Chapitre 7 (partie 2)
– Non, tu déconnes !
Les autres filles autour d'elle mirent la main devant la bouche de saisissement. Lilian les regarda avec un sourire complice.
– Je vous jure que c'est vrai, assura-t-elle. Ce mec habite dans la Ceinture. Vous ne devinerez jamais pourquoi.
– Tu me diras, s'avança une fille, ça n'a rien d'étonnant, quand on voit le personnage. J'avais du mal à l'imaginer vivre ici. La Ceinture, ça lui ressemble plus : elle craint, tout comme lui.
Les filles éclatèrent de rire, trouvant la remarque très drôle, et elles se plurent alors à moquer Constantine, égrenant toutes les élucubrations qui pouvaient leur passer par la tête. L'une vint à railler son look « trop ringard », une autre raconta les obscénités « nullissimes » qu'il lui avait susurré pendant qu'ils s'envoyaient en l'air dans le bureau d'un des profs. Peut-être y avait-il une grande part d'imagination dans leurs récits, mais qui s'en souciait ? Elles riaient, s'amusant de leurs réflexions, d'autres camarades se joignant bientôt à elles.
– Je suis même prête à parier que s'il sort avec autant de filles, c'est pour se convaincre qu'il aime ça, avança bientôt l'une d'elles.
Ce qui fit bien rire les autres.
– Tu es sérieuse ?
– Autant de filles différentes en si peu de temps ? Sûr qu'il a quelque chose à prouver !
– Je suis persuadée qu'il s'entendrait bien avec le fils Jawoski, railla une fille. Vous savez qu'il est encore reparti en cure ?
– Encore ?
– Oui, sa mère l'a surpris au lit avec un des employés de la maison.
Et les autres filles de faire la grimace, n'osant imaginer ce que le fils Jawoski pouvait bien faire au lit avec l'employé de maison.
– Il faut qu'il fasse gaffe, affirma doctement une autre, sinon sa mère va le foutre à la porte.
– Qu'elle le fasse, répliqua une autre avec mépris, il brûlera en enfer, de toute façon. S'il aime tant que ça le prendre dans le cul, il ira faire ça ailleurs. Il n'a qu'à aller à la Ceinture, il paraît que c'est plein de gens comme lui.
– Il n'aura qu'à aller voir Constantine, ajouta une troisième, ils se tiendront compagnie.
Elles partirent aussitôt dans un fou rire incontrôlable.
Mais les jeunes filles se turent toutes très vite en sentant l'atmosphère se refermer brusquement sur elles. Elles tournèrent la tête, cherchant la source du malaise. C'était comme si l'air s'était soudainement mis à suinter l'hostilité. Elles virent alors Constantine un peu plus loin, qui les regardait. L'apercevant, certaines se détournèrent sans tarder, se découvrant subitement des choses urgentes à faire.
Lilian ne bougea pas, tétanisée par l'état du jeune homme. Il était échevelé, furieux, abasourdi, au bout de lui-même. Son maquillage s'était flouté à ses yeux et il semblait en équilibre sur la ligne blanche continue. Il avait le regard perçant, et l'on sentait à son aura de colère que la personne qu'il cherchait aller passer un sale quart d'heure. Derrière lui, Natacha suivait, alarmée.
– Constantine ? s'étonna Lilian. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Celui-ci ne répondit pas, trop bouillonnant pour dire un mot. Natacha s'avança vers Lilian, affolée.
– Je ne sais pas ce qui lui a pris, expliqua-t-elle. Quand je lui ai dit pour tes projets, il est devenu complètement fou !
Lilian allait très certainement, et à juste titre, lui demander en quoi elle s'était sentie obligée d'aller lui raconter ça, mais elle n'en eut pas le temps. Elle se sentit soulevée de terre, et elle comprit que Constantine l'avait emmenée sous son bras, comme un vulgaire sac.
– Arrête, lâche-moi ! se défendit-elle.
Elle lui prit le bras, tentant de l'arracher de sa taille, mais le jeune homme ignora ses gesticulations et l'emporta sous les yeux abasourdis des autres camarades. Constantine ouvrit la porte d'une salle de classe, pour la trouver occupée par un groupe d'élèves qui discutaient, avachis sur les chaises. Ils s'interrompirent et levèrent les yeux sur lui.
– Dehors !
Son humeur était telle que personne ne chercha à discuter. Ils quittèrent la salle, laissant le jeune homme seul avec Lilian, qu'il reposa enfin par terre.
– Mais ça va pas ? Qu'est-ce qui te prend ? se révolta-t-elle. D'où tu te permets de débarquer comme ça et...
Et elle fulmina, resquilla, déclarant qu'il n'avait pas le droit de la traiter de la sorte. Ce à quoi, de par une brusque montée de température, Constantine répondit par un coup de poing dans le mur, juste à côté de sa tête.
Lilian poussa aussitôt un cri et se recroquevilla pour se protéger. Mais aucun autre coup ne venant, elle leva sur lui des yeux apeurés. Le regard qu'elle croisa était froid, dépourvu de toute considération.
– Constantine, bredouilla-t-elle, qu'est-ce qui t'arrive ?
– Je pourrais te retourner la question, répliqua-t-il sèchement.
Elle se tut, rouge de soumission. Il semblait tellement hors de lui que le moment devait être mal choisi pour faire la fière. Son poing avait quand même fait un trou dans le mur.
– Mais qu'est-ce qui se passe ? voulut-elle savoir. Qu'est-ce que j'ai fait ?
Et elle se recroquevilla à nouveau quand il marcha vers elle d'un pas vif. Il sembla sur le point de dire quelque chose, se retint, se tut, puis se détourna pour revenir vers elle.
– Je pourrais te dire que ça n'a rien d'étonnant, quand on y pense, commença-t-il alors. Dans le fond, c'était même prévisible. Toi et moi, on n'était pas faits pour s'accorder. Tu voulais me mettre à l'essai, rien que ça, ça aurait dû clore le débat. Je sais que tu as cette obsession du contrôle, mais quand même, mettre les gens à l'essai pour savoir s'ils sont dignes de toi, c'est complètement foireux. Même moi je n'ai jamais fait ça, et je peux t'assurer que j'ai trempé mon biscuit beaucoup plus souvent que toi.
Puis il s'interrompit en pleine diatribe, comme pris par une idée subite.
– Pourquoi je parle de ça, d'ailleurs ? se demanda-t-il alors à lui-même, avant de conclure par un geste désinvolte. Bref, on s'en fout.
Il la regarda dans les yeux.
– Écoute, que je ne t'aie pas satisfaite, je m'en tape. C'était couru d'avance, de toute façon, je me demande même pourquoi j'ai pris la peine. Que tu fasses ton intéressante à jacter comment je suis pas un mec normal et comment je vis dans la Ceinture, je m'en torche. Que tu te jettes à la tête du second venu pour te consoler, je m'en cogne aussi, tu fais ce que tu veux de ton cul, c'est ton problème. Mais quand ce second venu s'avère être un prof de maths du nom de Mr Smith, là, ça me regarde.
Ce qui surprit grandement Lilian, laquelle leva des sourcils stupéfaits.
– Et en quoi ça te regarde ? se défendit-elle, indignée.
Et elle comprit trop tard qu'elle venait juste de lui donner confirmation. Mais, étonnamment, cela ne sembla pas contrarier Constantine. Au contraire, il ploya sous la résignation.
– Tu aurais jeté ton dévolu sur n'importe qui d'autre, tu n'aurais plus entendu parler de moi, mâcha-t-il amèrement. Mais il a fallu que tu choisisses ce pourri. Je n'arrive pas à comprendre cette manie qu'on les gonzesses d'être attirées par les connards.
– Pour sa défense, tu fais infiniment plus connard que lui, fit remarquer Lilian.
Constantine ne pouvait pas lui donner tort, mais il se contenta d'une exclamation ironique.
– Tu serais surprise de savoir lequel est le plus connard de nous deux, lui assura-t-il. J'ai déjà pratiqué le bonhomme, je sais de quoi il est capable.
La jeune fille croisa les bras devant elle avec défi.
– Oh, vraiment ? Éclaire-moi, donc.
Le regard qu'il lui jeta était complètement désabusé.
– Tu as vu mon dos, lui dit-il, tu as vu à quoi il ressemble.
Lilian eut un temps d'arrêt en se remémorant les hideuses cicatrices sur ses omoplates.
– Je t'avais raconté que je n'avais jamais pris le temps de m'attacher à qui que ce soit, raconta-t-il alors. Que j'avais eu quelqu'un, mais que ça s'était mal fini.
– Quel est le rapport ? persifla la jeune fille.
– C'est elle qui me l'a fait. Après qu'il l'a manipulée quand elle s'est prise d'affection pour ses beaux yeux. Comme message de rupture, j'ai connu mieux.
Lilian ne put réprimer son expression horrifiée, mais elle ne comprenait toujours pas en quoi elle était concernée.
– Et en quoi ça me regarde ?
– En quoi ça te regarde ? Ce salopard n'est qu'un manipulateur et tu te demandes en quoi ça te regarde ?
Elle n'eut pour toute réponse qu'un sourire crispé.
– Écoute, ne le prends pas mal, mais il y a des chances que ça ne dure pas longtemps non plus, de toute façon.
– Lilian, l'interrompit Constantine, je connais le mec. Sachant que nous avons été en contact, il ne te lâchera pas si ça peut lui permettre de m'atteindre. Tu dois comprendre qu'il n'en aura rien à foutre de toi. La seule chose qui importera à ses yeux, c'est me faire souffrir en te fourrant dans son plumard.
La jeune fille n'arrivait plus à suivre.
– Et en quoi le fait qu'il me fourre dans son lit pourrait te poser problème ? Tu n'en as rien à faire, de moi, pas plus que j'en avais à faire de toi !
– Comme ça, c'est dit une fois pour toute, releva Constantine, et Lilian comprit un peu tard qu'elle avait à nouveau perdu une bonne occasion de se taire. En quoi ça me pose problème ? C'est ta sécurité, le problème. Qu'il te saute dans toutes positions qu'il veut, je m'en balance, ce qui m'inquiète, c'est comment il te manipulera pour faire de toi la jolie marionnette qu'il veut que tu sois. C'est ce qu'il lui a fait. Elle lui était dévouée corps et âme, au point qu'elle n'a pas bronché une seconde quand elle m'a infligé ça.
Et il désigna son dos du pouce.
Lilian resta muette, abasourdie. Ce qu'elle venait d'apprendre la laissait pantoise. Elle ignorait que cela pouvait être aussi grave, mais de toute évidence, Constantine était encore plus dérangé qu'elle ne le pensait. Quelle épouvantable perte de temps ! Elle soupira donc, lassée de ses jérémiades, puis le repoussa d'un geste sec.
– Écoute-moi bien, siffla-t-elle. Je ne te dois rien. Tu as eu ta chance, je n'ai aucun compte à te rendre.
Constantine accueillit l'estocade avec dérision.
– Sérieux, tu appelles ça donner ma chance ? Du début à la fin, il n'y avait que tes désirs qui importaient, elle était où, ma chance, dans tout ça ?
Lilian le regarda, glaciale.
– Elle était là tout le long de la soirée. Si tu as été incapable de la saisir, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Mais je refuse que tu t'incrustes dans mes relations à cause de ça !
Constantine aurait bien voulu un bloc de béton sur la tête, histoire de se réveiller. Cette fille n'avait décidément rien compris. Elle venait prétendre qu'il était bizarre, mais finalement, elle était encore plus bizarre que lui. Elle vivait dans son monde, où ses désirs étaient des réalités, et à ses yeux, Constantine lui reprochait son choix par pure jalousie.
– Je t'ai donné ta chance, tu ne m'as pas convaincue, ça s'arrête là. Si je l'ai choisi lui, c'est mon droit. Maintenant, je te prie de me laisser tranquille.
Il la regarda, atterré. Elle se détourna, impériale, et quitta la salle.
Constantine la regarda partir, interdit. Puis une moue écœurée lui tordit les lèvres. Cette fille n'était qu'une garce, il en avait maintenant la certitude. Peu lui importait qu'on voulût la protéger, elle ne pensait qu'à elle. Il se rappela cet incident le mois dernier, une voiture de toute évidence très pressée avait percuté une paria qui traversait la rue. Le conducteur ne s'était même pas arrêté et la pauvre femme était morte dans l'indifférence générale. En cet instant, Constantine pouvait aisément imaginer Lilian derrière le volant. Peu lui importait sa sécurité, tant qu'elle en tirait le maximum de plaisir. Elle était tellement arrogante qu'elle était capable de se jeter dans la gueule du loup les yeux fermés rien que pour lui donner tort. Le petit soldat rêvé pour Smith qui allait pouvoir s'amuser comme un fou. Avec une mentalité pareille, il pourrait lui faire accomplir n'importe quoi. Et si tel devait devenir son plan, il allait inévitablement y avoir beaucoup de dégâts.
La question était de savoir de quel côté il y en aurait le plus. Et Constantine était loin d'être optimiste pour Lilian. Il connaissait Smith, sa façon de penser. Il savait ses méthodes et ses habitudes. Il était rôdé à l'enjeu. Lilian n'avait pas ce luxe. Et elle allait vite apprendre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top