Chapitre 51 (partie 2)
Le silence se posa un instant, encore rougeoyant de ses propos. Lilian, James et Lulu le regardaient avec toujours autant de surprise mêlée d'admiration.
Ce fut Lulu qui brisa ce silence la première.
– Waouh..., parvint-elle à articuler.
– Chapeau bas, ajouta Lilian, toute aussi incapable de savoir quoi dire d'autre.
– J'en pleurerais, tiens, s'émut James.
Christel les observa à tour de rôle, goguenard.
– Vous avez fini de vous foutre de ma gueule ?
– Non, sérieusement, Christel...
– Là, chapeau, quoi...
– C'est juste que ça faisait longtemps.
– Enfin, bon retour parmi nous, quoi.
– Vous avez fini, oui ?
La voix de James s'éleva :
– Enfin, quoi, mets-toi à notre place ! Pour nous, Christel, c'était ça.
– Disons, expliqua Lulu, que depuis quelque temps, on avait un peu l'impression de t'avoir perdu.
– C'est pas fini, oui ? Je me sens déjà assez mal comme ça, c'est pas la peine d'en rajouter.
– Mais pourquoi ? s'étonna Lilian. Il n'y a pas de mal à dire ce qu'on pense.
Lulu lui posa la main sur le bras.
– Tu ne l'as pas compris, la détrompa-t-elle. Ce qu'il veut dire, c'est qu'il parlait un peu trop bien à son goût, depuis peu.
– Oh ! Ça veut dire qu'il est guéri ?
– Ou c'est peut-être simplement une crise qui va lui passer.
– Laquelle je prends pour taper sur l'autre ? leur demanda alors Christel.
Les deux jeunes filles se turent.
– Bien, conclut le jeune homme satisfait. Pour en revenir à ce que je disais tout à l'heure, tu penses bien que je me doute que c'est risqué. Il est possible qu'on casse quelques gueules et quelques chaises. Mais tu dois te fourrer dans le crâne que c'est la seule opportunité sûre de l'approcher. On va pas se casser le cul à chercher sa nouvelle planque, ou attendre qu'il fasse disparaître toutes les filles de l'université, non ?
Elle dut admettre qu'il n'avait pas tort.
– Non, c'est vrai...
– Plus tôt on aura agi, mieux ce sera pour tout le monde. Je sais que comme champ de bataille, c'est merdique, mais on n'a pas le choix. Si on ne fait rien maintenant, on court le risque qu'il nous échappe encore une fois, tu comprends ce que je veux dire, maintenant ?
– Oui, je comprends. Mais, si tu as la possibilité de t'introduire, pourquoi tu n'essayes pas de t'introduire plus tôt ? Pourquoi attendre forcément le bal de promo ?
– Grâce aux costumes, on sera plus discrets. Et puis, va-t'en le provoquer pendant une journée de cours. Au moins, ce soir-là, les élèves seront tous au même endroit, et le reste des bâtiments sera vide. Ce sera plus facile.
Pas convaincue, Lulu croisa les bras.
– Moi, je veux bien, mais pendant que vous attendez le grand jour, lui, il est toujours sur place. Dois-je te rappeler que trois autres filles ont disparu ?
– Merci de me le rappeler, mâcha amèrement le jeune homme.
La nouvelle était tombée la veille. Natacha avait appelé dans la matinée avec beaucoup d'appréhension en faisant savoir que trois élèves avaient manqué à l'appel. Ç'aurait pu être une absence comme une autre, sauf que les trois élèves étaient du sexe féminin, et que les parents avaient affirmé avec certitude que leur progéniture avait bien quitté la maison pour se rendre à l'université, ce qui donnait à ladite absence un tout autre sens. Natacha, fidèle à la mission qu'elle s'était octroyée, n'avait pas manqué de relever l'alibi toujours aussi solide de Mr Smith. À ce jour, cela faisait donc un total de sept disparues, sans le moindre indice pour savoir ce qu'elles étaient devenues. La police était sur les dents, la presse également. Avec l'approche des vacances estivales, l'affaire avait de grandes chances de devenir le fait divers de l'été, encore pire que les sagas télévisées. Christel imaginait déjà le suivi acharné par les journaux et le public, avec des accroches dignes de polars, et les prétendues enquêtes journalistiques dévoilées en documentaire à la télévision avec autant de théâtralité qu'un blockbuster au cinéma, bande-annonce dramatique à souhait à l'appui. Malheureusement pour leur précieux audimat, le suspense allait tomber rapidement, le jeune homme s'en faisait la promesse. Les sept disparues ne seraient certainement jamais retrouvées, il savait déjà que c'était trop tard pour elles, mais il n'y en aurait pas une de plus.
Résolu à abréger le programme des soucis passés et présents, il prit les choses en main.
– De toute façon, conclut-il, la sécurité, ça me connaît. S'il y a quelqu'un, je me charge de le faire taire. En attendant, les filles, vous allez arrêter avec votre pessimisme à la con et vous rendre utile. Lilian, tu as à t'entraîner avec James. James, je la veux au point un maximum pour le grand soir. Tu me la fais travailler vingt-quatre heures par jour s'il le faut, mais je veux qu'elle sache se battre. Lulu, lâche-lui la grappe, et toi qui aimes les déguisements, trouve-moi le meilleur costumier capable de nous concevoir les tenues qu'il faut. Si tu as besoin de nos mesures, tu les auras. Pour le reste, tu sais les bidouillages qu'on cherche.
Lulu ne chercha pas à discuter, devinant à l'avance que c'était peine perdue.
– Entendu, concéda-t-elle. Et toi, tu fais quoi ?
– Moi, je donne les ordres.
Il frappa dans ses mains, attirant l'attention de tous.
– Bon, tout le monde. Je sais que je vous en demande beaucoup, surtout toi, Lilian, mais crois-moi, c'est trop important pour laisser la place à la moindre parcelle de hasard. Je veux que tu donnes le maximum de toi-même. N'oublie pas que Kat a plus d'expérience que toi, et qu'elle ne te laissera aucun répit, ni la moindre chance. Si tu la laisses avoir le dessus, n'espère même pas te rattraper. J'ai eu trop souvent affaire à des spécimens comme elle pour savoir qu'elle ne sera pas aussi magnanime que James. Elle te mettra en charpie dès qu'elle en aura l'occasion. Tu comprends ce que je veux dire ?
La jeune fille hocha la tête. Elle comprenait. Christel avait quatorze perforations dans la poitrine pour le lui rappeler.
– Bien, à partir de cet instant, vous devez tous être concentrés sur ces préparatifs. N'oubliez pas qu'il ne reste que deux semaines. Donnez le meilleur de vous-même, et il n'y a aucune raison que ça ne marche pas.
*
Contrairement à ce que Lulu avait cru au départ, Christel ne resta pas les bras croisés à donner des ordres comme il l'avait dit. Conscient de sa mission et de son rôle de Doyen, il n'oublia pas la promesse qu'il avait faite de donner à Lilian toutes les armes qu'il possédait pour l'aider à vaincre Kat. Ainsi, parallèlement aux leçons d'escrime de James, il lui enseigna les rudiments du corps-à-corps qu'il savait importants pour la confrontation à venir, sachant les prédilections de l'adversaire pour le combat à mains nues.
– La force ne te posera pas de problèmes, lui enseigna-t-il, car tu l'as naturellement. Ne commence pas à me demander comment ça se fait ou comment ça marche, l'essentiel, c'est de l'avoir. Pour le reste, c'est de la stratégie. Tu dois savoir anticiper l'attaque de l'adversaire tout en prévoyant le coup que tu vas porter par la suite.
La jeune fille savait déjà ça.
– C'est exactement ce que James me dit.
– C'est parce que c'est la même chose. Que l'on se batte avec une épée, ses poings ou une tête nucléaire, il faut toujours essayer de prévoir la réaction de l'adversaire afin de savoir comment agir par la suite. Un combat, en réalité, ce n'est qu'une immense réaction en chaîne.
Lilian leva un doigt timide avec une petite mimique désolée.
– Euh... juste une question. James m'en a déjà touché deux mots, mais je n'ai jamais compris : comment on arrive à anticiper l'attaque de l'adversaire ?
Christel sourit de son ignorance. Il savait qu'un jour ou l'autre, elle allait se décider à poser la question.
– Techniquement, on appelle ça l'instinct, expliqua-t-il. Certains, comme moi, ont suffisamment d'expérience pour s'y fier. Les moins aguerris, comme toi, doivent se baser sur la gestuelle de l'adversaire. James a certainement dû t'apprendre qu'en escrime, il ne faut jamais se fier au déplacement de son corps, mais à celui de sa lame. Ici, c'est pas pareil. Le problème du combat à mains nues, c'est qu'il fait appel à toutes les parties du corps. Tu dois surveiller aussi bien ses bras que ses jambes. Tu dois être très attentive à ses amorces. Si ton ennemi frappe, tu n'as qu'une minuscule fraction de seconde pour réagir. Mon but, c'est t'apprendre à cultiver tes réflexes. À peine tu as paré l'attaque de l'autre, que ton coup doit partir direct, pour tout de suite parer à nouveau. Des fois même, les coups se télescopent. Tu as déjà eu l'occasion de te battre, tu sais comment ça se passe. Pourquoi j'insiste autant sur le sujet ? C'est parce que celle contre qui tu vas te battre n'a rien à voir avec les spectres qu'on a chassés au cimetière. Elle est forte, elle est douée, et a beaucoup plus d'expérience que toi. Disons que tu passes à un niveau largement supérieur. C'est plutôt ambitieux.
Elle haussa les épaules, peu impressionnée.
– Ambitieux ou pas, je m'en tamponne, affirma-t-elle. Je veux seulement lui faire la peau.
Christel se cura tranquillement un ongle.
– Oui, je sais ça. Beaucoup de gens le savent, d'ailleurs. Tu sais que les paris sont ouverts ?
Elle fronça les sourcils.
– Les paris ? Quels paris ?
– Ben, les paris, cocotte ! Tu crois quoi ? Tout le monde sait que ça va bastonner, entre toi et Kat. La cote est assez élevée, d'ailleurs.
Et il disait ça en souriant, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Lilian resta la bouche ouverte, stupéfaite. Elle avait du mal à comprendre.
– Attends, tu veux dire que tout le monde sait qu'on va se battre ?
Christel échangea un regard amusé avec les deux Dames qui assistaient silencieusement au cours. Celle de Lilian sourit doucement.
« À la décharge de tout le monde, vous ne vous en êtes jamais vraiment cachée. Alors, oui, ça a fatalement fini par se savoir. »
– Alors, tout le monde sait pour notre intrusion à l'université ?
– Ne donne pas à ces flambeurs plus de pouvoir qu'ils n'en ont. Mais le bruit a couru, comme quoi tu avais promis de lui faire la peau, alors voilà.
Elle en papillonna de surprise. Encore quelque chose qu'elle apprenait sur son nouvel environnement. Ainsi donc, les maudits faisaient des paris sur les traques ?
– C'est comme parier sur les matchs de foot ou les courses de chevaux, expliqua Christel. Si ça peut te rassurer, j'en ai un qui court sur moi et Smith. Ça fait même longtemps qu'il traîne, d'ailleurs.
Elle n'en revenait pas. Des paris ? Elle avait entendu parler des combats illégaux, dans lesquels tous les coups étaient permis, et qui donnaient lieu à des paris insensés mettant en jeu des centaines de milliers de dollars, mais jamais, depuis qu'elle fréquentait ce monde, elle n'avait entendu dire que cette pratique se faisait également chez eux.
« Beaucoup n'ont jamais demandé à être ce qu'ils sont devenus, justifia la Dame de Christel, alors, il faut bien qu'ils passent le temps. »
Devant leur air blasé, elle renonça à les convaincre de l'absurdité de la chose. Donc, un pari était ouvert sur son duel avec Kat. Pourquoi pas ?
– Où en est le pronostic ? demanda-t-elle par simple curiosité.
Il eut une moue d'ignorance.
– Je ne me suis pas renseigné, mais je pense qu'au vu des derniers scores, il doit être à l'avantage de Smith. Et ça ne me surprendrait pas, car effectivement, il a actuellement l'avantage.
– Et moi ? C'est quoi, mon pronostic ?
– Tu veux vraiment le savoir ?
Elle grimaça.
– C'est Kat qui a l'avantage, pas vrai ? devina-t-elle.
Il se gratta la nuque.
– Eh bien, du fait de ses antécédents et de son expérience, oui, elle est donnée favorite.
Lilian hocha la tête avec une moue indiquant qu'elle avait reçu le message et compris le problème. Elle frappa alors son poing, faisant craquer ses jointures.
– Bien, je crois que je sais ce qu'il me reste à faire, alors.
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