Chapitre 20 (partie 2)


Son départ instaura un silence immédiat. Lilian, qui avait regardé la porte se fermer sur son amie, se tourna vers James et Lulu.

– Alors ? les pressa-t-elle.

James se mordit la joue.

– Smith est ce qu'on appelle un incube, révéla-t-il alors.

– C'est ce qu'on appelle aussi un « mari de nuit », ajouta Lulu. Certains Djinns sont connus pour ça.

Lilian ne répondit pas, les encourageant silencieusement à poursuivre.

– Pour la faire courte, expliqua James, un incube est une créature mâle qui abuse des femmes pendant leur sommeil par l'intermédiaire des rêves. Ils sont métamorphes, ça veut dire qu'ils peuvent prendre l'apparence qu'ils veulent.

– Chez les Grecs, on les assimilait aux cauchemars, ajouta Lulu. Pas la peine d'expliquer pourquoi.

L'exposé laissa Lilian sans voix, figée de honte et de dégoût. Se présumer victime d'une infamie était une chose, c'en était une autre que de se le voir confirmé. Ses mains se crispèrent nerveusement dans la couverture du lit.

– Certains s'accommodent très bien de leur relation avec un incube ou un succube, poursuivit James, mais il faut savoir que c'est une relation à sens unique. Ils te font prendre le pied de ta vie, mais c'est pour mieux te drainer de ton énergie.

Il écarta les bras avec fatalisme.

– Ce sont des profiteurs, conclut-il.

– Et comment on s'en débarrasse ? articula alors Lilian d'une voix hachée. Rassurez-moi, il y a bien un moyen de s'en défaire ?

James la rassura d'un hochement de tête.

– T'inquiète, il y a des solutions. Elles peuvent paraître bizarres, mais il y en a.

Lilian balaya le problème d'un geste de la main, d'ores et déjà soulagée par la nouvelle.

– Tant qu'il y a une solution, affirma-t-elle, je me fiche de la forme que...

Mais elle fut interrompue par un toc soudain à la porte.

– Lilian ! appela la voix de Natacha.

La jeune fille se tourna vers la porte, interpellée par le ton agité de son amie.

– Qu'est-ce qui se passe ? s'alarma Lilian.

C'est alors qu'une voix s'éleva dans le couloir :

– Allez tous vous faire vasectomiser, bandes de cons !

Dans la chambre, tous se figèrent.

James et Lulu échangèrent un regard.

– Non, c'est pas vrai...

– On dirait que si.

– Ah, le con !

Lilian avait brusquement pâli.

– Non... C'est une blague ?

Ils se tournèrent vers la porte. Elle était maintenant un peu entrouverte, laissant entrevoir Natacha avec la main sur la poignée, et le bruit de pas remontant le couloir.

– Rien à foutre de vos règlements de merde ! ragea à nouveau la voix. Écartez-vous, ou je fais un malheur !

Puis la porte de la chambre s'ouvrit brusquement, faisant sursauter tout le monde, et Christel fit irruption dans la pièce.

– On peut même plus visiter une malade, ici ? Bordel de chiottes !

Une mouche passa.

Lilian sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine.

– Christel ?

– En chair et en os. Allez, du balai, vous !

Il se tourna vers le corps médical qui l'avait suivi et qui prétendait le faire expulser, les força à sortir de la chambre, chassa le dernier médecin d'un coup de pied aux fesses, et referma la porte avant de se tourner une fois pour toutes vers les autres.

– La vache ! fulmina-t-il. Quelle plaie, ces mecs !

La jeune fille se redressa dans son lit.

– Christel, mais où étais-tu passé ?

– Au taf.

– Smith ? se renseigna James.

– Aucune idée. Il m'a échappé.

– Comment ça, échappé ?

Christel leva les mains d'impuissance.

– J'en sais rien, je te dis. On a dégringolé sur le toit d'à-côté, on a continué à se battre, puis comme il m'avait porté un coup et que j'ai un peu vu sonner les cloches pendant quelques secondes, il a dû en profiter pour disparaître. Quand je me suis relevé, il n'était plus là. Alors je suis revenu à la classe, où j'ai appris que vous étiez ici.

Il s'approcha ensuite du lit de Lilian et mit ses poings sur ses hanches.

– Alors, ça va mieux ?

Elle fit la moue.

– Ça pourrait être mieux.

Les épaules de Christel retombèrent, vaincues.

– Je vais te faire un aveu... J'aurais presque préféré me tromper.

– Te tromper sur quoi ?

Il eut une moue hésitante.

– J'en sais rien. De coupable, de plein de choses.

– Christel, tu n'y peux rien si c'est lui le coupable.

– Je sais, mais je ne peux pas m'en empêcher, c'est bête, hein ? Je me dis finalement que si j'avais refusé de sortir avec toi, tu ne l'aurais peut-être pas autant intéressé, du coup tes parents auraient peut-être été encore en vie.

Incapable de savoir quoi répondre, Lilian jeta un regard hésitant vers Lulu. Celle-ci la calma d'un geste.

– T'inquiète, c'est son trip de tout prendre sur lui. Il aime jouer les martyrs.

Ce qui offusqua grandement le jeune homme.

– Quoi, j'ai pas raison ?

La jeune fille le fit taire en posant sa main sur son bras.

– Christel, je serais sortie avec lui de toute façon. C'était toi ou lui. Comme tu avais laissé passer ta chance, je me suis rabattue sur Smith. Mais je t'assure que de toute façon, il aurait été forcé de me remarquer.

Et comme Christel restait sceptique, elle ajouta :

– Maintenant, il est possible que son intérêt à mon égard ait été attisé par le fait que nous soyons sortis un soir. Mais je peux t'assurer que quand bien même je ne t'aurais pas approché, je serais allé le voir.

– Mouais, si on veut...

Agacée, elle lui donna une tape sur l'épaule.

– Arrête de tout prendre sur toi ! Moi aussi, j'ai aussi ma part de responsabilité dans tout ça ! Si tu crois que ça me soulage de te voir tout endosser, tu te trompes !

Tout le monde restait silencieux.

– Je sais très bien que ce qui est arrivé est aussi ma faute, poursuivit-elle. Tu n'as pas arrêté de me mettre en garde, mais je n'y ai même pas fait attention. Et maintenant regarde : mes parents sont morts ! Tout ça parce que je refusais de t'écouter ! Et ça, c'est de ta faute, peut-être ?

– Elle n'a pas totalement tort, glissa James.

Le silence retomba pendant lequel Christel analysa ses propos, puis dut se rendre à l'évidence que sa démarche n'était pas la meilleure des solutions. Lilian était toujours aussi têtue qu'avant, elle appliquait juste cet entêtement d'une autre manière. Et, après tout, ce n'était pas plus mal.

– D'accord, capitula-t-il. Nous avons tous notre part de responsabilité, ça te va ? Je n'irais pas jusqu'à disserter sur qui est coupable de quoi, on en aurait pour des heures, mais je veux bien te céder ta part dans tout ce qui arrive. Contente ?

C'était le mieux qu'il pouvait faire, même s'il se réservait la majorité de la responsabilité. Car elle avait beau dire, il ne pouvait s'empêcher de se dire que s'il avait été plus efficace, cette tragédie aurait peut-être été évitée.

Puis il frappa brusquement dans ses mains, faisant sursauter tout le monde.

– Bon, c'est pas tout ça...

Tous les regards se tournèrent vers lui.

– Je ne sais pas pour vous, mais moi je pense qu'on devrait penser à s'arracher d'ici. Il y a sans doute derrière cette porte une ribambelle de toubibs qui me filent de l'urticaire à attendre qu'on dégage, et puis il ne faut pas oublier que Smith est toujours en liberté. Alors si vous n'y voyez pas d'inconvénient, on va aller dans des endroits plus sûrs.

– Natacha a pris des dispositions en ce sens, annonça Lilian.

– Vraiment ? Lesquelles ?

Natacha lui expliqua alors son contact avec le capitaine Jones.

– Pas mal. Ils seront bien obligés de faire quelque chose, ce qui reviendra à compromettre sa planque. Même si je ne serais pas étonné d'apprendre que ce n'est pas lui le véritable propriétaire.

– Il l'aurait pris à quelqu'un ? s'étonna Lilian.

– Sans le moindre doute. Il est tout à fait capable de se faire de faux papiers et de prendre un appartement sous son nom, mais c'est une perte de temps. Il est beaucoup plus facile pour eux de déloger quelqu'un et de prendre la place.

– Il aurait expulsé le vrai propriétaire ?

– Expulsé... ou pire. Tu as peut-être été amenée à voir de quoi il était capable, mais je peux t'assurer que ce n'est qu'un échantillon par rapport à ce qu'il est vraiment capable de faire.

La jeune fille déglutit. James s'avança alors.

– Bon, allez, l'invita-t-il, sors de là, on dégage.

Elle écarta la couverture et glissa ses jambes hors du lit.

– Où on va ?

– Chez toi, pour commencer, lui répondit Lulu. Il va falloir s'occuper de ton intérieur. On va prévenir les personnes qu'il faut et faire nettoyer tout ça. Allez, debout.

Lilian se chaussa et ramassa ses affaires.

– Ne t'inquiète pas pour ta sortie, je m'en occupe, la rassura Natacha. Rentre chez toi, je me charge de la paperasse.

– D'accord, on se retrouve à la maison.

Ils sortirent de la chambre et, effectivement, une petite brochette de médecins attendaient nerveusement la bonne volonté de ces messieurs-dames de libérer les lieux. Il y avait même deux agents de sécurité, mais devant l'agressivité manifeste de Christel à leur égard, ils préférèrent rester en retrait, le temps qu'ils s'en fussent.

Natacha se dirigea vers la réception, alors que Christel et les autres quittaient l'infirmerie. Un élève ayant eu vent de l'incident leur tira le portrait au passage. Christel se retint de justesse pour ne pas pulvériser son appareil. Lilian soupira, devinant à l'avance la teneur des prochaines rumeurs à son sujet avec, en amorce, ce cliché la représentant en compagnie de gens manifestement de la Ceinture.

Décidée à conserver le peu de dignité qui lui restait, elle passa superbement outre, ignorant délibérément les provocations de l'impertinent. Sa voiture l'attendait, le discret chauffeur derrière le volant. Ils s'y engouffrèrent et disparurent.

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