Chapitre 49 (partie 1)
La nouvelle, bien que consternante, avait une explication très simple.
Ce fut Natacha, jointe en catastrophe par Lilian, qui donna sans protester les détails de l'affaire malgré l'heure extrêmement tardive, mais non sans inquiétude.
– Je t'assure, moi-même je n'ai pas compris d'où ça venait, expliquait-elle au téléphone. La nouvelle est tombée comme ça, pouf !
– Mais qu'est-ce qui s'est passé, exactement ? insista Lilian.
– En fait, je ne sais pas pourquoi, c'est le juge qui a prononcé un non-lieu à l'encontre de Mr Smith.
– Quoi ?
– Ben oui, le juge, dans la soirée, a ordonné à la police de cesser son investigation contre lui, comme ça.
– J'ignorais qu'il y en avait toujours une, s'étonna Lilian.
– Moi aussi, honnêtement. Après tout ce qui s'était passé, je m'attendais aussi à ce qu'ils classent l'affaire, pour la peine. Mais non, l'information est tombée dans la soirée, comme quoi Mr Smith n'était plus suspect dans l'enquête.
– Avec tout ce qu'ils ont, ils ont quand même trouvé le moyen de lever les charges contre lui ? Et ton témoignage, alors, ça ne leur a pas suffi ?
– Apparemment non. Je te le répète, je n'en sais pas plus que ce que j'ai appris aux informations. Mr Smith est libre, point. J'ai quand même contacté la brigade pour savoir ce qui s'était passé, rapport à mon témoignage, justement, mais on m'a répondu que ma déposition n'existait pas. Tu entends ça ? Je me souviens parfaitement du jour où je l'ai déposée, je me souviens même du capitaine à qui je m'étais confiée. Mais voilà, ces messieurs me sortent que cette déposition n'existe pas dans le dossier ! Tu y crois, toi ?
Lilian fit la grimace.
– J'y crois... Ça ne me surprend pas.
– Tu penses que Mr Smith aurait convaincu le juge de le laisser tranquille ?
La jeune fille dut se retenir de rire. Elle était bien naïve si, à ses yeux, Smith n'avait fait que « convaincre » le juge.
– C'est une éventualité, concéda-t-elle néanmoins. En tout cas, ça ne me surprendrait pas non plus.
– Qu'est-ce qu'on fait, alors ?
La question se posait effectivement. Si Smith était de retour à l'université, c'était qu'il avait un intérêt là-bas. Le seul problème était qu'elle et Christel n'avaient plus le même accès à l'établissement. Seule restait Natacha, dont l'obligeance fluctuait cruellement en fonction des événements
– Rien du tout, répondit alors Lilian. Toi, en tout cas, tu ne fais absolument rien.
– Et vous, alors, vous allez faire quoi ?
Lilian n'en savait rien.
– Aviser, répondit-elle néanmoins. Il nous faut un plan, on ne peut pas débarquer comme ça.
– Alors ? s'enquit Christel après que la jeune fille eut coupé la communication.
Elle eut un sourire maussade.
– Libre à toi de me croire, mais les charges contre lui ont été levées, annonça-t-elle.
Les autres la regardèrent avec des yeux ronds.
– Sérieux ? fit James, estomaqué. Comment il a fait ?
– Décision du juge. Elle est tombée dans la soirée. Natacha pense que Smith serait allé le « convaincre ».
– Évidemment, ricana James avec cynisme.
Personne n'avait le moindre doute sur les arguments que Smith avait dû user pour « convaincre » le juge.
– C'est quand même dingue, s'en étonna-t-il néanmoins. Ta copine, là, elle n'avait pourtant pas témoigné contre lui ?
– Si.
– Et malgré ça, ils ont trouvé le moyen de le relâcher ? Même si l'appartement n'était pas à son nom, qu'il avait pris la place d'un autre, malgré tout ça, ils l'ont relâché ?
– Oui.
– Et c'est normal, ça ?
– Dans la mesure où Smith a usé d'arguments imparables en ce sens, oui.
James laissa tomber.
– Je ne comprendrai jamais votre monde, pesta-t-il.
– N'essaye même pas, lui conseilla Lilian. Laissez tomber vos notions de preuves matérielles, de témoignages ou autres, ça ne marche pas comme ça. Dès qu'un suspect dispose d'un moyen de se soustraire à des preuves pourtant évidentes, ce n'est même plus la peine d'espérer. Regarde, même le témoignage de Natacha est passé à la trappe !
– J'en connais un, de capitaine, qui va devoir se trouver de nouveaux amis, railla Christel.
– Et tu as l'intention de cautionner ça ? ragea James. Le sale type qui a fait assassiner tes parents s'en sort comme une fleur, et pour toi, c'est normal ?
Elle soutint son regard.
– Que je trouve ça normal ne veut pas pour autant dire que je laisse tomber, cingla-t-elle.
Lulu mit ses poings sur ses hanches.
– Tout ça, c'est formidable, ironisa-t-elle, mais s'il est là-bas, comment vous allez faire pour l'atteindre ?
Ce qui était une excellente question. Il serait certainement difficile pour Christel d'y retourner, et Lilian encore plus.
– Essayer de l'atteindre à l'université serait trop risqué du fait que j'y serai fatalement surveillée, réfléchit-elle à voix haute. Mais il doit certainement avoir un nouveau point de chute en ville. C'est obligé, s'il doit justifier d'une adresse et d'un numéro de téléphone.
– Moi je veux bien, grimaça Lulu, mais si la seule façon que vous aurez de l'atteindre sera de faire le poireau toute la journée jusqu'à ce qu'il se décide à foutre le nez dehors, ça va être gai.
– Et ce garagiste, se souvint Lilian. Teddy, c'est ça ? Il ne le saurait pas, lui ?
Mais Christel secoua la tête.
– Déjà, ce n'est pas sûr qu'il sache quelque chose, et puis, je lui ai déjà fait prendre trop de risques comme ça. Qu'il parle une fois, ça va, mais deux fois, c'est un homme mort. Et la comtesse va m'arracher les ongles si je fais buter son garagiste.
Lulu tapa alors dans ses mains pour monopoliser l'attention, et tous se tournèrent vers elle.
– Tout ceci est fort intéressant, déclara-t-elle, mais ça ne vous dit toujours pas comment vous allez vous y prendre pour remettre la main sur Smith.
Ils durent admettre qu'elle avait raison.
– Il va falloir qu'on planche sur une stratégie, décida Christel. Et très vite, car son retour à ton université ne me dit rien qui vaille. Je ne serais d'ailleurs pas surpris que Kat revienne aussi.
Lilian approuva, prête à passer à l'action, et James jeta un regard navré sur la devanture du restaurant.
– Je suppose que ce n'est même plus la peine d'espérer prendre un deuxième dessert..., regretta-t-il.
*
Deux jours après, Natacha rappela, affolée.
La nouvelle venait tout juste de tomber, elle ne disposait donc de pas plus d'éléments, mais l'information en elle-même eut le mérite d'angoisser Lilian de façon exponentielle.
En un seul après-midi, deux élèves de l'université avaient disparu. Deux filles.
Leur absence le jour-même n'avait été remarquée par personne, ce que Lilian crut bien volontiers. Combien de fois, après tout, avait-elle elle-même séché les cours ? Ça avait seulement été quand elles ne furent pas rentrées chez elle, et que leurs parents eurent passé la nuit à téléphoner aux proches et aux amies pour se rendre compte qu'elles n'étaient nulle part, que l'inquiétude était née.
En vertu de la loi sur la liberté de circuler, la police n'avait au départ rien voulu faire pendant les 24 heures qui devaient suivre la disparition, puis, constatant que les parents étaientdisposés à leur proposer d'avantageuses liquidités, s'était décidée à lancer un avis de recherche. La presse s'était emparée de l'affaire et, dès le lendemain, la disparition des deux élèves faisait la une des journaux.
– Il a pas perdu son temps, l'enfoiré, ragea Christel quand il eut appris la nouvelle.
Lilian était toute aussi catastrophée que lui. Après tout, les deux disparues étaient quand même de son université.
– Qu'est-ce qu'ils en disent, là-bas ? demanda la jeune fille à Natacha au téléphone. Ils pensent à quelqu'un en particulier ?
– Pour ma part, j'ai trouvé curieux que ces deux filles disparaissent comme ça, juste après que Mr Smith soit revenu, répondit-elle, mais je dois sans doute être la seule à le penser. Tu sais tout aussi bien que moi comment ça marche.
Lilian ne pouvait plus supporter cette façon de penser. Les pots-de-vin, la crédulité des gens... Depuis qu'elle côtoyait Christel, ces pratiques la hérissaient. Et d'autant plus, aujourd'hui, que ces imbéciles avaient devant eux un suspect dont la culpabilité crevait les yeux, mais que personne n'irait croire coupable parce qu'il avait obtenu la grâce d'un juge, quelle que fût la façon dont il s'y était pris.
– Je sais que c'était risqué, poursuivait Natacha, mais je me suis renseignée sur l'emploi du temps de Mr Smith pendant l'après-midi où elles ont disparu : il était dans sa classe, et a donné cours pendant tout ce temps-là.
– Donc, il a un alibi en béton, conclut Lilian.
– Ma tête à couper que c'est un coup de Kat, paria Christel qui suivait la conversation.
Lilian était prête à le parier aussi. Elle ne voyait toujours pas pourquoi ces deux-là s'encombraient l'un de l'autre au vu de leurs compétences respectives, mais elle n'avait pas besoin de preuves pour savoir que Kat était dans le coup. Avec ses pouvoirs hérités de sa filiation avec les sorcières, il avait dû être aisé pour elle de les ensorceler ou de les hypnotiser, puis de les attirer dans un piège pendant que môssieur se taillait un alibi sur-mesure devant une salle pleine d'élèves.
– Qui sont les élèves disparues ? se renseigna la jeune fille à tout hasard.
– Euh... Kathleen Harrison et Carrie Suthermann, en première année toutes les deux.
Lilian avait en effet un vague souvenir de ces deux-là. La première tirait son héritage des cosmétiques, et l'autre du tourisme de luxe. Deux crétines aussi riches que bêtes, bien que l'un compensât l'autre. Du moins, jusqu'à récemment.
– Alors ? voulut savoir Christel. Ce sont qui ?
– Deux bécasses de première année. L'une est refaite, mais pas l'autre. Ou si : juste liposucée.
– Génial, railla le jeune homme, c'est une information très intéressante.
– Je dis ça parce que je viens de penser à un truc : c'est bien toi qui disais que la mort faisait disparaître les artifices, non ?
– Si, pourquoi ?
– Ça se passe comment, avec des implants sous-cutanés ? Genre, les implants mammaires ou faciaux ?
Il mit les mains dans ses poches, réfléchissant à la façon de formuler sa réponse.
– En fait, expliqua-t-il, comme on maigrit toujours un peu après la mort, les trucs du genre implants, qu'ils soient mammaires ou autres, ont tendance à ressortir. Ils saillent sous la peau, c'est d'ailleurs assez disgracieux. Pourquoi tu demandes ça ?
– Parce que je me demande pourquoi Smith se serait encombré de filles refaites, tout simplement. Surtout s'il s'agit de femmes pour les Princes, il vaut mieux pour lui que la mort ne les défigure pas trop, non ?
Christel haussa les épaules d'ignorance.
– Peut-être qu'il l'ignorait, tout simplement ? Je sais que vous avez la manie de vous vanter de vos culs en silicone et de vos nez riquiqui, mais s'il est pressé, il est possible que l'information lui ait échappé. Pourquoi tu demandes ?
– Je l'ai déjà dit : si c'est si disgracieux après la mort, pourquoi perdre du temps avec des filles refaites ?
– La disparition de l'une pour camoufler celle de l'autre ? proposa Christel. L'une des deux disparitions est plus suspecte ?
– Je ne sais pas. Attends... Nat' ?
– Oui ?
– Question toute bête : ces deux filles ont disparu comment ?
Natacha garda un court silence.
– Comment elles ont disparu ? répéta-t-elle. C'est-à-dire ?
– Elles ont disparu soudainement entre deux cours, elles sont allées quelque part ailleurs ? Je ne sais pas, moi, elles faisaient quelque chose de spécial, avant leur disparition ?
– Euh... Non, je ne pense pas. Bon, maintenant, tout ce que je sais, c'est par les infos que je l'ai appris. Mais à ce qu'il paraît, pendant une pause, pouf ! plus rien.
– Oui, c'est bien joli, « pouf ! », ironisa Lilian, mais elles ne se sont pas volatilisées en une fraction de seconde, non plus. Je ne sais pas, moi, elles se rendaient aux toilettes, à la cantine, sur la planète Mars ? Il a bien fallu qu'elles échappent à la vigilance des autres pour que personne ne remarque rien comme ça, tu vois ce que je veux dire ?
– Oui, je vois...
Malgré l'écart téléphonique, Lilian avait presque l'impression de sentir Natacha penser.
– Écoute, pour autant que je sache, non. En tout cas, rien ne paraissait suspect dans leur comportement Elles sont toutes les deux allées aux toilettes, comme plein d'autres avant et après elles, c'est juste qu'elles n'en sont jamais revenues.
– Aucune trace de lutte ? Elles n'ont rien laissé derrière elles ?
– La police a fouillé l'établissement de fond en comble, rien n'a été retrouvé.
– Et les deux disparitions sont identiques ? insista Lilian. Il n'y en a pas une qui a paru plus suspecte que l'autre ?
– Non, pourquoi ?
La jeune fille garda le silence, laissant la question tomber dans le vide. Effectivement, c'était logique... Pour que leur absence fût sur l'instant aussi normale que possible, elles devaient adopter des comportements tout aussi normaux. Leur faire dire qu'elles allaient, par exemple, acheter une gourmandise quelconque, alors que cela ne leur arrivait jamais, allait fatalement éveiller la suspicion de leurs camarades.
– Non, pour rien, répondit-elle alors enfin. Une théorie qui ne tenait pas la route.
– Pour l'instant, poursuivit Natacha, je n'en sais pas plus que ça. Peut-être qu'il y aura de meilleures informations à la fac. Je te tiens au courant.
– Entendu, merci.
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