L'odeur des cerisiers

  Je venais de passer trois jours à l'abri sous ma couette. Seul le docteur particulier de Ito Ryo ne rendait visite pour m'apporter mes suppresseurs. Dès que j'entendais un bruit dans le couloir, je me recroquevillais tel un nouveau-né. Je ne pouvais enlever de ma tête les mots de Nao. Tout était devenu clair, et surtout pourquoi Isao ne s'était jamais présenté à ma porte.

  Aujourd'hui, je ne souffrais plus de mes chaleurs. La température de mon corps était normale et mon bas-ventre ne me faisait plus subir la douleur. Les effets secondaires avaient été amoindris. Je me levai affaibli néanmoins, me dirigeai à mes placards et les ouvris. Il ne restait plus rien et pareil dans le frigo. Je soufflai lourdement, exaspéré et inquiet à l'idée d'aller dehors.

  Je m'habillai à contrecœur et sortis de mon appartement. À cette heure, il n'y avait personne dans l'immeuble, tout le monde était au travail. Je rentrai donc dans l'ascenseur serrein. Les senteurs des fleurs de cerisier me chatouillèrent les narines. Il faisait beau, aucun nuage n'était dans le ciel et le soleil brillait. Les avenues étaient animées, beaucoup de personnes déambulaient sur les trottoirs. Cette agitation me troublait, je n'en comprenais pas la cause.

  Je n'étais plus qu'à quelques ruelles de l'épicerie Arai. De nombreuses familles transportaient des paniers de pique-nique. Tout cela me semblait encore plus étrange. Hiro se tenait derrière le comptoir. Un large sourire se dessina sur son visage, alors que je franchis la porte.

— Bonjour Khalis, m'accueillit-il.

  Je le saluai de la tête et me dirigeai vers les rayons. Le grand choix de nouilles instantanées me laissait, hésitant sur mes envies. Je remplis mon chariot de plusieurs goûts différents et avançai jusqu'aux produits frais. Les sandwichs aux œufs et aux thon me tendirent les bras, je vidai presque le présentoir. Je m'emparai du fromage râpé et des œufs durs, puis les mets sucrés. Il y avait plein de paquets de biscuits à tous les arômes possibles. Je préférai toujours ceux au chocolat et ajoutai à mes achats plusieurs d'entre eux. Les boissons au lait me donnèrent envie, j'optai pour la saveur fraise et banane. Je regagnai la caisse

— Khalis, tu ne prends pas de plateau-repas traditionnel ? me demanda-t-il, étonné.

  Je le fixai dans l'incompréhension. Hiro baissa la tête sous le poids de mon insistance et murmura.

— Nous sommes à l'époque de la fête des cerisiers en fleurs.

  Ma mâchoire se décrocha, je n'avais pas regardé la date ni même le mois que nous étions. Comment j'avais pu oublier ? C'était pourtant une période dangereuse pour les omégas, beaucoup se retrouvaient en mauvaises positions face à des alphas ivres. Maintenant tout devenait clair, voilà pourquoi ils y avaient autant de monde. Ça faisait des années que je m'abstenais de la fêter. Hiro me coupa dans mes réflexions.

— Attends-moi, s'il te plait.

  Il se dirigea dans la pièce derrière lui. J'entendais la voix d'Hiro et celle d'un autre homme, sans doute plus âgé que lui. Il revint avec un air satisfait.

— Tu veux rendre au parc avec moi ? Je connais un lieu reculé où il n'y aurait personne, enfin presque. Il y aurait que des omégas avec leur famille, affirma-t-il.

  Déconcerté, je ne savais quoi dire. Si quelqu'un nous découvrait, ça serait dangereux pour lui. Pourquoi m'invitait-il ? Nous n'avions pas de réel lien d'amitié. Nous étions juste cordiaux l'un avec l'autre. Que cherchait-il ? Je supposais comme la plupart des hommes. Observant mon état, il prit la parole.

— Je te le demande, car je n'ai pas de famille ici. Je suis donc seul. Je me suis dit que toi aussi, tu devais l'être. N'y vois rien de déplacé dans ma proposition, me rassura-t-il avec un doux sourire.

  Pouvais-je dire oui ? Mais si Ito Ryo était au courant. Que se passerait-il ? Je relâchai un long soupir. Ses yeux innocents sur moi me donnaient envie de céder. Il avait raison sur un point, j'étais seul au monde.

— Je ne te laisse pas le choix, annonça-t-il fièrement.

  Hiro partit vers les plateaux traditionnels, en empoigna deux avec deux bouteilles de bière et revint avec un air joyeux. Il m'aida à ranger mes courses dans un sac et me prit le bras gentiment. Nous quittâmes l'épicerie juste avant que la porte ne se ferme, il cria un « au revoir, patron ». Surpris, je le regardai, il se contenta de rire et de me tirer pour que j'avance.

  Les rues furent agitées par la foule, un moment avant que tout devient calme. La ou il m'amenait, il y avait que deux ou trois personnes sur le trottoir. Je me relâchai, apaisé. Il ne m'avait pas menti. Quand nous passâmes un portail en fer. Un petit chemin de brique conduisait à une étendue d'herbe et de magnifique cerisier dont les pétales volaient au vent léger. Je souris pour la première fois depuis des années. Hiro me regarda avec tendresse et déposa sa blouse de travail sur le tapi vert de la nature.

— Je t'en pris, assieds-toi.

— D'accord, répondis-je en prenant place sur le tissu bleu.

  Hiro prépara tout et me tendit des baguettes. Je me saisis et observai tout autour de nous. Il y avait que deux ou trois familles qui partageaient un repas ensemble. Leurs rires étaient une douce mélodie pour mes oreilles qui ne connaissaient que les gémissements. Je me détendis petit à petit. Il avait choisi, des plateaux avec toutes sortes d'accompagnements, tous plus délicieux les uns que les autres. Je me régalai à chaque bouchée.

— Tu vois, il n'y a presque personne ici.

— Oui, merci, laissai-je s'échapper.

— Pourquoi me remercies-tu ?

— Parce que ça fait des années que je ne l'ai pas fêté, m'apitoyai-je, chagriné.

  Un couple passa juste à côté de nous, je pouvais sentir l'odeur alpha et oméga se mélangeait. Hiro s'empara des deux bières, les ouvrit et en plaça une devant moi. Nous trinquâmes et bûmes quelques gorgées en riant. J'oubliai toutes mes barrières et profitai pleinement de cette bouffée d'oxygène qu'il m'offrait.

— Tu as toujours vécu ici ? demanda-t-il.

— Oui... quand j'étais petit, je vivais à l'orphelinat. Et toi?

— Je suis là, depuis trois ou quatre ans. Ma famille habite dans la campagne. Je voulais faire des grandes études, donc me voilà, articula-t-il avec un brin de tristesse dans la voix.

  J'avalai un peu de mousseuses, ne sachant pas comme le réconforter. On ne n'avait pas appris à faire cela. Dans l'institution où j'avais passé mon enfance, l'unique chose qu'on m'enseignait était d'encaisser les coups. Le prêtre Lee était celui qui prenait soin de moi. Hiro toucha mon épaule.

— Tout va bien, Khalis ? Je n'aurais pas dû te questionner, je suis désolé.

— Ce n'est rien. Je repense à la seule personne qui a toujours été juste avec moi, répondis-je.

— Une sorte de bienfaiteur ? Je suis navré, mais je connais mal comment cela fonctionne pour un oméga. Je ne suis qu'un bêta au milieu de tout ça.

— On peut dire ça... Il a constamment pris soin de moi, depuis le jour il m'a trouvé dans une ruelle.

  Les traits de son visage s'assombrirent. Un silence pesant s'installa. N'aurais-je pas dû lui dire ? Est-ce que les bêtas vivaient une existence tranquille ? Je l'observai, chiffonné. Hiro continua de boire et de regarder l'horizon. Il me fixa soudainement et attrapa mon poignet.

— Je veux être ton ami. N'y vois aucune idée malsaine, juste une relation cordiale. Si je ne me trompe pas, tu es plus vieux que moi. Donc pas ami, mais plus comme mon grand frère. Si ça te va ?

  Les battements de mon cœur s'accélérèrent, ma respiration se saccada et ma vision se troubla. Je ne pouvais pas y croire. Comment c'était possible ? Pourquoi maintenant ?

***

👱‍♀️ Mot de l'autrice: Si vous voyez des fautes, j'en suis désolé. Ma correctrice n'a pas le temps en ce moment pour me corriger.  

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