Chapitre 59


– Sale garce !

– Quoi, c'est tout ce que tu trouves à dire ? railla Lilian.

Kat se releva, grimaçante de rage, et dégagea d'un coup de pied une chaise qui alla se fracasser contre le mur.

– Oooh ! Je suis impressionnée ! se moqua la jeune fille.

La vampire louvoya sur le côté, cherchant à ruser. Sur ses gardes, Lilian la suivit attentivement, calquant ses déplacements sur ceux de son ennemie. La rapière dressée devant elle, elle ne bronchait pas.

Puis Kat s'élança soudain, surprenant l'adversaire. La jeune fille eut juste le temps de se jeter sur le côté, roulant-boulant hors de portée. Ce fut alors qu'elle allait se redresser que sa nuque la lança violemment. Kat l'avait attrapée par les cheveux et la mit debout.

– Je pensais que ça allait être plié en deux secondes, avoua la vampire, mais je dois admettre que tu ne te défends pas si mal.

Elle affirma sa prise et Lilian gémit, lâchant son arme pour tenter de se libérer.

– Quand je repense au début de l'année, j'ai parfois du mal à imaginer que tu es la même personne. Je me souviens de cette capricieuse gosse de riche, que j'avais tout le temps envie de baffer. Pauvre Christel ! Tu lui en as fait baver, quand même. Et maintenant, regarde-toi : j'ai toujours envie de te baffer, mais plus pour les mêmes raisons. On peut dire que tu as fait des progrès.

– Des progrès, je ne sais pas, reconnut la jeune fille, mais j'ai un peu plus de ressources.

Et elle brandit devant les yeux de Kat le flacon d'eau bénite qu'elle avait pris sur son kit. Il était vide.

Toute à sa position de force, la vampire n'avait pas tout de suite ressenti la féroce brûlure qui lui laboura littéralement le flanc.

Elle poussa un cri et lâcha les cheveux de Lilian, rugissant de colère et de douleur en voyant sa peau noircie et fumante.

– Maintenant, ricana la jeune fille, tu as encore d'autres raisons de vouloir me baffer.

L'ironie fit mouche et rendit Kat folle de rage. Alors que son adversaire allait pour ramasser vivement sa rapière, elle la cueillit d'un féroce coup de pied dans les côtes et l'étala.

– Sale petite garce ! jura-t-elle, les dents serrées.

Lilian tenta tant bien que mal de se remettre debout, mais Kat la saisit par un bras et la propulsa dans les ruines de la salle.

– Tu vas me payer ça !

Elle marcha vers la jeune fille et la saisit à nouveau par les cheveux avant de la relever.

– Debout ! gronda-t-elle.

Elle la força à la regarder dans les yeux.

– Tu espérais quoi, dis-moi ? Me faire partir en fumée ? Tu n'es pas dans un film, il ne suffit pas de m'asperger de ta fichue eau bénite pour que je m'évapore.

Et, d'une détente, elle l'envoya dinguer contre le mur où elle rebondit avec un choc sourd.

Malmenée, le corps douloureux, Lilian se remit péniblement debout, sous les rires de la vampire. Elle entendit un tintement caractéristique et, en levant les yeux, elle vit Kat avec sa rapière à la main. Celle-ci en évaluait le tranchant avec une moue appréciative.

– Joli travail, admit-elle. C'est du bon boulot. Vous ne devez vraiment pas vous prendre pour de la merde, avec vos babioles. Je parie que la première fois que tu l'as tenue, tu t'es sentie comme Arthur quand il a reçu Excalibur.

La jeune fille fit ce qu'elle put, mais elle fut incapable de retenir son sourire.

– Qu'est-ce qu'il y a ? s'étonna Kat. Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ?

Lilian ricana.

– C'est ton ignorance et ta bêtise, qui me font rire. C'est la preuve que tu n'as rien compris.

– Ah bon ? Ça marche comment, alors ? Comme les baguettes magiques d'Harry Potter ? Il faut être digne, comme Thor ? C'est le mentor qui l'offre à l'élève ?

– Rien de tout ça, tu es complètement à côté de la plaque. Si j'ai choisi celle-là, c'était parce que je la trouvais sympa, c'est tout.

– Quoi, c'est tout ?

– Pourquoi ? Tu t'attendais à quoi ?

– J'en sais rien, à un truc un peu plus mystique, peut-être. Mais bon, c'est vrai que ça m'aurait surprise, vu les ordres d'en haut. « Tu ne tueras point », c'est bien ce qu'il a dit, non ? Alors, je me doute bien que ce n'est certainement pas le vieux qui vous met des armes dans les mains. C'est là que je me réjouis de ne pas dépendre de ce service, qu'est-ce que je m'ennuierais !

Et elle éclata de rire, trouvant sa répartie très drôle. Sa voix cristalline vrilla l'air ambiant, telle une effroyable foreuse. Et elle rit, elle rit, cruelle et sadique, jusqu'à ce qu'elle entendît un rugissement. Elle se tut alors, et se tourna vers son adversaire. Ce fut pour mieux se retrouver nez-à-nez avec Lilian qui, hors d'elle, venait de précipiter dans sa direction. Elle prit le coup de plein fouet et fut projetée en arrière, à-travers la baie vitrée de la classe, puis elle dégringola dans le vide.

*

– Arrête de me demander si ça va, râla Lulu avec humeur. Non, ça ne va pas !

– Oh, ne t'inquiète pas, je sais, la rassura James.

– On pourrait déjà être à l'intérieur depuis longtemps ! chuchota furieusement Lulu. Ils ont vraiment que ça à foutre, de venir s'envoyer en l'air ici ?

James ne trouva rien pour la désavouer. Lulu se redressa et regarda avec lassitude l'accès de service si proche, et en même temps si loin. Depuis qu'ils étaient là, perchés dans leur arbre, ils n'avaient eu pour unique distraction que l'angoisse qu'ils ressentaient pour leurs camarades et le défilé affligeant de la jeunesse dorée de la ville, roucoulant en costumes de pacotille.

Elle se tourna vers James.

– Je te jure, je leur laisse encore trente minutes, et après je fonce.

– Tu ne vas pas remettre ça !

– Tu veux que je fasse quoi ? Si ça trouve, on est là, à se rincer l'œil comme des abrutis, alors qu'ils sont peut-être en train de crever !

Les épaules de James retombèrent.

– Lulu, écoute. Ce sont nos amis, je suis parfaitement d'accord avec toi. Mais nous ne pouvons pas les empêcher de se battre, juste parce que nous n'avons pas envie de les perdre. Tu peux comprendre ça ?

– Oui, je sais, c'est con...

Il lui donna une bourrade amicale.

– Mais non, ce n'est pas con. On appelle ça l'amitié, c'est tout.

Lulu laissa retomber sa tête contre le tronc de l'arbre, un peu plus sereine. En revanche, James gardait le cœur étreint par un sombre pressentiment.

Que se passait-il vraiment, là-bas ?

*

Seigneur, Jésus-Christ, Roi de gloire, délivre les âmes de tous les fidèles défunts des peines de l'enfer et de l'abîme sans fond : délivre-les de la gueule du lion, afin que le gouffre horrible ne les engloutisse pas et qu'elles ne tombent pas dans les ténèbres. Mais que Saint Michel, le porte-étendard, les introduise dans la sainte lumière, que Tu as autrefois promise jadis à Abraham et à sa postérité.

– Eh bien, ça ne va pas ? se moqua Smith. Je croyais que tu voulais me montrer que les muscles ne faisaient pas tout dans la vie, et que tu voulais me botter le cul comme il fallait.

– T'inquiète pas pour la suite. Ça, c'est qu'un échauffement.

Il commençait à perdre des forces, Christel le sentait. Ses coups étaient moins vifs, moins rapides. Il accusait fatalement le contrecoup des efforts qu'il fournissait.

Christel bondit en avant pour récupérer son arme tombée par terre, roula sur le sol et l'attrapa vivement, puis se redressa immédiatement et donna un violent coup de pied dans les côtes de Smith qui vola plus loin. Quand Smith fut étalé, le jeune homme se jeta en avant en voulant lui porter le coup de grâce.

Nous t'offrons, Seigneur, le sacrifice et les prières de notre louange : reçois-les pour ces âmes dont nous faisons mémoire aujourd'hui. Seigneur, fais-les passer de la mort à la vie que Tu as autrefois promise jadis à Abraham et à sa postérité.

Malheureusement, Smith fut plus rapide et roula sur le côté. Christel tomba au sol et, alors qu'il se remettait en garde, fut saisi à nouveau par la gorge et soulevé à la force du bras.

– Où sont donc tes archanges, tes trompettes du Jugement Dernier et ton Dieu tout-puissant ? ricana Smith. Arrête donc avec tes Requiem et tes Notre Père, ça ne te sauvera pas. Et tu veux savoir comment je sais ça ? Parce que je vais te néantiser maintenant, et que je vais t'emmener en Enfer avec moi, ainsi que ta petite pute d'élève.

Christel serra les dents devant son ironie. La hargne lui insuffla un reliquat d'ardeur dans les veines, mais sa position l'obligea à improviser. Il ne pouvait pas utiliser deux fois la même technique, il courait le risque que son adversaire ne trouvât une parade. Il noua donc ses jambes autour de la taille de Smith et bascula en arrière. Le maudit, entraîné, bascula en avant, fit une cabriole et tomba sur le dos, Christel assis sur son ventre.

Saint, Saint, Saint le Seigneur, dieu des forces célestes. Le ciel et la terre sont remplis de Ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux.

– Désolé pour la position, s'excusa Christel, reprenant les propos de Smith, ce n'est pas ce que tu crois.

Et il leva le pieu au-dessus de sa tête.

Smith réagit aussitôt. Son bras vint heurter le jeune homme qui tomba sur le côté, mais celui-ci eut le temps de le repousser en lui calant son pied dans le ventre. Ils se redressèrent et se firent face à nouveau.

– Je suppose que tu vas encore me sortir un bon mot ? railla Smith.

– Ça viendra, promis. J'ai la foi.

Mais la réponse n'eut pour effet que bien le faire rire.

– Tu es sérieux ? Tu as la foi, maintenant ? Elle est bien bonne.

– J'en ai certainement beaucoup plus que toi, en tout cas, se vanta Christel.

Mais le sourire de Smith ne fit que s'élargir davantage. Il savait déjà qu'il pouvait lister à Christel trois milliards de manquements à sa foi sans même ouvrir la bouche. Il avait passé des siècles à mépriser une foi qui lui avait pourtant servi plus que de raison.

– Vraiment ? susurra-t-il plutôt. Tu en es sûr ? Arrête-moi si je me trompe, mais le mensonge n'est-il pas considéré comme un péché, chez vous ? « Celui qui profère des mensonges périra », ou quelque chose comme ça ? Toi qui connais tes sermons par cœur, tu dois le savoir, non ?

Mais Christel se contenta de le regarder avec curiosité, comme si le sens de sa conversation lui échappait. Smith ouvrit alors les yeux et hocha la tête, comme s'il avait soudain compris l'origine du problème.

– C'est vrai que j'ai complètement oublié de te poser la question, reconnut-il de bonne grâce. Dis-moi, le salut de ta petite copine, tu en as parlé avec elle ?

La question, posée à bout portant, marqua sa cible, et Christel ne put réprimer une brusque crispation des mâchoires. Il se tendit soudainement, les poings fermés, avec plus du tout l'envie de rire.

– C'est-à-dire ? se força-t-il néanmoins à demander.

– Ne me prends pas pour un imbécile, ricana Smith, n'oublie pas que les nouvelles circulent vite aussi bien dans un camp que dans l'autre.

Christel ne répondit pas, les dents tellement serrées qu'elles grinçaient sourdement à ses oreilles.

– J'en conclus que tu ne lui en as pas parlé, comprit donc Smith. Pour ta défense, il faut reconnaître que c'est sujet à débat : est-ce que c'est l'intention qui prime, ou le geste final ? On peut dire qu'elle a eu le chic pour bien se compliquer la tâche, pas vrai ?

Et devant le mutisme obstiné de Christel, il croisa les bras.

– Si j'ai bien compris comment ça marche, vous devez néantiser le responsable de votre mort pour monter au Paradis. Mais ce serait amusant de savoir lequel cette pauvre fille va devoir néantiser : celui qui lui a tranché la gorge, ou celui qui l'a achevée en l'exorcisant ?

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