Chapitre 5 (partie 2)


Sans manifester le moindre malaise, Constantine se releva tranquillement puis récupéra l'épée tombée au sol, alors que la foule autour d'eux réagissait avec enthousiasme.

Lilian, qui s'était éloignée de la rixe, s'approcha alors avec le sac de Constantine dans les mains, et les gens commentaient avec animation ce à quoi ils avaient assisté.

– C'est à se demander pourquoi on a un service de sécurité, jugea-t-elle en œillant le corps de Kahrma étendu sur le gazon.

Mais Constantine tendit brusquement le bras dans sa direction, l'obligeant à s'arrêter.

– Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?

Remarquant qu'il marchait vers Kahrma, elle suivit son regard.

Laissant la foule bouche bée et pétrifiée d'horreur, Kahrma recommença alors à bouger. Le cou raidi, il se redressa et pencha la tête de droite à gauche. Dans un nouveau craquement, ses cervicales se remirent en place. Il jeta à Constantine un regard hargneux dépourvu de toute affection.

– Salopard, râla-t-il, tu vas me payer ça.

– Envoie-moi la facture, sourit le jeune homme pour toute réponse.

Il leva l'épée et, d'un geste fluide, l'abattit avec un sifflement métallique.

La foule poussa de nouvelles exclamations, Kahrma hurla, et la moitié de son bras valide tomba au sol avec un bruit mat.

– Oups ! s'excusa Constantine. Désolé, je suis d'une maladresse épouvantable.

Kahrma regarda désespérément son moignon. Il poussait des grognements sourds, soulignant son expression affolée. Il ne ressemblait plus à un homme dangereux, mais à un animal peureux. Le toisant de toute sa hauteur, Constantine leva alors à nouveau l'épée et en posa le tranchant sur la gorge de Kahrma.

– C'est dommage pour ce crétin d'Alistair, lui dit-il en guise d'oraison funèbre. Il ne verra jamais la couleur de l'argent que tu lui dois.

Il leva son arme, prêt à le décapiter.

– Il va le tuer ! piaffa une voix impatiente.

– Attends !

Constantine interrompit son geste et se retourna : Lilian lui désignait les agents en uniforme qui s'étaient joints à la foule impressionnée par le spectacle.

– Tu ne veux vraiment pas les laisser s'en charger ?

Sans égard pour la réponse de Constantine, Kahrma lui décocha son pied dans le ventre, propulsant le jeune homme en arrière et le faisant s'écrouler à terre. Quand il redressa la tête, Kahrma prenait ses jambes à son cou à travers la pelouse, chahuté par les élèves qui le houspillaient. Les agents levèrent leurs armes, mais ils ne pouvaient se résoudre à tirer : trop d'élèves dans le champ.

Furieux, Constantine se releva et ramassa l'épée. Lilian était debout devant lui, la mine crispée par sa bévue.

– Bordel de merde, mais de quoi je me mêle ? fulmina le jeune homme contrarié.

– Tu es au courant que ce n'est pas ton travail, n'est-ce pas ?

Constantine se contenta de lui jeter un regard condescendant. Puis il leva l'épée et la lança.

L'arme tourbillonna droit devant elle avec un sifflement, et Kahrma n'eut pas la chance d'aller plus loin. La lame se ficha dans son dos, le transperça de part en part et le cloua à une poubelle. La douleur le traversa de la tête aux pieds et il hurla à nouveau.

Constantine alla tranquillement vers lui, passant devant les élèves captivés par le spectacle qui se hâtaient d'immortaliser la scène.

Remuant en vain ses moignons inutiles, Kahrma gémissait sous le feu de sa blessure, alors que la poubelle endommagée émettait un bip plaintif. Bonne âme, Constantine lui arracha l'épée du corps, et le malheureux s'écroula sur le sol.

– Bon, reprenons...

Résigné, Kahrma comprit qu'il était perdu. Il leva ce qui lui restait de bras, invitant au coup fatal.

– C'est bon, vas-y, hoqueta-t-il. Allez, néantise-moi.

– Je n'aurais quand même pas la mauvaise idée de te tuer devant tout le monde, ironisa Constantine, lui retournant ses propres mots à la figure.

Kahrma sentit son fatalisme mourir au fond de lui.

– Non, bien sûr..., mâcha-t-il.

– Alors, allons-y.

Constantine l'attrapa par un pied et le traîna ailleurs, à l'abri du maximum de regards. Une nuée d'élèves lui emboîta aussitôt le pas, frétillant d'excitation et prêts à prendre la vidéo du siècle, mais les hurlements furieux et très colorés de Constantine les firent battre en retraite.

Lilian le regarda s'éloigner le cœur serré, alors que les autres élèves manifestaient leur déception. Elle savait qu'il allait le tuer, elle regrettait juste comme ses camarades de passer à côté d'une exécution si peu protocolaire. À l'épée, voilà qui était en effet inhabituel. Et cinq minutes plus tard, Constantine revenait seul avec l'arme, rajustant dans son étui le vieil ouvrage de cuir qu'il ne quittait jamais.

– Tu aurais quand même pu nous en faire profiter, ronchonna Lilian en lui rendant son sac.

– Il n'en valait pas la peine, répondit le jeune homme avec mépris.

Il suspendit son sac à l'épaule et allait pour partir, mais sembla soudain se souvenir de quelque chose.

– Ah, au fait, j'y pense.

– Quoi donc ?

– Pour ton invitation...

Elle hocha la tête d'un air entendu. Ça lui était un peu sorti de l'esprit, à elle aussi.

– Très juste.

Constantine regarda les élèves autour d'eux.

– Je ne vois pas du tout en quoi on s'emmerde, dans ce putain d'établissement, mais bon, si ça peut te faire plaisir...

Lilian comprit tout de suite, et cela suffit pour la revigorer.

– Alors tu veux bien ? comprit-elle avec un sourire.

Il eut une moue encourageante.

– Pourquoi pas ? Je te vois demain pour qu'on discute d'une date ? lui proposa-t-il.

Elle hocha la tête.

– D'accord.

Un agent s'avança alors, désignant la direction dans laquelle Constantine avait emmené Kahrma.

– Excusez-moi, demanda-t-il, mais pouvez-vous nous dire où vous avez laissé le corps ? Nous n'arrivons pas à le retrouver.

Constantine le toisa avec dédain.

– Quoi, vous voulez que je prenne la peine de me souvenir d'où j'ai laissé ce moins que rien ? Débrouillez-vous, mon vieux !

L'éclat de rire de Lilian fut la seule réaction qu'il obtint. L'agent baissa la tête en soumission et s'éclipsa. Constantine fit signe à Lilian, puis s'éloigna. Il marcha jusqu'au bout du bâtiment, tourna l'angle et disparut.

*

« Je peux me tromper, mais il m'avait pourtant semblé que tu avais reçu des consignes assez claires sur cette question. »

Constantine leva les yeux sur la Dame et remarqua son air désapprobateur. Il le chassa par un geste désinvolte.

– Le Doyen n'est pas mon père, bon Dieu ! Depuis quand j'ai besoin de son autorisation pour tirer un coup ?

« Tu en aurais pourtant bien besoin. Tu as déjà accroché la moitié de ses camarades à ton tableau de chasse, qu'est-ce que cette demoiselle peut bien avoir de plus ? »

– Rien, justement. C'est plus drôle comme ça.

La Dame se pinça le nez entre le pouce et l'index.

« Tu as de la chance que je sois immatérielle, Christel, sinon il y a longtemps que je t'en aurais collé une. »

– C'est très juste. Parce que si vous aviez pu me coller tous les pains que vous aviez voulus, je serais mort.

« Je n'arrive pas à croire que tu t'en réjouisses. »

– « Je le répète, réjouissez-vous », Constantine se contenta-t-il de répondre.

Il se tut alors et s'éloigna sur l'avenue chahutée par la circulation. Un couple passa, traînant dans son sillage l'employé chargé de leurs sacs de shopping. Il leur renvoya leur regard méfiant. Un éboueur robotisé lessiva son chemin en zonzonnant doucement. Un écran, non loin, vantait le dernier blanchisseur de peau pour bébé.

Autour de lui, tout n'était que panneaux publicitaires démesurés, entreprises, bourses, banques, grands magasins, appartements de luxe, dans d'immenses édifices de verre et de métal aux designs fluides et avant-gardistes. La Cité, telle qu'elle était appelée, n'avait pas vocation à être un havre de paix. Elle n'était qu'un gigantesque Times Square, vrombissant jour et nuit sans discontinuer des flots incessants de sa population. La Cité ne dormait jamais. Elle travaillait inlassablement, au rythme des changements d'équipes et des spots publicitaires sur écrans géants qui lavaient le cerveau de ses habitants.

Constantine se souvenait un jour avoir vu un très vieux film, de la belle époque où le cinéma était encore joué par des acteurs. Minority Report. Les affiches qui s'animaient, vous identifiaient et vous interpellaient pour vous vendre des voyages ou le dernier dentifrice. Voilà ce que ce monde était devenu.

Les gens auraient pourtant dû la voir venir. Elle n'était pas apparue subitement, telle quelle, comme une déferlante apocalyptique. Elle était venue petit à petit, toujours plus élaborée, avec ses lots de promesses, et les gens l'avait accueillie à bras ouverts. Et, insidieusement, la Singularité technologique s'était mise en marche, un pas chaque fois plus rapide que le précédent, prête à toujours aller plus vite, toujours plus loin, et à laisser l'Homme derrière elle. Mais c'était sans compter sur cet Homme, justement, qui avait mis le holà à son avancée. Était-ce de l'arrogance, de la prudence, ou un peu des deux ? Toujours est-il qu'elle s'était retrouvée face à du monde qui n'avait pas du tout l'intention de la laisser filer comme ça. Bridée, la Singularité avait bien été obligée de se mettre au diapason, distribuant ses richesses à une civilisation bien motivée à aller aussi loin qu'elle. Qui avait gagné, à la fin, la question était longtemps restée en suspens. Puis elle avait fini par être proprement oubliée. Car plus les Hommes avançaient, plus ils devenaient fous.

À l'avènement de la Singularité, voilà quelques siècles, on avait naïvement pensé qu'elle servirait à régler les problèmes. On imaginait volontiers un toit pour chacun, la fin de la famine, une meilleure préservation de la faune et de la flore, des machines toujours plus perfectionnées, une science toujours plus exacte, une médecine toujours plus pointue et des solutions toujours plus efficaces. On imaginait un air plus pur, l'Homme sur Pluton, la paix dans le monde. Mais il y avait une considérable distance entre idéal et réalité. Les scientifiques étaient peut-être pétris de bonnes intentions, mais le commun des mortels n'avait pas pour souci premier le sauvetage de l'Amazonie ou l'exploration des trous noirs. Ce n'était pas comme si les vagues gravitationnelles avaient changé le cours de leur vie. Le commun des mortels voulait de la technologie dernier cri, le dernier smartphone, le dernier home-cinéma, toutes les promesses offertes par la réalité augmentée. Le commun des mortels voulait un quotidien plus pratique, plus confortable, quelque chose à leur portée. Les industriels avaient bien compris ça, et cette technologie qui devait voir plus loin n'avait alors fait que se multiplier sur place, se répandant de science à appareil, donnant au commun des mortels exactement ce qu'il voulait. À la fin, les entreprises ne faisaient plus que créer les nouveaux gadgets à la mode les uns après les autres, et si la « gelée grise » avait finalement bien eu lieu, ce ne fut pas de la façon dont les mathématiciens l'avaient imaginée. Ils s'étaient attendus à une vague de robots sur le monde, ce fut une vague de folie et de désespoir. Le désespoir avait finalement possédé les cerveaux qui réclamaient toujours plus pour rester dans la course, toujours plus de cuisines intelligentes, toujours plus d'hologrammes qui permettaient de travailler sans quitter son fauteuil, et si les voitures ne volaient pas encore, c'était parce que les constructeurs ne cessaient de s'intenter mutuellement des procès en prétendant chacun avoir eu l'idée le premier. La Singularité technologique semblait l'avoir un peu emporté, après tout. Elle avait frappé son premier coup.

Mais cette course à l'équipement avait malheureusement un coût. Le prix du high-tech s'était envolé, endettant les uns et remplissant les poches des autres. L'équilibre social s'en était retrouvé complètement déstabilisé, les riches devenant plus riches et les foyers moyens plus pauvres. Alors que les gens se retrouvaient bientôt acculés aux dettes et au chômage, la folie du progrès avait poussé comme un monstrueux champignon, la déflagration envahissant les domiciles, les rues, les espaces publicitaires. Ceux qui avaient les moyens de se l'offrir avaient vite compté parmi l'élite, les autres étaient devenus une plèbe dont même les gouvernements ne voulaient plus entendre parler. Ils étaient pauvres, n'étaient pas rentables, sinon en main-d'œuvre pour les enrichir davantage. Les politiques avaient bien vite compris où était leur intérêt. Qui donc se souciait de socialisme devant de si satisfaisants comptes bancaires ? Pendant ce temps, des pâtés entiers de maisons étaient rasés pour mieux construire bureaux, appartements de luxe, affichage en grand large, chassant des familles entières dans les banlieues au profit de dynasties plus aisées. La Singularité avait frappé son deuxième coup, et elle avait frappé le troisième quand avait été démoli le premier lieu de culte.

Dans le fond, ça n'avait jamais été qu'une question de temps. Les conflits grandissants avaient eu raison de la patience du monde moderne. Il en avait eu assez de payer le prix de l'aveuglement acharné de fanatiques sectaires. Il en avait eu assez de se lever le matin pour apprendre le dernier attentat perpétré. Il avait fini par mettre le holà. Il avait dit stop. Le monde moderne avait atteint ce moment-clef où il abandonnait la croyance pour le savoir, il refusait de se laisser marcher sur les pieds par des idéaux surannés. Il avait maintenant les moyens de se défendre, de se protéger. Il avait donc fait le ménage dans ses populations et fermé ses portes. Si les extrémistes voulaient semer la terreur, ils ne le feraient pas ici. Pour passer les frontières, désormais, il fallait répondre à de nombreux critères, et ils étaient exigeants, les critères, mais c'était le prix à payer. Entre la liberté et la sécurité, il y avait parfois des sacrifices qui se justifiaient. Il était revenu aux gens de s'adapter ou de partir. Certains pays avaient entériné la laïcité, d'autres avaient entériné la religion unique. Mais ce faisant, ils avaient signé à la spiritualité son arrêt de mort. La religion, en devenant une modalité, n'était plus un signe intérieur d'identification, mais un signe extérieur d'appartenance. Elle était devenue élitiste, commode. De « religion », elle était devenue une sorte de « religionisme » personnalisé, une sorte de prétexte pour se donner bonne conscience. « Tu ne tueras point », rappelait-on aux criminels avant de les condamner à mort. « Créer et procréer », minaudait-on devant les portes fermées des plannings familiaux en allant acheter ses contraceptifs. Dans le nouveau monde moderne, la spiritualité n'était plus qu'une norme socialement obligatoire, une sorte de condition requise. Et les lieux de culte, un gaspillage d'espace libre.

Constantine marchait dans la rue en pensant à cette époque. Il pensa aux nouveaux ordres sociaux qui s'étaient mis en place, petit à petit, au gré des élections, des votes et des tendances, avant de s'engrener en habitude et de devenir la norme. Le monde moderne s'était enfermé dans une bulle, à l'extérieur de laquelle plus rien n'existait. Constantine avait régulièrement en tête l'image de ces réfrigérants à boules, utilisés en chimie. Le monde moderne était ces boules communiquant entre elles, et le reste du monde était l'espace autour, tenu à l'écart. La transition avait pourtant eu des gens pour protester, et ils avaient protesté fort, ils avaient protesté longtemps. Mais les nouveaux puissants tenaient plus que tout à leurs nouveaux privilèges, et ils avaient des armes contre lesquelles le commun des mortels ne pouvait pas lutter. Ils avaient de l'argent, et du pouvoir. Ils avaient eu vite fait de museler les mécontents. À sa façon, la Singularité avait finalement gagné. Et la Cité, ainsi que toutes ses sœurs de par le monde, en était le regrettable fruit.

Constantine quitta maintenant les grands axes pour se diriger vers la Ceinture. Les immeubles devinrent moins imposants, plus décrépis. Des fenêtres étaient brisées, remplacées par des planches ou du carton. Les trottoirs se jonchèrent de débris et de clochards. Des sans-abris se réchauffaient comme ils pouvaient autour de feux allumés dans des bidons, et les prostituées faisaient le pied de grue un peu partout, dans une ambiance glauque et dépravée qui rappelait la Vieille Ville de Sin City. Il y avait des tags partout, une bande de quartier désœuvrée stagnait devant la miteuse et unique épicerie du coin. On était là dans la zone « pauvre » de la ville, la zone des laissés pour compte, des protestataires, de ceux que la Singularité technologique avait accepté de garder mais avait abandonnés. Les « parias », les nantis les appelaient-ils, avec un mépris tel qu'ils leur refusaient jusqu'à une distinctive majuscule. Avec un mépris tel qu'ils leur refusaient jusqu'au droit de marcher parmi eux. Combien en avait-il vu nettoyés pour le simple crime de ne pas être de leur monde, abattus avec la bénédiction d'une société qui ne voulait pas voir ne fût-ce que leur ombre ? Il avait plus d'une fois assisté à ces exécutions sommaires, souvent en plein milieu de la rue, applaudies par des témoins reconnaissants. Kahrma n'était qu'un de plus. Un convoi partait ensuite tous les mois abandonner les corps au bord de la Ceinture, pour les autres « parias » qui venaient les récupérer. Et quand ils n'étaient ni tués, ni rendus, ils disparaissaient. C'était le pire scénario, celui qui donnait les sueurs les plus froides, car sur ces disparitions planait le terrifiant spectre des recherches sur le transhumanisme. Les familles attendaient alors bien souvent un proche qu'ils ne reverraient jamais.

La Ceinture empestait la résignation et le silence. Ici, il n'y avait ni vie, ni avenir, les gens se laissaient vivre, conscient que chercher à améliorer l'ordinaire ne menait nulle part. C'étaient maintenant des zones de non-droit, où il n'y avait ni police, ni justice. Les gens faisaient la loi eux-mêmes, se débrouillaient, bricolaient pour survivre. C'était le paradis des préteurs sur gage véreux, des boutiques d'occasions et du système D. On squattait, on braquait les commerces du coin. Bref, on faisait ce qu'on pouvait.

Constantine se dirigea sans s'arrêter vers une petite boutique de dépannage tenue par une amie. Scarlet était son joli nom. Transsexuelle incomplètement transitionnée, aussi lesbienne qu'il était possible de l'être, elle se faisait pourtant un point d'honneur à tenter d'accrocher Constantine à son palmarès, « pour la science », disait-elle. Mais le gentil Constantine ne s'était jamais résigné à ce sacrifice, toute belle femme fût-elle, refusant de copuler avec cette « parfaite erreur de la nature », ainsi qu'il la taquinait.

Quand il entra, elle bricolait un vieux lecteur Blu-ray. Elle leva les yeux de son ouvrage et son visage s'éclaira quand elle reconnut son client.

– Salut, Christel ! Déjà fini les cours ? Tu as du temps à me consacrer ? enchaîna-t-elle, fidèle à elle-même.

Le jeune homme refusa sa proposition d'un geste de la main.

No way, blagua-t-il. Je dois garder des forces pour plus tard.

– Encore une jouvencelle ? devina son amie.

Il n'y avait décidément plus qu'elle pour employer un terme aussi désuet que jouvencelle.

Devant son silence révélateur, elle fronça le nez.

– Fais gaffe, sinon le Doyen va réclamer ta tête.

– Ah, je l'emmerde !

Scarlet eut un geste évasif.

– Pour ce que j'en disais... Tu veux entrer ?

– Je t'en prie.

Elle s'écarta, le laissant pénétrer dans l'arrière-boutique. Là, une porte cachée le conduisit dans un grand hall.

Il commençait déjà à y avoir du monde. C'était l'heure où les collègues se rassemblaient pour profiter des derniers tuyaux en date sur les mouvements suspects, en prévision des rondes de cette nuit.

Quand il posa le pied sur le marbre du sol, il se sentit beaucoup plus serein. L'atmosphère des lieux avait su garder son authenticité et son histoire, contrairement à l'extérieur, et c'était ce qui comptait le plus à ses yeux. Il aimait cet endroit plus que tout au monde, c'était le seul où il se sentait véritablement chez lui.

Alors qu'il se dirigeait vers son quartier, il se souvint alors de ce qui l'avait inconsciemment interpellé lors de sa confrontation avec Kahrma. Quelque chose l'avait gêné, pendant ce combat, et il n'avait pas réussi à mettre le doigt dessus. Ç'avait été comme une pensée importante qui lui avait titillé le bout de la langue.

Kahrma. Bien que sévèrement blessé, avec notamment un bras sectionné, Kahrma n'avait pourtant pas saigné. Il se rappelait, maintenant. Il pouvait encore dissimuler le bris de ses cervicales en affirmant qu'il ne les avait pas vraiment brisées. Tout au plus un peu coincées. Mais en dépit de l'état dans lequel il avait fini par se trouver, Kahrma n'avait pas perdu la moindre goutte de sang. Et il était en public, avec des témoins pour le voir et enregistrer la scène. La vidéo était très certainement déjà sur internet, rangée dans des catégories allant de divertissement à trop cool. Et il ne miserait pas trop sur le crétinisme général, il y en aurait forcément un pour remarquer l'anomalie. Il en connaissait un qui n'allait pas aimer ça.

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