Chapitre 15 (partie 2)
Comme elle restait prostrée, il hasarda une main et repoussa ses cheveux de son visage
– Il a levé la main sur elle ? demanda-t-il.
Elle hocha tristement la tête.
– Je ne l'aurais jamais cru capable de faire une chose pareille, avoua-t-elle.
– « L'apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers. »
– Constantine, enfin ! Toi, tu le connaissais peut-être, mais pas nous ! On ignorait totalement toutes ces histoires ! Jusqu'à présent, il se contentait de nous donner des cours, c'est vrai qu'il était réfractaire à notre politique, mais de là à se montrer violent... Je te jure, personne n'a compris. Il a brusquement giflé cette femme en plein milieu du couloir, tout le monde était sous le choc.
– Comment il a réagi à... votre réaction, justement ?
– Il a commencé par revenir dans la classe comme si de rien n'était et a repris son cours. Mais comme personne ne réagissait, il a eu l'air de comprendre quelque chose, alors il a pris ses affaires en disant que le cours était fini, et il est parti.
Elle enfouit son visage dans ses mains.
– Il ne m'a même pas jeté un regard. Il m'a complètement ignorée.
Il retint de justesse un sarcastique sourire.
– Je voudrais pas dire, mais ça se justifie. Tu prends la défense de son ennemi face à la police et tu réprouves ses actions vis-à-vis d'une femme, tu m'étonnes qu'il ne t'ait pas regardée. C'était sa façon à lui de dire qu'il n'était pas d'accord.
– Donc, tu es en train de me dire que là, en ce moment, il me déteste ?
– Ça veut juste dire qu'à ses yeux, tu as choisi ton camp.
Les lèvres de Lilian se crispèrent.
– En fait, il se fichait totalement de moi, c'est ça ?
Il posa sa main sur son bras.
– Il s'est servi de toi pour m'atteindre, Lilian. Rien de plus.
– Quel salaud ! grinça le codétenu.
– La ferme ! lui crièrent en cœur Lilian et Constantine.
Le codétenu se tut, et il y eut un grand silence. Les deux jeunes gens échangèrent un regard, puis sans trop savoir pourquoi, partirent dans un merveilleux fou rire.
Le codétenu les regarda, se demandant ce qu'il y avait de si drôle, et même un vigile vint se rendre compte de la cause de cette soudaine hilarité.
Lilian ne savait pas pourquoi elle riait, mais elle riait de bon cœur et cet état était le bienvenu. Constantine n'était pas en reste, et son maquillage commençait même à lui couler sur les joues.
Et ils riaient. Ils riaient, pliés en deux, à s'en donner mal au ventre. Et chaque fois que leurs regards se croisaient, c'était reparti de plus belle.
Leur gaîté dura ainsi cinq bonnes minutes. Mais dans leur euphorie, elle sembla durer une éternité.
– Eh, chef ! appela le codétenu. Ils sont devenus fous !
– La ferme ! rigola Lilian.
– ... Et ils arrêtent pas de me dire de la fermer !
– La ferme ! râla le vigile.
Le codétenu se le tint pour dit.
Enfin, après nombres de tentatives infructueuses, Lilian parvint à reprendre son souffle et s'essuya les yeux.
– Bon sang ! Ça fait du bien !
Constantine, qui recommençait lui aussi à reprendre conscience, passa ses mains sur ses joues pour en ôter le maquillage qui les maculait.
– « Heureux les simples d'esprits, car le royaume des Cieux leur appartient », prophétisa-t-il.
– Ça veut dire quoi, ça ?
– Que tu aurais dû lire ta Bible avec plus d'attention.
Ils se calmèrent enfin, et la cellule redevint silencieuse.
– Ça fait longtemps que je n'avais pas ri comme ça, avoua Lilian.
– C'est la meilleure thérapie du monde.
Ils se turent à nouveau, permettant à Constantine de réparer les dégâts sur ses joues.
– Ouf ! C'est vrai que ça fait du bien.
Le codétenu les observait avec inquiétude, comme s'ils étaient deux bombes H prêtes à exploser à tout moment.
Lilian resta silencieuse, savourant ce bien-être bienvenu. Elle n'en revenait pas. Elle venait de se rendre compte que Mr Smith n'était qu'un fieffé goujat, et elle se payait l'un des plus beaux fous rires de sa vie. Peut-être devenait-elle folle, qui sait ?
– « Mais le fruit de l'Esprit, c'est l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la douceur, la tempérance », cita Constantine qui semblait avoir lu dans ses pensées.
Elle le regarda. Ce crétin de Constantine avait le chic pour appuyer où il fallait. Elle ne s'en rendait compte que maintenant, mais des deux, il était le plus... authentique ? Spontané ? Sincère ? « Il t'a raconté tout ça parce que c'était ça que tu voulais entendre », lui avait-il dit au sujet de Mr Smith. Elle était forcée d'admettre qu'il avait raison. Ce qu'il lui avait dit, n'importe qui d'autre aurait pu le lui dire. Il avait juste été le premier et le seul à le faire, et c'était ça qui l'avait poussée vers lui.
Mr Smith avait représenté tout ce qu'elle attendait d'un homme. Mais cette représentation n'avait été en fait mue que par un mensonge, et elle avait encore du mal à le digérer.
Puis une autre idée lui vint en tête. Et si tout ceci était l'objet d'un malentendu ? Que Mr Smith fût sincère et Constantine le menteur ? Peut-être était-ce lui l'homme véritablement dangereux, dans l'histoire, et peut-être la femme n'était qu'une harpie qui avait mérité son sort...
Mais à bien y réfléchir, ça ne tenait pas debout. Y croire reviendrait à renier ce qu'elle avait vu et vécu. Cela reviendrait à se renier elle-même.
Que lui restait-il donc ?
Il ne lui restait, à la fin, qu'un jeune homme dont elle ne savait quasiment rien, si ce n'était qu'il était de mèche avec un univers qui la dépassait. Et Mr Smith y était mêlé, de près ou de loin, faisant d'eux des ennemis jurés.
Mais que leur était-il donc arrivé pour se haïr à ce point ? Car ils avaient un passé commun, cela ne faisait aucun doute.
– Je sais ce à quoi tu penses, murmura Constantine.
Lilian en rougit presque.
– Je suis donc si prévisible que ça ?
– Tu n'es qu'une adolescente. Ce n'est pas bien compliqué de deviner les pensées d'une adolescente.
Elle piqua tristement du nez.
– Je suis faible, se lamenta-t-elle.
– Faible, non, la rassura-t-il. Juste vulnérable. Mais tu sais, la force, ça s'acquiert. On est tous logé à la même enseigne, au départ. Moi-même, je n'ai pas toujours été un fier-à-bras. Si je sais me battre, c'est parce que j'ai appris à le faire.
Lilian avait étrangement beaucoup de mal à imaginer le truculent Constantine en gringalet inoffensif.
Le jeune homme la regarda, et elle fut presque déstabilisée par le sérieux de son regard.
– Tu es venue comprendre ce qui se passe, je te l'accorde. Et je reconnais qu'étant donné ce qui t'est arrivé, tu as le droit de savoir.
Il marqua une très courte pause, cherchant ses prochains mots.
– Lilian, il va falloir que je t'explique un tas de trucs. Des trucs que tu ne croiras peut-être pas d'un premier abord, ce qui sera un peu normal, moi-même j'avais eu du mal.
La jeune fille retint son souffle. Le moment des confessions tant attendues était peut-être arrivé.
– En revanche, il est hors de question que je te parle de ça ici. Il y a des oreilles qui nous écoutent.
– Non, j'écoute même pas, se défendit le codétenu sans se rendre compte qu'il se contredisait lui-même.
– La ferme. Donc, je disais que si je dois te raconter mon histoire, ce sera à l'abri des oreilles indiscrètes. Par contre, je peux te faire rencontrer quelqu'un qui pourra t'expliquer ce qu'il y a autour, planter le décor, si tu préfères. Comme ça, tu sauras de quoi je parle.
Lilian hocha la tête.
– Si tu préfères, oui, on peut faire ça comme ça.
– Très bien. Tu as de quoi noter ? Je vais te donner une adresse.
Elle lui tendit son agenda électronique.
– Tu vas aller là, expliqua Constantine. C'est une boutique de récup' tenue par une copine. Elle s'appelle Scarlet. Fais-toi connaître à elle et explique-lui la situation.
– C'est elle qui me racontera ?
– Non. Elle se chargera seulement de te faire entrer. Une fois à l'intérieur, tu demanderas à voir le Doyen. Dis-le à Scarlet si ça peut te faciliter l'accès. On ne fait jamais entrer les gens de l'extérieur, sauf en certaines circonstances. Si tu expliques que c'est moi qui t'envoie et pourquoi, ils ne devraient pas faire trop de difficultés.
– Le Doyen..., se souvint Lilian. Ça me dit quelque chose.
– Le vieux schnoque, lui rappela Constantine. Longue robe en bure avec une capuche.
– Je crois que je me souviens. Il avait une voix très grave, non ?
– Exactement. Ça me fait rager de dire ça, mais il sera le plus à même de te dire tout ce qui se passe.
La jeune fille sourit.
– Tu n'as pas l'air de l'aimer beaucoup, remarqua-t-elle.
– Il m'emmerde, ce grand con !
Elle éclata de rire. Elle retrouvait enfin le vrai Constantine.
– Tu n'aimes pas grand monde, en fait.
– Je hais Smith, le Doyen, l'actualité, le fromage, le vert, porter des fringues correctes, à part ça, ça va. Non, sérieux, je lui trouve des défauts à la pelle, comme à beaucoup de gens, d'ailleurs, mais pour ce qui est de te raconter l'Histoire, c'est lui qu'il te faut. Je ne dis pas que ce sera facile, il te faudra des forceps pour l'accoucher, mais crois-moi, ça vaudra le coup.
– Bon...
Elle regarda son agenda.
– Juste une question, releva-t-elle. Cette adresse, ce ne serait pas en plein milieu de la Ceinture, par hasard ?
– Si.
Elle leva sur lui des yeux pétrifiés.
– Tu veux m'envoyer en plein milieu de la Ceinture ?
– Tu voulais des réponses à tes questions, non ?
– Oui, mais...
Et elle se tut devant le visage tranquille du jeune homme.
– Tu as peur d'y aller parce que tu ne connais pas l'endroit, affirma-t-il simplement. Mais si tu veux des explications, c'est là que tu dois te rendre. Et n'essaie pas de lui demander de se déplacer, il ne bougera pas. Si nous avons quelque chose en commun, lui et moi, c'est bien cette idée arrêtée selon laquelle il faut aller chercher les solutions plutôt qu'attendre qu'elles viennent.
– On dirait que tu sembles avoir plus de choses en commun avec lui que tu ne le penses, railla Lilian.
Constantine plaqua alors ses mains sur ses oreilles, comme s'il était victime d'un bruit atroce.
– Tais-toi, je ne veux rien savoir !
Elle éclata de rire et se leva.
– Très bien, se soumit-elle, j'y vais. Je vais aller dans la Ceinture, risquer ma pauvre vie dans des rues tortueuses, à la merci de satyres et de bêtes monstrueuses...
– C'est ça. Et tu leur passeras le bonjour de ma part.
Il était dit qu'elle ne s'y soustrairait pas. Comprenant qu'elle n'avait pas le choix, elle soupira et rangea son agenda.
– Je suppose que je leur transmettrai ton message, promit-elle.
– Merci bien.
Lilian héla le vigile d'un geste de la main. Celui-ci ouvrit promptement la porte et la jeune fille disparut.
– C'était un beau morceau, jugea le codétenu.
– Oh, la ferme.
Constantine s'allongea sur son banc, prenant ses aises. Puis, croisant ses mains derrière sa nuque, il attendit la suite des événements.
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