Chapitre 52 (partie 1)
– Eh, Lulu !
Celle-ci se retourna pour voir James courir vers elle.
– Tiens, salut.
– Salut.
Il s'arrêta à sa hauteur.
– J'ai entendu dire que les costumes étaient prêts, je voulais venir voir.
– Oui, ils viennent d'arriver. J'allais trouver les autres pour leur dire.
Ils se mirent en route.
– Alors, s'enquit Lulu, comment elle avance ?
– Pas trop mal, autant qu'elle puisse progresser avec un délai aussi court. Mais, mine de rien, ça prend à-peu-près forme. Il y a encore un peu de travail, je ne dis pas qu'elle sera prête en trois jours, mais j'espère que ça suffira.
Ils longèrent le grand couloir, un moment en silence.
– Tu ne crois pas qu'on devrait quand même demander à être présents ? proposa soudain Lulu.
– Pardon ?
– Je veux dire, Lilian aura beau faire tous les efforts du monde, elle ne sera jamais au point en trois jours. Je sais qu'elle a fait des progrès et que sa niaque fera le reste, mais j'ai peur que ce ne soit pas suffisant. Tu ne crois pas qu'on devrait s'inviter, pour pouvoir intervenir, si jamais ça tourne mal pour elle ?
– Et l'empêcher de vaincre Kat toute seule ? Je ne crois pas qu'elle te le pardonnerait, elle est beaucoup trop fière pour ça.
Lulu fit la grimace.
– La fierté, on sait on ça mène, railla-t-elle. Kat a beaucoup plus d'expérience qu'elle, je serais presque surprise que Lilian en sorte entière.
– Et elle le sait déjà, crois-moi. Elle a de l'aplomb, mais elle a conscience des risques qu'elle prend. Je sais que si elle échoue, elle va s'en vouloir jusqu'à la fin des temps, mais je la connais suffisamment pour savoir que même si elle doit échouer, elle veut pouvoir dire qu'elle a fait ce qu'elle a pu, toute seule.
– Oui, je sais, mais...
James l'arrêta d'un geste.
– Écoute, je sais que tu aimes beaucoup Lilian et que tu te fais du souci pour elle, mais c'est son combat, pas le tien. Nous-mêmes, on prend des risques tous les jours, mais ce n'est pas pour autant qu'on aimerait se faire voler la politesse.
– Je sais bien, mais on ne peut pas rester les bras croisés à attendre qu'elle aille au casse-pipe, non plus. Je pensais plus à un truc du genre, la sortir de là si ça se passe mal. Je me doute que Lilian se la réserve et qu'elle n'excusera personne si on y touche...
– Mais... ? l'encouragea James.
– Mais on ne peut pas, ne serait-ce que rester en retrait, pour veiller un peu ? C'est vrai que Lilian se casse le cul comme une folle, mais il y a des chances, aussi, que ce combat se solde par un match nul. Regarde Christel, combien de fois il s'est battu avec Smith sans pouvoir le vaincre ? Si ça se trouve, ce sera une fois de plus. Je veux juste veiller à ce que Lilian ne se fasse pas bêtement battre à plate couture. Si elle est en mauvaise position, on la sort de là, et ce sera pour plus tard.
– Tu sais quoi ? Tu lui poseras la question, c'est tout. Elle décidera elle-même si elle veut que tu assures ses arrières.
Ils passèrent devant la bibliothèque, d'où un jeune homme s'enfuit en courant, alors que la Dame grise hululait plaintivement.
– Encore un nouveau qui n'a pas fait gaffe, râla Lulu. Ils sont chiants, à chaque fois il y en a un pour bousiller un truc. Eh, petit !
L'interpellé stoppa en plein élan et se retourna, le regard incertain.
– Qui t'a dit d'aller saccager la bibliothèque ? lui lança James. Tu veux bien aller là où on t'a dit d'aller ?
– Euh... oui, m'sieur, balbutia le malheureux.
Et il prit ses jambes à son cou.
– Ah, là, là, déplora James, c'est toujours pareil avec les nouveaux.
Ils tournèrent dans un couloir, croisant quelques nouveaux fraîchement débarqués qui se rendaient au point de rendez-vous qu'on leur avait indiqué. Lulu regarda ces pauvres bougres d'un air navré. La nouvelle était tombée quelques jours avant, et avait stupéfait tout le monde : un raid avait eu lieu dans un immeuble de la Cité. En plein milieu de la nuit, pour une raison parfaitement inconnue, une bande de maudits avait infiltré une résidence, la mettant à feu et à sang. Personne n'avait compris ce qui avait pris à ces maudits de franchir ainsi les frontières de la Cité, et cette idée seule n'en était que plus inquiétante. S'agissant de logements d'employés, les secours ne s'étaient même pas déplacés. Mais Christel s'était précipité sur place avec du monde, cherchant les corps des victimes. Et elles étaient nombreuses, personne n'en avait réchappé. Christel avait donc recueilli tous les corps en attendant leur possible renaissance, offrant la protection du repaire à des potentiels relevés qui seraient très certainement bien déboussolés par leur décès aussi soudain que violent.
Ceci expliqua la présence de public dans la salle d'entraînement, quand ils parvinrent à destination.
– La vache, il y en a autant ?
Même James était surpris, il ne s'était pas attendu à ce que les relevés fussent aussi nombreux. Les nouveaux étaient de tous les sexes et de tous les âges. Alignés le long des murs, ils regardaient ce qui se passait devant eux. À leurs côtés, les Dames de Lilian et Christel, qui s'approchèrent d'eux en leur souriant. Celle de Christel mit un doigt sur ses lèvres, leur demandant le silence, puis pointa en direction du centre de la salle.
– Ils sont en train de finir, expliqua-t-elle.
James tourna la tête vers l'espace devant l'assistance, et Lulu grogna.
– Comme d'habitude, il faut qu'il fasse son crâneur, râla-t-elle.
Christel et Lilian, ayant estimé qu'il était temps, avaient mis de côté la théorie pour passer à la pratique. Aussi, devant les nouveaux réunis, s'empoignaient-ils avec force.
Lilian porta un coup que Christel para aisément avant de répondre par un crochet dans le ventre, qui plia la jeune fille en deux. Par réflexe, elle plongea en avant, lui plantant ses deux poings dans l'estomac, le faisant reculer. Elle se redressa et ils se firent face. Christel tenta alors de lui crocheter les jambes, mais Lilian bondit pour éviter son pied qui balaya le sol. Seulement, elle ne put éviter sa main qui se jeta sur son revers et la cramponna. Soulevée du sol, elle lui attrapa alors le bras, et après avoir calé ses pieds contre son adversaire, se libéra d'une détente. Elle bascula sur le sol, roula-boula et se remit sur ses jambes.
James et Lulu se jetèrent un regard. Les Dames gardaient le silence, jaugeant le combat avec des moues appréciatives.
– Elle se défend pas trop mal, jugea Lulu. Ça pourrait être pire.
– Oui, si on veut. Le truc, c'est qu'elle a commencé à cerner la technique de Christel, alors c'est plus facile. C'est toujours un peu brouillon, elle fait encore appel à ses réflexes plutôt qu'à sa stratégie, mais l'essentiel est que ça marche.
– Excusez-moi...
Ils tournèrent la tête. Un petit jeune constellé de taches de rousseur, après un regard incertain vers les Dames, leur désignait les duellistes au milieu de la pièce.
– Oui ? l'encouragea Lulu.
– Vous les connaissez bien ?
– Oui, pourquoi ?
Le rouquin lorgna le combat, impressionné.
– La vache, ils se battent drôlement bien ! C'est comme au cinéma.
– Oui, on peut dire ça. La fille n'est pas encore au point, mais lui est en train d'arranger ça. Et encore, là, il n'est même pas au quart de ses capacités. Il fait le gentil pour la laisser lui en mettre quelques unes.
– Sérieux ?
Lulu lui jeta un coup d'œil blasé.
– Tu ne l'as jamais vu se battre pour de vrai, toi. Attends de voir ça, tu te rendras compte de la différence.
– Il est si fort que ça ?
– C'est l'un des meilleurs, et le plus ancien d'entre nous.
Il se tourna de nouveau vers le combat. Lilian venait de saisir Christel à bras-le-corps et de le renverser par-dessus son épaule. Le jeune homme bascula en arrière, non sans coincer le cou de Lilian dans son bras, la faisant basculer avec lui.
Le rouquin revint à James et Lulu.
– Et ça fait longtemps que vous êtes là ?
– C'est-à-dire ?
– Ça fait combien de temps que... que vous êtes dans ce groupe ?
Lulu se mordit la joue avec contrition, mais James, qui allait répondre, demanda avec malice :
– À ton avis ?
Le visage du pauvre garçon s'allongea d'ignorance.
– Euh... J'en sais rien, moi. Deux ans ? proposa-t-il. Cinq ans ?
Ils le regardèrent, effarés par sa réponse. Même les Dames tournèrent la tête vers lui, ce qui ajouta à la gêne du malheureux.
– Tu es sérieux, là ? se moqua Lulu.
« Un conseil, très cher, ajouta la Dame de Christel, faisant sursauter le rouquin, multipliez donc votre estimation par trois cents ou quatre cents, et vous serez plus juste. »
L'expression du jeune nouveau était indescriptible tant elle frôlait les strates de la stupéfaction.
– Euh... Quoi ? balbutia-t-il, oubliant qu'il se trouvait face à ce qu'il pensait être des fantômes.
James jugea bon d'en rajouter une couche.
– Oui, et tu vois notre chef, là ? Lui, c'est par cinq cents que tu dois faire ta multiplication.
Le rouquin ouvrait et fermait la bouche comme un poisson hors de l'eau.
– Tu as vu ça ? sourit Lulu, désarmante. Plus de mille ans, et toujours en forme !
James lui donna une tape sur l'épaule.
– Prends-en de la graine, jeune homme. Dis-toi que son prédécesseur était encore plus vieux que lui.
Un fracas attira alors leur attention, et le public autour d'eux se raidit. L'atmosphère se tendit brusquement.
– Ah, comprit James, ils sont dans la dernière ligne droite.
Le rythme du combat s'était soudain accéléré. Lilian et Christel se battaient de pied ferme, échangeant leurs coups à une vitesse folle. James aimait assister à ces instants. C'était le moment incroyable où tout allait si vite que le cerveau même n'arrivait plus à suivre, obligeant le corps à agir par pur instinct. À cette phase du combat, les théories de stratégie et d'anticipation ne fonctionnaient plus. Les coups partaient tous seuls. C'était là que l'on se rendait compte si, oui ou non, on savait réellement se battre.
Lilian n'aurait jamais le dessus, James le devinait d'avance. Qu'elle pût vaincre, après deux semaines seulement d'apprentissage, un homme doté de plus d'un millénaire d'expérience comme Christel aurait relevé du pur miracle.
Et son intuition lui donna raison, car après un échange particulièrement tumultueux, Christel saisit la jeune fille et la renversa au sol, avant de se pencher vivement sur elle et de lui planter un bâton, pieu factice, sur la poitrine.
– Tu es vaincue, annonça-t-il simplement.
Un silence total était tombé sur la salle.
Lilian le regarda, puis baissa les yeux sur le faux pieu entre ses seins. Elle sembla se faire violence deux secondes, puis fit mine de redresser la tête avant de la laisser retomber sur le sol avec râle de frustration.
– N'insiste pas, lui dit Christel, tu es morte. Mais tu t'es bien défendue.
– Eh bien voilà, apprécia James.
– Bravo, Lilian ! applaudit Lulu.
Le reste du public lui emboîta aussitôt le pas, et applaudit à son tour. Les Dames s'approchèrent d'eux, satisfaites.
Christel sourit et tendit une main pour aider Lilian à se relever.
– Ne t'en veux pas trop d'avoir perdu, la rassura-t-il, tu t'es quand même bien battue. C'est loin d'être au point, mais tu y arrives.
Puis il leva le visage vers le plafond
– Eh, Vous m'entendez, là-haut ? Vous avez quand même intérêt à lui protéger les miches, ou je vous promets que ça va chier !
– Du Christel tout craché, releva Lulu avec légèreté.
Celui-ci se détourna alors de Lilian et jeta un œil autour de lui, avisant les nouveaux réunis.
– Bien, à vous, maintenant, déclara-t-il en frappant dans ses mains.
Il remarqua James et Lulu dans la foule, leur fit signe d'approcher.
– Tout le monde est là ? demanda-t-il à James.
– Je crois que oui. Je n'en suis pas sûr, je ne m'attendais pas à ce qu'il y en ait autant.
– On fera avec, lui assura son ami.
Puis le jeune homme revint aux nouvelles recrues.
– « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos », commença-t-il. Bon, je ne vais pas aller par quatre chemins. Bonjour, tout le monde. Je m'appelle Christel, et c'est moi qui dirige cet endroit. Seront sous mes ordres et ma responsabilité tous ceux qui décideront de rester ici. Alors, d'abord, première question : savez-vous pourquoi vous êtes là ?
Seul le silence lui répondit, entrecoupé de regards furtifs jetés à droite et à gauche.
– Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez ? leur demanda alors le jeune homme.
Il avançait avec des bottes de scaphandrier, il le savait, mais la conjoncture ne lui accordait pas le luxe de la subtilité.
Une main timide se leva alors.
– Les monstres ? fit une petite voix.
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