Chapitre 33 (partie 2)


Le jeune homme rejeta ses cheveux en arrière, brusquement affolé.

– Comment te dire ? En fait, le Doyen, c'était pas seulement le chef de la bande, c'était aussi notre source de protection.

La jeune fille en papillonna d'incompréhension.

– Quoi ? J'ai pas tout compris.

– En fait, il y a un bon bout de temps, il a mis au point avec une ribambelle de magiciens, de wiccas... Tiens, même Misa était de la partie. Bref, il a mis au point une arme qui fait genre un répulsif contre les maudits. Tu vois les répulsifs contre les insectes ? Eh bien, cette arme, activée par lui, dégage une énergie qui empêche les maudits d'entrer. C'est pour ça que nous sommes en sécurité, ici. Tu te rappelles la tente de protection que Misa avait mise en place dans ta maison ? Elle avait dit que sa tenue dépendait de sa présence...

Lilian comprit.

– Et maintenant qu'il n'est plus là, cette protection n'est plus active, c'est ça ?

– Voilà. Et ils ont dû le sentir, car Scarlet vient de me dire comme quoi ils commençaient à roder sérieusement dans le coin.

– Tu crois qu'ils vont venir ?

– Si on réactive pas cette putain de protection, oui, je suppose que oui. C'était ça qui les empêchait d'entrer.

La jeune fille le bouscula donc.

– Eh bien, réactivez-la, alors ! Ça marche comment, ce truc ?

– Mais j'en sais rien, moi, se défendit Christel, j'étais pas dans ses petits papiers ! Je ne sais même pas à quoi ça ressemble !

– Dans ce cas, va voir Misa. Si elle a contribué à sa fabrication, elle devrait pouvoir te renseigner.

Christel tourna spontanément la tête vers son oreillette sur le chevet, considérant l'option, mais un sauvage tambourinement se fit alors entendre à la porte.

– Christel, ouvre vite ! cria-t-on derrière.

Lilian s'empressa de déverrouiller la porte. James, Lulu et Misa entrèrent précipitamment.

– Désolés pour le dérangement, s'excusa Lulu en entrant, mais il y a urgence.

– Ils sont entrés ? s'affola Lilian.

– Pas encore, mais Scarlet ne pourra pas les contenir à elle toute seule. On lui a envoyé des renforts, mais ça ne sera jamais suffisant.

– Qu'est-ce qu'on fait, alors ?

– Alors ? Alors, on n'a pas trop le choix.

Misa s'avança, tenant dans ses mains une boîte en bois, de la taille d'une grande boîte à chaussures.

– Ceci est le testament de notre père le Doyen, expliqua-t-elle. Christel, tu dois absolument prendre une décision.

Christel la regarda avec surprise, pris au dépourvu.

– Pardon, quoi ? articula-t-il.

Pour toute réponse, Misa ouvrit la boîte, et Lilian se pencha pour regarder son contenu.

D'abord, elle ne comprit pas précisément ce que c'était, mais Lulu plongea la main dedans et en sortit un drôle d'objet qu'elle identifia comme étant un collier. Ce dernier, métallique, assez large et assez épais, s'ouvrait en deux grâce à une charnière et se refermait sur la nuque avec deux œillets en équerre dans lequel on devait passer un cadenas ou un mousqueton.

– C'est quoi, ce truc ?

– C'est ton héritage, Christel, se contenta d'expliquer Misa.

Christel sembla alors enfin comprendre la signification de ses paroles. Ses épaules retombèrent de consternation, alors qu'il considérait Misa devant lui avec horreur.

« Une grande tâche vous attend, » lui avait dit le Doyen avant de disparaître... Une grande tâche vous attend...

– C'est une blague..., balbutia-t-il. Il a fait ça ?

Il regarda ses amis à tour de rôle, comme cherchant la confirmation de ce qu'il pensait.

– Il est sérieux ? MOI ?

Lulu leva les mains d'innocence.

– Ne nous regarde pas comme ça, on vient de l'apprendre aussi ! se défaussa-t-elle.

– Mais pourquoi moi ? se défendit Christel. De tous les crétins de ce putain de clan, il a fallu qu'il me choisisse moi ! Il aurait pu choisir n'importe qui, il aurait pu choisir Misa, si ça lui chantait. Pourquoi il m'a choisi moi ?

– Il faudra lui poser la question, parce que nous l'ignorons tout autant que toi, se contenta de répondre James.

Un silence désemparé tomba sur la salle. Le malheureux Christel regarda ses amis à tour de rôle, cherchant désespérément un allié, puis sa tête retomba.

– Je vais le tuer, grogna-t-il. Je vais retourner droit aux Enfers et je vais le tuer. Il se sacrifie pour ma gueule, puis il me laisse tout seul avec juste un putain de collier sur les bras !

– Ce n'est pas un collier ordinaire, intervint Misa.

Sa dignité faisant autorité, tous se turent.

– C'est une arme, à la fois au sens propre et au sens figuré, expliqua la jeune femme.

Elle mit la main dans la boîte, et en sortit autre chose. Se balança entre ses doigts une chaîne.

– Elle est en deux parties.

Christel regarda la chaîne dans la main de Misa avec accablement.

– Il est sérieux ? Qu'est-ce qu'il a été se foutre ça autour du cou ?

– Le Doyen ne l'a jamais portée, expliqua Misa, pour la seule raison qu'il l'a faite concevoir pour toi. Il avait la sienne, et il a prévu la tienne pour quand le moment viendrait.

– Putain de merde, il a vraiment osé...

Attention !

Tous sursautèrent et regardèrent en direction de la porte restée ouverte. Ils virent plusieurs de leurs frères et sœurs d'armes courir dans le couloir.

– Ils sont entrés ! hurlait-on. Faites attention, tout le monde !

Lilian donna à Christel une bourrade paniquée.

– Christel, fais quelque chose !

Elle se tourna vers Lulu :

– On ne peut pas lui mettre ce truc de force ?

Mais Misa secoua la tête.

– Le consentement du porteur est vital pour assurer son bon fonctionnement, prévint-elle. Si on le lui met de force, cela peut non seulement ne pas fonctionner, mais peut-être aussi le néantiser.

– Le... quoi ? Vous êtes sûre ?

– Le Doyen ayant été le seul jusqu'à présent à porter arme similaire, je ne peux malheureusement pas me prononcer avec certitude.

– Repliez-vous en arrière ! cria une nouvelle voix dans le couloir, les faisant alors se retourner. Ils sont trop nombreux ! Faites venir des guérisseurs pour les blessés !

Christel leva les yeux vers la porte, eut tout juste le temps d'apercevoir quelques chasseurs passer en trombe, alors que d'autres traînaient à la force des bras des camarades déjà bien mal en point.

– Christel ? demanda doucement Misa.

Le jeune homme ne les vit pas, mais il devinait aisément ses camarades échevelés, courir comme des dératés afin d'échapper à leurs poursuivants. L'un d'eux, alors qu'il soutenait un blessé, perdit l'équilibre et chuta par terre, alors qu'un maudit était sur leurs traces.

– Fais chier, grogna Christel. Fais chier, fais chier, fais chier, fais chier, articula-t-il en les pointant chacun du doigt.

Dans le couloir, le chasseur valide tenta de remettre debout son ami qui l'exhortait de fuir sans lui, alors que le maudit devant eux les regardait en se pourléchant. Il poussa un rugissement.

– Christel, dépêche-toi, bon sang ! le pressa James. Tu ne vas quand même pas attendre que tout le monde se soit fait massacrer pour prendre une décision, quand même !

– Toi, ta gueule. C'est pas toi qu'on vient voir avec la responsabilité de sauver le monde, merde !

Plusieurs mètres plus loin, le maudit se précipita sur ses deux proies, et le chasseur valide se jeta sur son camarade pour faire un bouclier de son corps.

De rage, Christel arracha le collier des mains de Lulu.

– Vous faites chier. Vous voulez quoi, que je mette le joli collier ? Voilà, je mets le joli collier. Contents ?

Puis il se referma lui-même le collier autour du cou. Aussitôt, l'air frissonna, parcouru d'une étrange vibration.

Le maudit s'arrêta net. Les deux chasseurs qui s'étaient attendus à mourir, recroquevillés sur eux-mêmes, levèrent les yeux sur lui, surpris par ce sursis : la créature fronçait le nez, semblant humer l'air avec inquiétude.

– Et prenez ça dans vos gueules, se réjouit Lulu en regardant autour d'elle.

– C'était quoi, ça ? demanda Lilian.

– Un petit apéritif, ricana Lulu.

– Et là, on va passer à l'entrée.

Christel les regarda, puis baissa les yeux sur le collier dans ses mains, un peu perdu. James haussa les épaules avec un sourire moqueur.

– Ah, tu as commencé, maintenant, il faut que tu finisses, ironisa-t-il.

Personne ne se risqua à ajouter un mot. Tous avaient l'impression que les propos de James étaient la dernière limite que Christel pouvait tolérer.

Un nouveau fracas résonna dans le couloir. Une meute de rugissements s'élança, et de nouveaux cris s'élevèrent.

– Christel, le conjura Lilian, ils sont en train de mourir, dehors. S'il te plaît, fais quelque chose.

Les épaules de Christel retombèrent alors de résignation.

– Putain de merde, donne-moi ce truc, ragea-t-il.

Il plongea la main dans la boîte, agrippant la chaîne avec tellement de violence que la boîte échappa des mains de Misa et tomba par terre.

– Vous faites chier. Sérieux. Je vais les atomiser, ces connards, et après, je vous jure, je fous le camp aux Enfers et je le tue.

L'une des extrémités de la chaîne était terminée par une sorte de petit mousqueton rond. Christel le passa dans les œillets du collier, le scellant ainsi à son cou.

Il n'y eut ni éclair flamboyant, ni lévitation extatique, ni apparition surnaturelle. Mais, dès que le mousqueton fut en place, l'air naguère frémissant sembla soudain claquer, comme un éclair. Lilian sentit son cœur faire un bond quand l'atmosphère environnante se referma sur elle, comme une prison.

Le maudit dans le couloir poussa alors un couinement de surprise, brusquement apeuré par cette sensation désagréable qui ne présageait rien de bon. Les deux chasseurs le virent se replier, mortellement inquiet, couinant dans tous les sens. L'un d'eux leva le nez et reconnut cette chaleur dans son corps.

– Le Doyen ! jubila-t-il.

– Et c'est parti, mon kiki ! exulta Lulu.

– Ils ne doivent pas aimer, sourit James.

Misa se contenta de ramasser la boîte vide et de la poser sur le chevet.

– Et c'est tout ? s'étonna Lilian, surprise par ce protocole si simple.

– Simple comme bonjour, n'est-ce pas ? Voilà, c'était tout ce qu'on demandait à cet imbécile.

Mal à l'aise, la jeune fille se tint le ventre.

– C'est quoi, cette pression ? souffla-t-elle.

– Oh, ça ! Ça va passer, t'inquiète. Tu ne la sentiras plus, bientôt.

Tous se tournèrent vers Christel. Celui-ci rajustait le collier, avisant l'ensemble d'un œil critique.

– Alors ? s'enquit Lulu. Comment tu te sens ?

Vue dans son ensemble, l'arme était insolite. Elle consistait en ce fameux large collier de métal, prolongé par une chaîne qui serpentait à ses pieds. À l'autre bout de la chaîne était fixé un anneau de métal, plat, aux bords tranchants.

– Même s'il n'avait pas désigné son successeur par son nom, se moqua Lulu, il n'y avait qu'une personne ici à qui ça pouvait convenir. On peut vraiment dire qu'il a pensé à toi.

Mais Christel ne répondit pas, prenant la chaîne dans ses mains et soupesant l'anneau à son bout. Puis il enroula la chaîne autour de son bras.

– Si vous voulez botter du cul de maudit, c'est maintenant qu'il faut vous décider, gronda-t-il.

Puis il marcha vers la porte, la chaîne cliquetant à ses flancs. Surexcitée, Lulu se précipita à sa suite.

– Vous venez ? lança-t-elle. J'ai trop hâte de voir comment il va leur mettre la pâtée !

– On ne dit plus « mettre la pâtée », lui enseigna James.

– Oh, non, encore ! râla Lulu.

Lilian, qui n'avait pas tout suivi, se tourna vers lui.

– Qu'est-ce qu'on dit, alors ?

Ravi d'avoir une nouvelle élève, James lui lança un large sourire.

– On dit « foutre une tôle » ! s'égaya-t-il.

La jeune fille fit la grimace.

– C'est vraiment n'importe quoi.

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