Le début de la mission lui avait rajouté quelques années.

Elias sut que la meilleure option s'étendait sous ses yeux.

Je poursuis la mission pour Louis, avec lui. Il a accepté de me suivre, je dois me battre pour la Résistance puisqu'il y croyait.

Il se leva et essuya ses larmes d'un geste rageur. Passant une main dans ses cheveux, il se dirigea vers son coéquipier, son unique compagnon de route désormais.

Quel bonheur !

Tous les deux, ils dissimulèrent les corps derrière les fourrés, ils ne devaient pas trop s'attarder et n'avaient pas le temps de mieux les cacher. Dire adieu à son meilleur ami, ne pas pouvoir lui accorder un enterrement digne de ce nom perça le cœur d'Elias, mais il n'avait pas le choix. Il devait assurer la survie de la mission et donc se diriger vers Metz.

Les résistants récupérèrent tous les objets présent sur les corps de Louis, afin de fournir le moins de preuves possible si les morts venaient à être découverts.

Puis, ils se mirent en route, le cœur au bord de l'explosion et les jambes lourdes. Ils allaient devoir modifier le scénario de couverture, s'accorder rapidement sur les faits. Supprimer Louis n'allait pas forcément être très simple. À commencer par en parler à la personne qui devait les accueillir.

Ils ne discutèrent pas pendant le reste de la marche, brisés. Les gerbes de blés fouettaient leurs jambes tandis que le soleil dorait leur peau. L'astre descendait lentement vers l'horizon. Dans quelques heures, la Lune se révélerait, éclatante.

Les pensées d'Elias défilaient, il se souvint de son ami et retint un pleur en se rendant compte qu'il ne verrait plus jamais sa démarche guindée, il n'entendrait plus jamais ses Hé bien à répétition. Plus jamais son sourire apparaîtra sur son visage. Tous ses souvenirs lui faisaient mal, les moments partagés disparaîtront avec le temps, le timbre de sa voix s'amenuisera et même son visage s'effacera un jour de la mémoire d'Elias.

Ses ruminations se poursuivirent jusqu'à ce qu'il s'arrête brusquement.

— Et pourquoi tu t'immobilises ? ronchonna Eugène. Nous devons accélérer.

Ailes resta muet, il venait de se rendre compte de quelque chose qui retournait son cœur, tout son corps même. Il avait tué des personnes, des êtres humains comme lui, des gens qui vivaient encore la veille mais qui ne vivraient plus le lendemain. Cette réalité le fit souffrir, un acte anodin s'était transformé en un crime. Il avait simplement appuyé sur la gâchette et le coup était parti, rien de plus. Sans réfléchir et sans aucune émotion, il n'avait pas hésité à mettre fin à la vie de deux hommes.

Il s'était parfois demandé comment il réagirait s'il tuait quelqu'un, mais jamais il n'avait envisagé cela de cette manière. Il se pensait au-delà des tourments qui pouvaient agiter les criminels, pourtant, il n'y avait pas échappé. Il n'éprouvait pas de remords, plutôt un effroi, tel un gouffre creusé en lui.

Il semblait avoir perdu son humanité.

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Oopsi !

Je pense qu'il y a plusieurs personnes qui ne vont pas aimer ce chapitre 🤣

Franchement, ce n'est pas si terrible ? 😝

J'espère que vous continuerez quand même à lire la suite 🤗

Bonne journée 🥰

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