Chapitre 25


La première chose qu'aperçut Lilian le lendemain, quand elle mit les pieds hors de chez elle, ce fut les informations. Et par un curieux hasard, il était question de son oncle, qui s'était plaint d'avoir été si ignominieusement mis à la porte de sa propre maison. Ce qui la fit bien rire.

– Tu as vu ça ? railla-t-elle. Les gens ne peuvent plus se passer des médias pour se plaindre. Dès qu'ils ont un pépin, il faut qu'ils le fassent savoir à tout le monde.

– Oui, déplora Christel, déjà blasé. Ils ont besoin qu'on approuve leurs pleurnicheries, ça leur donne l'impression d'être dans leur bon droit.

Ils marchèrent en silence dans la rue, ne prenant plus la peine de lever les yeux sur les panneaux d'informations.

– Comment tu crois que ça va se passer, à l'université ? s'inquiéta la jeune fille.

– Oh, t'inquiète. Tant que tu payes, ils ne peuvent pas te mettre dehors. Tu l'auras donc toujours comme refuge, si ça se passe mal.

– Non, je parlais plutôt de ce qui s'est passé hier. Mes démêlés avec la police, la bagarre dans la salle de classe... Les élèves ont dû se poser un tas de questions. Je les vois tous d'ici, me reluquer comme si j'allais tout faire exploser.

Il eut une moue appréciative.

– C'est pas plus mal, après tout. En tout cas, c'est toujours mieux que donner l'impression qu'on est cinglée. Même si ce n'est pas incompatible... Au moins, ça te protégera un minimum, ils oseront moins te chercher des crosses.

– Qu'est-ce que tu crois que Smith va faire, à ton avis ?

Christel fronça le nez.

– Étant donné les accusations de Natacha, il aura mieux fait de disparaître, ou au moins se faire discret. Tu te rappelles notre conversation à l'hôpital, je suis sûr qu'il a abandonné l'appart' et qu'il est parti se réfugier ailleurs. De toute façon, on verra bien. S'il y a un nouveau prof de maths, c'est qu'il est parti.

– On verra bien. En revanche, je me demande si c'était une bonne idée de faire venir James et Lulu à la maison.

– Misa est puissante, mais c'est une nonne, pas une guerrière. Et puis, tu as bien vu ton oncle aux infos, tout porte à croire qu'il ne s'arrêtera pas là. Mieux vaut donc laisser quelqu'un avec elle, au cas où il reviendrait pendant notre absence.

Lilian leva un sourcil sarcastique.

– Ils vont le menacer de remplir son ventre avec l'océan Atlantique, eux aussi ?

– Je ne crois pas, non. Lulu est bien plus imaginative que moi, quand elle s'y met.

Lilian éclata de rire, avant de brusquement lever le nez, alertée par une musique qu'elle connaissait bien. Celle des flashs spéciaux.

– Qu'est-ce qui se passe, encore ? grommela Christel. Une dadame de la Haute a essuyé un désastre capillaire ?

– Pas vraiment. Il s'agit de Smith.

– Quoi ?

– Regarde.

Le jeune homme leva les yeux à son tour, et regarda l'écran. En effet, la speakerine annonçait du nouveau dans l'affaire Hamilton. Sur la foi de sources informées, la police avait fait une descente au domicile d'un suspect, à savoir Mr Smith, professeur de mathématiques à l'université fréquentée par l'héritière Hamilton. Toujours selon cette source, il aurait admis avoir été un instigateur dans le massacre des époux Hamilton survenu dans leur propre maison. Mais à l'heure où ils parlaient, le suspect n'était toujours pas appréhendé. Son appartement était vide et montrait les traces d'un départ précipité. Aucun élément n'avait pu être utilisé pour prouver la véritable culpabilité du suspect, mais une enquête était diligentée dans ce sens afin de faire la lumière sur ce drame.

Fin du flash.

Christel fit la grimace.

– Hmmm, lâcha-t-il. Il a pris la tangente, ça ne me plaît pas. Bon, je ne peux pas dire que ce n'était pas prévisible, mais ça veut dire qu'il a trouvé un autre point de chute. Quand je vois déjà le temps que ça m'a pris pour trouver celui-là, merde.

Lilian lui donna un coup de coude encourageant.

– Mais vous n'avez pas d'informateurs, chez vous ? demanda-t-elle. Je me souviens, le Doyen disait que certains maudits pouvaient être d'excellents informateurs...

Christel ne put réprimer une grimace à cette remarque.

– Je sais, j'en connais quelques-uns. Mais il faut se méfier, avec eux, car il y en a, s'ils te donnent l'info d'un côté, ils peuvent également la vendre de l'autre. Ces gens-là ne font pas de politique, ils font la pute, ils se vendent au plus offrant. Et ce qui se vend le mieux, dans ce monde, ce sont bien les informations. Tu vois pas qu'on lui donne un billet pour nous dire où est Untel et qu'il aille en palper un autre pour dire à Untel qu'on est à sa recherche ?

Elle comprit.

– Ah, je vois.

– Ils sont utiles, c'est vrai, mais ils ne sont pas tous forcément fiables. C'est pour ça, qu'il faut se méfier.

Ils continuèrent à marcher en silence. Puis la jeune fille reprit la parole :

– Qu'est-ce qu'on fait, alors ? On va rester comme ça, à attendre qu'il nous tombe tout cuit dans le bec ?

– Crois-moi, on pourrait attendre longtemps. Non, je réfléchissais justement à quel indic je pourrais voir.

– Tu en connais beaucoup ?

– Pas tant que ça. Mais au moins, ils sont fiables. Je me demandais seulement lequel serait le plus susceptible de savoir quelque chose. Je connais bien des personnes infiltrées, mais pas aux bons endroits.

Lilian s'arrêta.

– Quoi ? Tu veux dire que des gens sont assez stupides pour accepter dans leur entourage des indics avérés ?

Il lui répondit par un clin d'œil.

– Oui, s'ils ignorent qu'ils sont indics.

– Ils doivent être vraiment stupides, alors.

– Pas vraiment. Tout est affaire de manipulation, et les maudits ne sont pas les seuls à savoir le faire. C'est juste une grande partie de poker. Il faut savoir se coucher ou bluffer au bon moment. C'est exactement ce qui se passe quand un indic se place chez quelqu'un : il doit avoir des excuses pour tout et faire profil bas quand il faut. Les cibles repèrent très vite quand on leur prête un peu trop d'attention.

– Mais les gens, les cibles, ils doivent pourtant s'attendre à ce qu'on essaye d'en savoir sur eux, non ?

– C'est vrai, mais ils doivent se douter le moins possible que la faille se trouve dans leur environnement le plus proche. D'où l'intérêt pour les indics d'être les plus discrets possible. Et le meilleur endroit pour se cacher, c'est sous le nez des autres.

– C'est du chinois, pour moi.

– T'inquiète, la rassura Christel, tu vas bien finir par apprendre.

*

Arrivés à l'université, il leur apparut très vite que les informations n'étaient pas erronées, pour une fois. En effet, ils apprirent que la police était sur les dents à cause de cette affaire et qu'elle réclamait le concours de toute personne susceptible d'avoir des renseignements utiles. Son bureau avait été aussi méticuleusement fouillé que son appartement, mais il était rapidement devenu évident qu'il n'avait pas été assez stupide pour laisser des preuves compromettantes derrière lui.

– Il a donc réellement pris la tangente, conclut Christel.

Et cela ne semblait guère l'enchanter. Il allait encore devoir secouer ses indics, déjà que ça avait été si dur pour savoir qu'il était ici.

– Tu crois qu'ils l'ont remplacé ? demanda Lilian qui ne semblait guère impressionnée par le chambardement.

– C'est important de le savoir ?

– Lilian ! fit alors une voix derrière eux.

Celle-ci se retourna, et vit Natacha courir vers eux.

– Salut, Nat', salua Christel.

– Salut.

Le jeune homme se tourna vers le hall, peuplé de policiers en uniformes.

– Dis donc, c'est un sacré bazar, ironisa-t-il. Ils cherchent une arme de destruction massive, ou quoi ?

– S'agissant de Smith, je crois qu'on peut dire ça.

La jeune fille se tourna vers Lilian.

– Alors, comment ça va depuis hier ?

– Beaucoup mieux depuis qu'on a nettoyé la maison, répondit-elle à son amie. J'ai dormi comme un bébé, ça fait du bien.

– J'ai appris pour ton oncle, il parait que Constantine l'a mis dehors ?

Personne ne releva son usage du nom d'emprunt de Christel.

– Au sens propre comme au sens figuré.

Natacha ouvrit des yeux impressionnés.

– Waouh ! Il va falloir que tu m'apprennes à le faire, ça peut toujours servir. En tout cas, il vous en veut à mort, à tous les deux.

– Vraiment ? se désintéressa complètement Christel.

– Oui, j'ai vu ça aux infos : il vous reproche publiquement, à toi de l'avoir brutalisé, à Lilian, à défaut d'avoir vidé les lieux comme il convenait, de ne pas être intervenue.

Christel semblait s'en soucier comme d'une gigue.

– « Qu'il retourne à l'Éternel, qui aura pitié de lui, » bailla-t-il. Je vais devoir le mettre dehors combien de fois, avant qu'il comprenne ?

Natacha se tourna vers Lilian

– Tu as prévenu tes avocats ?

La jeune fille eut un hochement de tête peu convaincu.

– Oui, mais ils m'ont avoué ne pas nourrir de grands espoirs. Apparemment, ça discute beaucoup à mon sujet, chez eux, et la balance ne penche pas en ma faveur.

– C'est du propre, ricana Christel. Seigneur, vous n'avez pas l'esprit de famille très développé, chez vous. Je suis même surpris que tu aies encore des avocats.

– Parce qu'ils sont payés pour ça, répliqua Lilian.

– Et si ton oncle devait les payer davantage ?

Elle se contenta de l'ignorer.

– Tu sais s'ils ont remplacé Smith ? demanda-t-elle alors à Natacha.

– Aucune idée, avoua son amie, je n'ai pas encore été voir.

Lilian jeta un regard vers Christel.

– Alors qu'est-ce qu'on fait ? voulut-elle savoir. On fait comme si de rien n'était ? La police réclame des témoins, et tout le monde s'accordera à dire que j'avais une relation avec lui. D'ici à ce qu'elle vienne me voir...

– Le témoin, c'est moi, la rassura Natacha. C'est à moi qu'ils s'adresseront.

– Nat', réfléchis deux secondes. Tu crois réellement qu'ils perdraient une occasion pareille de me casser les pieds ? Après tout ce que je leur ai fait, tu penses bien que s'ils venaient à apprendre que je suis sortie avec Smith, il ne leur faudrait pas longtemps pour se faire tous les films qu'ils veulent. Et je m'en passerais bien, merci.

– Tu veux faire quoi, alors ? demanda Natacha avec bon sens.

Christel s'avança alors :

– Si je peux me permettre de ramener ma fraise, je crois que pour le moment, en tout cas dans l'enceinte du campus, le mieux est de jouer le jeu et d'éviter de nous faire remarquer. Tendre l'oreille, au cas où la police lâcherait une info, mais vu que Smith n'est plus là, on n'a pas grand-chose à foutre ici.

– Alors, pourquoi on reste là ?

– Parce que tu es la fille Hamilton et que Smith est suspect pour le meurtre de tes parents. Disparaître de l'université alors qu'il vient justement de se volatiliser, compte sur eux pour te coller au cul direct. Et avec tout ce qui se passe, je me passerais de ce genre d'emmerde.

Il se tourna vers Natacha :

– Ça vaut aussi pour toi. S'ils ne savent pas que tu es l'amie de Lilian, ils finiront par le savoir. Et je me doute bien que tu connais déjà toute l'histoire par le menu. Alors, évite tout ce qui peut attirer l'attention sur toi.

La jeune fille acquiesça.

– Entendu.

Puis elle leva les yeux vers l'horloge sur le fronton du bâtiment.

– Il faut qu'on y aille, leur signala-t-elle alors.

Ils se mirent en marche.

– Bon, vous vous souvenez de ce que je vous ai dit, leur rappela Christel. Suivez les cours comme d'habitude. On fait comme si de rien n'était, et on verra pendant la pause.

Les filles hochèrent la tête.

*

Hélas pour Christel, la journée fut la plus infructueuse possible. Il avait beau tendre l'oreille dans toutes les directions, la police restait désespérément muette sur leur enquête. Il avait souhaité entendre une bride de phrase, mais la police n'en savait finalement pas plus que lui. Les enseignants, au courant de l'affaire touchant leur collègue, avaient fait aux élèves les recommandations d'usage, qui étaient de dire tout ce qu'ils savaient aux agents, mais sans donner de détails. Et Christel craignait de poser des questions qui auraient attiré l'attention sur lui.

La fin des cours se fit donc dans un état de morosité extrême. Smith avait disparu, et Christel n'avait rien pour le localiser. Il allait devoir secouer ses indics, et avec les derniers événements, il devinait d'avance que ça n'allait pas être évident. Car ils étaient frileux, les indics, et ne voulaient pas faire de vagues avec un si dangereux collaborateur de l'Enfer. Ils devaient certainement être au courant pour ce qui était arrivé aux Hamilton, et ils devaient se dire que si Smith savait qui avait dit quoi, il y avait de fortes chances pour que le mouchard se fît non seulement charcuter comme les Hamilton, mais rôtir en prime avec des suppositoires à l'ail et un délicieux bouquet garni. Car contrairement à beaucoup de ses congénères, Smith avait développé un sens très aigu de l'esthétique.

Ce fut avec une humeur de dogue enragé que Christel ressortit du campus.

– C'est bon, soupira Lilian en le voyant ainsi, arrête ton cirque. On dirait mon père quand un contrat lui filait sous le nez. T'en fais pas, pour tes informations, il y aura forcément quelqu'un pour te donner des tuyaux. Sans compter que tu as une technique de persuasion plutôt efficace, je dois reconnaître.

– C'est censé me remonter le moral ?

– C'est censé te faire comprendre que tu es d'un ennui mortel à radoter comme tu le fais ! J'ai pas signé pour te voir tirer la tronche, d'accord ? Alors, tu vas me faire le plaisir de te remuer un peu et de m'effacer tout de suite cette tête d'enterrement, ou je t'en colle une !

Il leva les mains de soumission, puis mit les mains dans les poches de son gilet avec défaitisme.

– Bien, grommela-t-il, je suppose ne vais pas avoir le choix que de casser quelques gueules, expliqua le jeune homme en s'éloignant.

Lilian écarta les mains de contrariété.

– Quand je disais que tu avais des arguments percutants...

– Ah, pardon, la contredit-il, mais tu as dit que j'avais « une technique de persuasion plutôt efficace ».

– Et alors ? C'est la même chose.

– Au contraire, car une technique efficace n'est pas nécessairement percutante.

Elle grogna en levant les yeux au ciel, mais le suivit quand même.

– Je vais vraiment finir par t'en mettre une, tu le sais, ça ? menaça-t-elle en traçant dans son sillage.

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