Chapitre 28 (partie 1)


Le 1438, 104e Avenue était situé dans la partie nord-est de la Cité. Il s'agissait de quartiers majoritairement résidentiels, de ceux destinés au personnel un peu plus hiérarchiquement élevé de la Cité. Les immeubles y étaient un peu plus haut et les rues un peu plus propres.

Quand elle et Christel arrivèrent dans le quartier, il était tard. Les gens devaient être en train de dîner chez eux. Seuls deux gamins jouaient sur le trottoir. Une fenêtre ouverte laissait échapper un air de musique, une autre des bruits de conversation. L'endroit respirait la quiétude et le repos bien mérité. Une voiture passa, balayant la rue de ses phares.

L'immeuble qu'ils approchèrent était un peu plus grand, mais ne se différenciait en rien. C'était une grande bâtisse en béton, métal et verre fumé, le fronton traditionnellement battant pavillon.

Le hall était davantage cossu, avec un tapis au sol, des moulures et des plantes en pot, tenu par un concierge chamarré, cimenté derrière son comptoir, qui s'occupait de vous remettre vos clefs, votre courrier et, moyennant pourboire, l'information selon laquelle Monsieur était rentré dans la journée en fort galante compagnie.

Christel ne prit pas de gants pour pénétrer dans l'immeuble. Sans façon, il traversa le hall et s'approcha du comptoir.

– Excusez-moi, mon brave, demanda-t-il, mais je voudrais avoir un petit renseignement.

Le concierge se raidit devant ce personnage haut en couleur.

– Monsieur ? s'offusqua-t-il presque devant l'insolence vestimentaire du visiteur.

– Je voudrais connaître l'étage et le numéro du domicile de deux de vos résidentes, poursuivit Christel sans prêter attention à la réaction de l'employé.

L'homme ouvrit et ferma la bouche, comme un poisson privé d'eau.

– Mais monsieur, balbutia-t-il, c'est un établissement honorable, ici !

– J'espère bien pour vous.

Lilian posa sa main sur son bras.

– Laisse tomber, lui dit-elle, tu perds ton temps.

Il se tourna vers elle, surpris par son attitude, mais elle lui désigna quelque chose d'un geste du menton.

Derrière le concierge, était affiché le détail des résidents. En fille de businessmen habituée à ces sortes d'installations, elle avait tout de suite repéré le panneau. Celui-ci indiquait leur cible au dixième étage, porte 308.

Il lui fit un clin d'œil en guise de remerciement, puis revint à l'employé.

– Merci pour vos bons services, mon brave.

Il rajusta la bandoulière du sac sur son épaule, et partit sous le regard médusé du concierge.

– Viens, fit-il à la jeune fille qui lui emboîta le pas.

Ils prirent la direction des ascenseurs, mais le concierge bondit de sa place.

– Messieurs-dames ! Messieurs-dames, attendez ! Vous ne pouvez pas entrer comme cela ! Messieurs-dames !

– Ne vous dérangez pas, lui répondit calmement Lilian, nous ne faisons que passer.

Et elle ferma les portes de l'ascenseur devant son nez.

La cabine s'éleva dans les étages avec un doux bruit feutré.

– J'espère qu'il ne va pas les avertir, souhaita la jeune fille.

– Pourquoi ?

– En général, ce type d'employé a les numéros de tous les résidents de l'immeuble. C'est lui qui avertit quand quelqu'un demande à te voir ou à te parler, un peu comme dans un hôtel. S'il les appelle, en est mal.

– Encore faudrait-il qu'il sache qui on est venus voir.

L'ascenseur s'arrêta alors avec un petit « ding ! » discret, et les portes s'écartèrent. Christel sortit aussitôt jeter un œil dans le couloir.

– Personne, annonça-t-il.

La jeune fille sortit à son tour.

– On ferait peut-être mieux de prendre les armes maintenant, proposa-t-elle. S'ils nous attendent derrière la porte, mieux vaut être préparés.

Il admit que oui.

– Par contre, la tempéra-t-il, on ne le fera que dans les abords de leur appart. Si quelqu'un d'autre sort à ce moment-là et nous voit comme ça, ça va pas faire un pli.

– De toute façon, on n'est pas loin. Regarde, là, c'est le 305.

Ils s'avancèrent dans le couloir. Il n'y avait pas un bruit, aucun son ne filtrait des appartements. Christel bénit l'insonorisation.

– 308, c'est là.

Christel ouvrit le sac et tendit sa ceinture à Lilian. Il banda son arbalète et cala une flèche.

– Tu n'entreras qu'après moi, quand j'aurai commencé à faire le ménage. Reste là pour l'instant. Si quelqu'un essaye de s'enfuir, tu le cloues d'un pieu droit dans le cœur. Entendu ?

La jeune fille dégaina le plus long des trois pieux.

– Entendu.

Il épaula son arme.

– Tu es prête ?

Elle hocha la tête, le cœur battant. Christel se précipita alors vers la porte et l'ouvrit d'un violent coup de pied. Kat, qui surveillait le couloir par l'œilleton, fit un vol plané à-travers le salon.

Elle atterrit rudement contre le mur, tomba à terre et releva la tête. Ses yeux s'écarquillèrent alors de surprise quand elle reconnut son agresseur.

– Toi !

– « Et je me réjouis à la vue de mes ennemis », sourit le jeune homme. Ça va, je vous dérange pas trop ?

Il tira un premier trait, mais Kat l'esquiva aisément. Il rajustait un autre projectile quand Siti arriva, alertée par le bruit, et constata l'étendue des dégâts.

– Patron ! appela-t-elle.

– Tiens, voilà la deuxième, ricana Christel. Ça va, les filles ?

Kat, qui s'était relevée, se jeta sur lui avec un sifflement furieux. Le jeune homme la chassa d'un furieux coup de poing dans la figure.

– Couché, le chat !

Siti s'élança à son tour, mais n'eut pas plus de succès. C'est alors que Smith parut enfin, alerté par sa complice.

– Ah, et voilà le plat principal ! se régala le jeune homme.

Son regard s'enflamma quand aperçut son ennemi.

– Alors, ricana-t-il, on pensait vraiment se la couler douce ici ?

– Toi !

– Eh oui, moi.

La colère de Smith en le voyant devint presque palpable. Son visage se tordit en une grimace de telle fureur que même Christel eut une fraction de seconde d'hésitation. Mais ses mains se crispèrent sur son arme et il lança à son adversaire un regard de défi.

– Quoi, t'es pas content ? Désolé d'avoir interrompu votre partouze ! Faut dire aussi que vous auriez pu choisir une planque un peu moins évidente.

Smith ne répondit pas. Les yeux fixés sur le jeune homme, il semblait prêt à exploser. Son corps dégageait une chaleur et des vibrations telles qu'il donnait l'impression de prendre feu. Il prit le col de sa chemise, tira et la déchira en deux. Il était tout à sa colère.

Christel le regarda faire en se pourléchant.

– Allez, l'encouragea-t-il, montre-moi un peu ce que tu m'as mis de côté pour cette fois.

Il espéra quand même que Lilian n'eût pas l'idée d'entrer à ce moment-là. Il espéra tout court que ni Kat, ni Siti ne pût sentir son odeur, car alors la jeune fille serait prise au piège, et il ne pouvait la protéger seul contre trois maudits, dont un surpuissant à qui la jauge de contrariété rencontrait des sommets.

Les pupilles de Smith virèrent au noir. Son dos fut transpercé par une série de piques le long de sa colonne vertébrale et ses ongles devinrent des griffes. Il arracha nerveusement le reste de ses vêtements, alors que sa peau se fendait de toutes parts, révélant par-dessous un épiderme noir, luisant de mucus. Son corps se couvrit de plaques comme une armure, sa tête de mèches de chair qui lui tombaient dans le cou, sa mâchoire de crocs acérés. Son nez avait disparu au profit de deux fentes à l'odorat sensible et ses veines saillaient à exploser. Une queue battait derrière lui, cinglante comme un fouet. L'atmosphère s'était soudainement appesantie, lascive et enivrante. Avec tout le manque de loyauté dont un maudit était capable, Smith avait toujours laissé libre cours à son charme pour déstabiliser ses adversaires, même si cela faisait maintenant des siècles que Christel y était insensible.

Il poussa un effroyable rugissement, faisant frémir Christel d'excitation. Il n'avait jamais compris cette tendance des métamorphes à toujours prendre les formes les plus hideuses possibles, mais il n'allait pas bouder son plaisir.

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