Chapitre 6 (partie 1)


  – Et ce garçon, comment est-il ?

Lilian achevait de mettre la touche finale à son maquillage, quand la voix de sa mère avait failli lui faire rater le contour de ses lèvres.

Elle écarta le pinceau et se retourna.

– Excuse-moi, maman, qu'est-ce que tu as dit ?

– Ce garçon, insista Mrs Hamilton. Comment est-il ?

La jeune fille hésita une seconde quant à la façon de présenter son cavalier.

– Original, biaisa-t-elle alors.

Sa mère croisa ses jambes liposucées, les lèvres pincées.

– Hum ! ronchonna-t-elle. Ce n'est pas une réponse, ça.

Lilian leva les yeux au ciel, mais elle reconnaissait le bien-fondé de la réflexion.

– Eh bien si tu veux tout savoir, il a exécuté un paria de ses mains pas plus tard que cette semaine.

Elle se pencha à nouveau vers son miroir.

– Quant à savoir comment il est, tu le verras quand il viendra. Le connaissant, il ne se sera pas mis sur un trente-et-un ordinaire. Il fait si peu cas de sa condition que les smokings l'insupportent.

Mrs Hamilton haussa un sourcil parfaitement épilé.

– Est-il de notre condition, au moins ?

– Oui, maman, lui assura Lilian. Je reconnais que ce n'est pas évident d'un premier abord, mais il est on ne peut plus de notre condition.

La vérité, c'est que la jeune fille n'en savait rien. Elle avait invité Constantine, mais s'était rendu compte au moment de l'expliquer à ses parents qu'elle ignorait tout de lui. Aussi avait-elle menti sur certains points afin de se garantir l'approbation paternelle, car l'anti-futurisme, les galipettes à répétition dans les WC, le look gothique sorti tout droit d'un vieux manga, ça passait très mal dans un CV. Elle lui avait donc inventé des parents banquiers à l'étranger, des difficultés d'adaptation, mais avait ajouté au tableau une profonde culture, une grande intelligence et des prédispositions en culture physique.

Il devait finalement passer la prendre chez elle ce samedi soir vers huit heures.

Il avait affirmé l'emmener à un vernissage, ce que la jeune fille avait trouvé plutôt bienvenu. Quand elle se faisait inviter, la plupart du temps, c'était au dernier night-club à la mode ou dans le plus chic restaurant de la ville. Lilian avait donc voulu faire honneur à l'initiative et au style inhabituel de son cavalier, fouillé dans ses affaires et remonté une robe bustier noire à la surface. Toute en soie et bordée de perles, avec des gants trois quarts. Elle avait tressé ses cheveux, s'était rendu compte que ça n'irait pas, avait tout défait, les avait finalement disciplinés avec un peu de spray fixant, et signé ses lèvres d'un rouge brillant.

– Sais-tu où il va t'emmener ? poursuivit Mrs Hamilton. Je t'en conjure, n'approche pas de la Ceinture !

– Je n'ai pas l'intention de m'approcher de la Ceinture, maman.

Sa mère se releva. À son âge, elle était encore une très belle femme, même si sa beauté devait plus à la chirurgie esthétique et aux produits cosmétiques qu'à la nature. Au moins vivait-elle dans un milieu capable de lui payer ce luxe.

– Dans ce cas, conclut celle-ci, tu sais ce qui te reste à faire. Passe une bonne soirée.

– Merci, maman.

C'est alors que le groom holographique apparut dans la pièce.

La personne attendue par Miss Hamilton est dans le hall, annonça-t-il d'une voix obséquieuse.

– J'arrive, répondit Lilian.

Le groom s'évanouit et la jeune fille descendit l'escalier.

Ainsi que le domestique l'avait annoncé, Constantine était là. Et comme il l'avait promis, il lui avait épargné les platform boots. Il était très élégant avec une veste noire à queue de pie sur un gilet et une chemise à col cassé blancs, avec un nœud papillon blanc. Son pantalon avait une bande de satin et ses chaussures étaient vernies. Dans ses mains gantées de gris, il tenait un haut-de-forme noir satiné et une canne à pommeau. Ses yeux n'étaient pour une fois pas maquillés, et son regard noisette la détailla de la tête aux pieds alors qu'il rangeait sa montre à gousset. Son père était en sa compagnie, et observait le jeune homme d'un œil dubitatif.

– Arrêtez de me regarder comme ça, sourit celui-ci, vous allez me faire rougir.

La surprise du père alla croissant.

– Bonsoir, Constantine, salua Lilian.

Le jeune homme sourit et salua d'un geste de son chapeau.

– Je vous souhaite le bonsoir, chère demoiselle, salua-t-il à son tour. Permettez-moi de vous faire savoir que vous êtes toute en beauté.

Et de lui faire un onctueux baisemain. Lilian était aux anges, et ses parents ne savaient plus quoi en penser. C'était donc lui, le jeune homme dont elle avait tant vanté les mérites ?

Il se tourna vers eux, un sourire éblouissant accroché aux lèvres. Mode « cirage de bottes » activé.

– Je m'en voudrais de m'introduire ici sans présenter mes hommages à vos parents, susurra-t-il. Aussi, je vous prie d'agréer, madame et monsieur, mon entière considération à votre égard.

Et il s'inclina respectueusement.

– Votre demeure est d'un raffinement qui confine au sublime, ajouta-t-il. Il est une idée répandue selon laquelle l'intérieur d'une maison est à l'image des personnes qui y résident, paraît-il. Je me vois dans l'obligation de constater son entière véracité.

Lilian crut une seconde qu'elle allait éclater de rire devant ses mots exagérément ampoulés. Mais trouvant la force de réprimer son hilarité, elle s'avança.

– Désolée de te bousculer, avoua-t-elle en posant sa main sur le bras de Constantine, mais j'aimerais que nous n'arrivions pas trop tard.

– En ce cas, embraya Constantine, je m'en voudrais de nous retarder. Je regrette de ne point pouvoir vous octroyer les louanges que vous méritez, mais comme vous avez certainement dû le comprendre, mademoiselle votre fille souffre d'impatience chronique.

Elle aurait vraiment voulu rire si l'endroit et le moment le lui permettaient. Mais ce n'était ni l'endroit ni le moment, et Constantine conclut la conversation par une dernière révérence.

– Sachez néanmoins que je suis comblé par la confiance que vous me portez, et que je tâcherai avec tout mon possible de ne pas la décevoir.

– Je vous en prie, assura Mrs Hamilton qui ne devait plus pouvoir se sentir. Vaquez donc.

Le jeune homme ne put réprimer un sourire discret. Dans la poche.

– En ce cas, vaquons, conclut Lilian.

Constantine lui présenta galamment son manteau. Elle salua ses parents et entraîna le jeune homme à l'extérieur.

Une fois sortis, la différence d'atmosphère était quasi palpable. La jeune fille n'en revenait pas, elle n'avait plus vu ses parents autant frétiller devant un compliment depuis longtemps. Il fallait cependant admettre que Constantine avait su trouver les mots qu'il fallait.

Celui-ci achevait tranquillement de remettre son chapeau. Elle s'approcha de lui et rajusta son col.

– Tu m'as impressionnée, avoua-t-elle. Je ne te croyais pas capable de parler comme ça.

– Je n'avais pas le choix. Tu me voyais arriver torché comme un sou neuf dans mon beau costard et balancer au paternel : « Salut, vieux ! Ça boume ? » J'ai promis de bien me tenir, je tiendrai parole. Alors si je viens à sortir des conneries, tu me le fais savoir tout-de-suite.

– Tu viens d'en sortir une.

Elle éclata de rire.

– Par contre, la tempéra-t-il, j'ai un problème : j'ai le costard, les bonnes manières, mais je n'ai pas de voiture. Je suis désolé, je viens à l'université à pied, donc je n'ai jamais jugé utile de m'encombrer d'une bagnole.

– Tu es en train de me dire qu'on va y aller à pied ? s'effara Lilian.

– Ai-je dit une chose pareille ? Non, mademoiselle. Notre transport nous attend dans cinq secondes à peine.

Et un taxi s'arrêta à leur hauteur.

Constantine lui ouvrit la portière avec une courbette.

– Je prie mademoiselle de bien vouloir prendre place.

– Si tu me l'avais dit, on aurait pris une des voitures de mes parents, proposa la jeune fille.

– Faire des courbettes à tes vieux et leur réclamer une bagnole, ça fait pas vraiment bon ménage.

Ils s'installèrent donc dans le taxi. Le chauffeur en livrée attendit les instructions.

– L'Oxford Bank Gallery, s'il vous plaît.

Le chauffeur eut un petit hochement de tête affirmatif et déhotta en douceur.

Lilian se souvenait être allée une fois à l'Oxford Bank Gallery. Elle y avait accompagné son père pour faire risette au fils d'un industriel à qui son père voulait faire signer un contrat. Elle avait passé la soirée à écouter la mère de l'artiste vanter les mérites de son fils prodige, alors occupé à descendre le contenu du bar, racontant à qui voulait l'entendre que cette exposition était la preuve que les soi-disant chefs-d'œuvre d'antan n'étaient plus que les déchets d'une ère révolue. Les œuvres étaient une suite de tableaux d'un certain Picasso, sur lesquels le jeune homme avait uriné un soir de beuverie, expérimentant les effets de différents alcools sur la peinture. C'était hideux, et les trois-quarts de l'assistance avaient plus profité du buffet que de la visite.

La réception vit arriver le couple avec des yeux bien ronds. Non pas qu'il fût surprenant, mais le costume très ancienne mode de Constantine avait invariablement de quoi attirer les regards. L'organisateur vint à leur rencontre.

– Que puis-je pour ces messieurs-dames ? s'informa-t-il poliment.

– Nous avons une invitation pour deux personnes, répondit le jeune homme.

– Je vous prie de bien vouloir me suivre.

Il les accompagna jusqu'au pupitre.

– Puis-je vous demander à quel nom ?

– John Constantine.

Il vit bien l'homme hausser les sourcils devant son nom, mais ne fit pas de commentaire. Il commençait à se dire qu'il lui faudrait peut-être un jour réactualiser son identité.

L'organisateur leva les yeux de son registre.

– Je regrette, monsieur, mais nous n'avons aucune invitation à ce nom.

Constantine ouvrit de grands yeux, interloqué par la nouvelle.

– Excusez-moi ?

– Mon registre ne mentionne aucune invitation à ce nom, monsieur.

– Ridicule !

– Je suis désolé, je me conforme à ce qui est écrit : il n'y a rien à ce nom pour ce soir.

Tout à son personnage, Constantine donna de sa canne sur le sol.

– Cette ville est-elle donc devenue aussi misérable qu'on le dit, pour oser traiter ses invités de la sorte ?

L'homme face à lui jeta un regard hésitant autour de lui, s'assurant que personne ne remarquait rien.

– Monsieur, je ne peux rien pour vous. Nous n'avons rien à ce nom dans le registre.

– Je me moque éperdument de votre registre, faquin ! Vous êtes priés de faire votre devoir et de nous fournir de quoi nous satisfaire !

Lilian le regarda en haussant les sourcils de surprise. Faquin ?

– J'ai personnellement veillé à ce que cette invitation se fasse, continuait Constantine, et vous venez m'annoncer qu'elle n'existe pas ? Dans quel genre d'endroit nous trouvons-nous, ici ? Dans une galerie de haut standing ou dans un infect trou à rat de province ?

L'organisateur ne savait plus où se mettre. Il ne pouvait pas faire apparaître une invitation par magie, mais il se refusait à admettre qu'il y avait eu une défaillance dans le système.

– Monsieur, je vous en prie...

Il se tut, pétrifié par le regard de Constantine.

La jeune fille reconnaissait ce regard. Tranquille, mais foudroyant, comme la première fois qu'ils s'étaient rencontrés.

L'organisateur tenta tant bien que mal de reprendre contenance, mais n'y parvint pas. Liquéfié, soumis, il se résolut à cette dernière solution.

– Si ces messieurs-dames veulent bien me suivre, je vais vous conduire à votre table.

Constantine tourna la tête vers Lilian et lui présenta son bras. Elle comprit aussitôt, leva les yeux au ciel, mais lui prit le bras et l'accompagna.

L'organisateur les mena à l'intérieur, jusqu'à une table dans une petite salle à l'écart de la galerie. La plupart des invités s'y trouvaient déjà, discutant avec animation devant une coupe de champagne. L'organisateur fit prestement disparaître un petit panneau marqué « réservé » posé sur la table et écarta leurs chaises alors qu'un employé les débarrassait de leurs effets.

– Mademoiselle..., invita-t-il.

Constantine lui prit la main pour l'aider à s'asseoir.

– J'espère que ce petit incident ne portera pas préjudice à votre appétit, Miss Hamilton. Auquel cas, il me faudra le signaler à monsieur votre père.

– Tout ira bien, assura celle-ci avec un sourire complice.

L'organisateur se figea.

– Miss Hamilton ? balbutia-t-il.

Constantine lui jeta un regard.

– Quelque chose ne va pas ?

– Miss Hamilton ? La fille de Georges Hamilton, de BioTechnologic ?

– Pourquoi ? Vous en doutiez ?

Le malheureux était perdu. Il rangea benoîtement les chaises de Lilian et Constantine, et prit ses jambes à son cou en leur promettant l'envoi imminent du serveur. Ils le regardèrent fuir, presque peinés pour lui.

– Le pauvre, compatit Lilian. Tu ne l'as pas épargné.

– Il n'avait qu'à bien faire son travail.

– Arrête. Je sais pertinemment que tu n'as eu aucune invitation.

Il laissa échapper un sourire coupable, avouant sa manigance.

– Tu sais très bien que je n'aime rien faire comme tout le monde.

– En ce cas, pourquoi ne pas avoir mentionné mon nom tout de suite ?

– Parce que ç'aurait été trop simple.

La jeune fille soupira.

– Tu es incorrigible.

– Et encore, tu n'as pas tout vu.

– Tu es en train de me dire que tu vas trouver une autre excuse pour ne pas payer l'addition ?

– Non, je n'irais quand même pas jusque-là, se défendit Constantine.

Le serveur parut, les menus dans les mains.

– Bonsoir, messieurs-dames, salua-t-il poliment. Permettez-moi de vous apporter la carte. Au dîner, pour l'occasion, nous proposons un carré d'agneau potager et son riz parfumé, servi avec une sauce aux légumes.

Et il s'éclipsa.

Alors que Lilian parcourait la carte et s'attardait sur les desserts, Constantine parcourut la salle du regard. Il reconnut quelques visages parmi les plus connus, enfoncés jusqu'aux sourcils dans des conversations qu'il devinait trépidantes. D'anonymes serveurs allaient et venaient dans la salle, renouvelant les verres de champagne. Il fit signe à l'un d'eux.

– Tu veux faire un premier tour ? proposa-t-il à Lilian alors que le serveur posait leurs verres sur la table. Tant qu'à faire, autant regarder ce qu'il y a.

Elle le regarda d'un air dubitatif, mais prit néanmoins son verre et se leva.

– Pourquoi j'ai l'impression que l'artiste va la sentir passer ?

– Parce que si c'est un vrai artiste, moi, je suis Bill Gates.

– Qui ça ?

Constantine ne répondit pas, et ils entrèrent dans la galerie.

Ils furent accueillis par un encadrement présentant l'artiste et sa démarche. À la vue de mots-clefs tels que « détournement », « protestation », « Nouvel Art », Constantine perdit tout intérêt pour l'exposition. Surtout quand il aperçut un peu plus loin la toute feuilletée d'or Vénus de Milo qui croisait des bras pudiques devant sa poitrine. L'artiste expliquait devant une foule d'amateurs gloussant d'un air entendu que son œuvre était la représentation abstraite du désir inconscient de l'esprit communautaire moderne. Tape-à-l'œil et hypocrite, Constantine ne pouvait qu'être d'accord avec lui.

Lilian l'observa en train de regarder autour de lui, son opinion sur les œuvres écrite en gros sur sa figure. Elle le vit grimacer devant un Degas dont les tutus étaient habillés de strass rose, l'entendant marmonner à lui-même qu'il préférait l'ancienne version. Il manqua ensuite de laisser échapper son verre en identifiant ce qui était à l'origine un Jésus crucifié. Sauf que la croix avait laissé place à des faisceaux de lumière stroboscopiques et que l'intéressé, affublé de lunettes de soleil, semblait lever les bras en encouragement derrière une platine de DJ. Elle le regarda considérer le résultat bouche bée, devenu pâle, puis rouge, avant de serrer les mâchoires, se pincer le nez et laisser tomber ses épaules de consternation.

– « Ne t'irrite pas, ce serait mal faire », grinça-t-il.

Elle s'approcha de lui, un sourire en coin, puis passa son bras sous le sien pour l'éloigner des œuvres.

– Si l'objectif du Nouvel Art est de provoquer une réaction du public, l'on peut dire qu'il a réussi, dit-elle d'un ton léger.

– Il y a réaction et réaction, se défendit Constantine qui se laissait passivement entraîner, complètement sous le choc. Personnellement, je n'ai jamais compris l'utilité de celle qui ne consiste qu'à choquer.

– Elle provoque la réflexion ? suggéra Lilian.

– Non, elle choque seulement, la détrompa le jeune homme. Elle nous fait monter sur nos grands chevaux, on est tous là à ouvrir des gueules béantes, à bramer que c'est un scandale, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick pour autant. C'est une réaction ponctuelle qui n'est pas faite pour durer.

Lilian fit la moue.

– Il s'est pourtant trouvé des œuvres qui continuent de choquer même des années après, elle argumenta.

– Peut-être, mais c'est tout ce qu'elles font. Choquer pour attirer l'attention, c'est bien, mais choquer pour faire réagir, c'est mieux. Le problème, c'est que beaucoup ne s'en tiennent qu'à la première option.

– Tu as vraiment une opinion sur tout, pas vrai ?

– L'inconvénient d'être un idéaliste. On peut dire que c'est mon gros défaut.

La jeune fille considéra Constantine d'un air sceptique.

– Sans offense, mais tu ne donnes pas vraiment l'impression d'être un idéaliste.

– Affaire de point de vue, sans doute. Tu me regardes sous l'angle de ton monde, qui a ses idées et ses opinions. J'ai le mien, avec ses propres idées et opinions.

Elle observa un instant de silence, le brouhaha des conversations autour d'elle mué en un murmure étouffé, puis regarda Constantine dans les yeux.

– Qui es-tu, exactement ? demanda-t-elle alors.

Il la regarda avec un sourire.

– « Mieux vaut un esprit patient qu'un esprit hautain ». J'avoue apprécier que tu ne m'aies pas sauté à la gorge pour le savoir.

– De rien, je suppose.

Un silence plana quelques secondes, avant que Constantine ne fît un signe de tête, invitant Lilian à le suivre à leur table. Il héla un plateau qui passait, échangeant son verre vide, puis tira leurs chaises.

Il s'installa et joignit les mains, cherchant le meilleur angle d'ouverture. Devant lui, de l'autre côté de la table, Lilian attendait patiemment.

– Ça va sans doute te décevoir étant donné ton opinion sur la question, commença-t-il alors, mais je m'appelle réellement John Constantine. C'est d'origine byzantine, mes ancêtres étaient de Constantinople, en Turquie.

– Et toi, alors, d'où viens-tu ?

– D'Angleterre. Je résidais à Londres avant de venir ici.

– Britannique ? Qu'est-ce qui t'a fait venir, alors ? Londres est pourtant une excellente ville.

– Obligations professionnelles, malheureusement. Je n'ai pas vraiment eu le choix.

Lilian hocha la tête d'un air entendu.

– Laisse-moi deviner, ta famille a dû déménager ?

– On peut dire ça comme ça.

– Qu'est-ce qui les a attirés ici ?

Constantine garda une seconde de silence, comme cherchant le meilleur moyen de formuler sa réponse.

– Le rêve américain, allons-nous dire, la perspective d'un nouvel avenir, répondit-il alors. Ou du moins ce qu'il en restait, à mon sens. Tu as dû comprendre, depuis que tu me connais, que je ne porte pas ce siècle dans mon cœur.

– Je croyais que tu ne haïssais que la technologie.

– J'aurais aimé, pour être honnête, ça m'aurait évité bien des problèmes. Mais je me suis pris à tout détester, les technologies, la société, absolument tout. Quand je vois ce que ce monde aurait pu devenir et ce qu'il est devenu, je me dis des fois que j'aurais bien voulu naître à une autre époque.

– Qu'est-ce que tu lui reproches, à ce monde ?

Constantine se laissa retomber dans sa chaise.

– Oh, tellement de choses, si tu savais. Sa mentalité, son argent, sa politique, sa justice. Quand je vois les gens, avec leurs gadgets, leur fric, les gouverneurs qui n'ont de gouverneurs que le nom, les juges corrompus, la police qui ne fait rien parce que ça ne les intéresse pas... Regarde-toi, la suprématie blanche a pris de telles proportions que tu es obligée de te faire blanchir la peau. Tiens, et la religion, tant qu'on yest. Tu t'es jamais demandé d'où venaient mes petites phrases ? Vous êtes là à enseigner le créationnisme, à bramer que Dieu est le seul et unique, mais il y en a pas un qui a été foutu de reconnaître la moindre citation. Et l'université : vous menacez les profs, vous leur versez des pots-de-vin,tout ça pour une bonne note ou un passage en deuxième ou troisième cycle. Les animaux sont clonés parce qu'il n'en existe plus assez pour vivre, les plantes sont transgéniques, les bêtes de compagnie sont conçues à la carte, la  banquise a entièrement fondu, ce qui a fait disparaître des côtes et des pays entiers,il n'y a presque plus de forêts, à part ça, tout va bien. J'y vis parce que je ne peux pas faire autrement, mais il y a des fois où je me dégoûte d'y être.

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