Résistance
Enfant, j'en rêvais.
Avant.
Je me plongeais dans les histoires glorieuses, et je me disais : « S'il le faut, je serai résistant. » Et je le croyais.
Et je jouais avec ma petite lame à être le plus grand des héros de l'ombre, et je la remettais ensuite soigneusement dans le deuxième tiroir en partant du bas.
Pauvre âme rêveuse née dans une époque où « résister » était un acte qui ne conduisait plus à la prison mais aux éloges, où je me figurais cela noble, beau et facile ! Facile, cela l'était alors. Et devant mes yeux éblouis passaient mille contes où les héros étaient des résistants. Et je me préparais à en être un.
J'ai grandi.
Mes illusions m'ont suivi.
Et ils sont arrivés.
Et je ne les voyais encore pas vraiment. Pas assez. Et je me croyais fort et invincible, et celui qui n'avait jamais seulement approché la mort se croyait capable de la regarder dans les yeux et de la défier en disant : « Je t'attendais. ».
Je croyais pouvoir devenir un héros, mais pas comme dans les romans, oh, non, et je ne demandais pas grand-chose, ou du moins cela ne me semblait-il pas l'être. Je ne demandais pas à être un héros brillant dont l'Histoire retiendrait le nom, juste un héros de l'ombre, un héros à mes propres yeux, un héros résistant qui vivrait et mourrait noblement, dans le secret. Un héros qui viendrait grossir leur nombre, et n'être du nombre, quoi ? juste l'un des zéros.
Et je me disais : « Qu'ils viennent, encore un pas. La lame est dans le deuxième tiroir en partant du bas. Je me battrai jusqu'au bout. » Plutôt mourir debout que de vivre à genoux.
Et ils ont progressé.
Le ciel a commencé à s'assombrir, pour mes rêves et pour le monde.
Et j'ai continué à m'accrocher.
Autour, certains sont sortis du silence. Certains ont commencé à se battre.
Pas moi.
Pas tout de suite, croyais-je.
J'avais peur.
J'avais peur de mourir, une peur terrible, une peur viscérale, attachée à mes pas, lorsque je voulais faire le grand saut dans l'eau glacée.
Alors je me disais : « Je ne baisserai pas la tête. Ils peuvent prendre ce pays, ils ne me prendront pas, moi. La lame est dans le deuxième tiroir en partant du bas. Elle dort en attendant mon poignet. » Plutôt mourir que de vivre à genoux.
Maintenant ils sont là.
Et moi aussi, je suis là. Lâche et faible, du nombre je ne suis même pas l'ombre d'un zéro. Je n'ai rien fait, rien fait d'autre que croire que j'avais la force, rien d'autre que croire qu'il était si facile de donner noblement sa vie.
Pan ! Pan !
On se bat, là dehors. Le ciel est noir et orageux, et loin sont les contes où les résistants mourraient sous le ciel étoilé. Des résistants sont là, là dehors, ils se battent et ils meurent couverts d'opprobre et d'infamie, et moi je suis en dedans et j'écris ma vie vide de sens et pleine de regrets.
Ils tombent dans l'ombre, et être résistant n'a plus rien de facile ni de noble, et on rit et on applaudit à leur mort en les appelant traîtres. Tout le monde a oublié le temps où l'on chantait à la gloire des résistants. Le temps où je me croyais la force d'être des leurs, debout face au monde.
Je vis à genoux, tête baissée.
Et la lame est toujours dans le deuxième tiroir en partant du bas.
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