Chapitre 10 (partie 2)
Intimidée, elle leva les yeux sur lui.
– Vous aviez quelque chose de spécifique en tête ?
Il haussa les épaules d'évidence, avec un sourire encourageant.
– Eh bien, je pensais que commencer à nous tutoyer serait une bonne idée.
Elle le regarda alors franchement, n'osant y croire.
– Monsieur, vous le pensez sérieusement ?
– Bien sûr.
– J'ai le droit de vous tutoyer, alors ?
– Si vous le voulez, oui.
Elle hésita, se gratta nerveusement la nuque. Elle était à court de mots.
– Ça me fait drôle, avoua-t-elle. Enfin, je veux dire, vous êtes quand même mon professeur.
– Tutoyer mes élèves ne fait pas non plus partie de mes habitudes, plaisanta Mr Smith avec légèreté. Il n'y a rien qui presse, prenez le temps que vous voulez.
– Oui, je veux bien, mais si vous me tutoyez alors que je continue à vous vouvoyer, ça ne va pas faire un peu bizarre ?
Il sourit, le regard pétillant.
– J'ignorais que tutoyer les gens était un problème pour vous, souleva-t-il avec amusement.
– Les gens en général, non, se défendit Lilian. Mais vous êtes prof, et qui plus est mon prof. Ça ne va pas paraître bizarre que je vous tutoie devant tout le monde ?
– Nous nous vouvoierons en public, dans ce cas. Considérez l'exercice comme un jeu, un peu comme quand nous parlons de mathématiques.
Lilian n'osait pas prendre une décision. C'était beaucoup d'un coup, pour elle. Jusqu'ici, tutoyer ses amants n'avait jamais posé de problèmes, car ils étaient pour la majorité des garçons de son école ou de son âge, le tutoiement était donc plus évident. Mais il s'agissait là d'un adulte, et qui plus est de son enseignant. Le tutoyer revenait à donner à leur relation une importance et un sérieux que la jeune fille ne pensait pas qu'elle avait jusque-là.
Mr Smith dut sentir son trouble, car il lui pressa doucement la main.
– C'est une si mauvaise idée que ça ? voulut-il savoir.
Elle secoua la tête, perdue dans ses pensées.
Jusqu'ici, elle l'avait principalement fréquenté pour l'apparence, et surtout pour le challenge. Elle l'avait abordé comme elle avait abordé une énigme, un mystère dont il fallait trouver la solution. Elle avait séduit Mr Smith pour réussir là où toutes les autres avaient échoué. Mais elle était forcée d'admettre que ce qu'elle en avait obtenu dépassait de très loin la simple coucherie auquel elle s'attendait. Il lui avait donné tout ce qu'elle voulait sans même avoir à le demander, il avait donné à leur histoire une importance qu'elle-même n'avait jamais envisagée jusqu'à présent. Il était tout ce qu'elle recherchait, séduisant, intelligent, aimant. Était-elle donc si pervertie par son propre corps pour ne pas vouloir donner une chance à cet homme si gentil ? Était-ce donc si difficile pour elle de vivre, au moins une fois dans sa vie, une relation « sérieuse » ?
Elle le regarda. Mr Smith, respectant sa méditation, l'observait en silence.
Non, décidément, elle ne pouvait s'y résoudre. Il était tellement doux, tellement patient et tellement serein. Chaque fois qu'elle pensait à lui ou était en sa compagnie, elle avait cette boule de chaleur au creux du ventre. Refuser sa proposition reviendrait à briser cet équilibre auquel elle s'était inconsciemment tant attachée. Elle avait davantage l'habitude des histoires sans lendemain, c'était vrai, mais en cet instant, elle ressentait le désir profond d'aller au-delà de ces choses. Voir plus loin qu'une simple passade. Elle recommença à rêver à des sorties en couple, à des cadeaux, des promesses. Pendant une seconde, elle se crut redevenue la jeune demoiselle de seize ans, folle amoureuse de son premier petit ami.
Elle leva sur lui des yeux brillants. Sa décision était prise.
– D'accord, annonça-t-elle alors. Je veux bien essayer.
Le sourire de Mr Smith aurait pu à lui seul éclipser le soleil.
– C'est vrai ? Vous êtes d'accord ?
Il avait l'air de ne pas y croire, troublant la jeune fille.
– Oui, je le suis.
Sa voix était encore tremblante d'émotion, mais son choix était fait. Oui, elle voulait donner une chance véritable à leur histoire.
– Par contre, le tempéra-t-elle, il va falloir que je m'adapte. Vous comprenez, vous êtes mon professeur, il faudra que je m'habitue à vous tutoyer, et ça peut prendre du temps, alors...
Il lui mit tendrement un doigt sur les lèvres.
– Lilian, prenez le temps qu'il vous faudra.
Il lui donna un baiser très doux.
– Je ne le ferai que quand vous serez prête à le faire, d'accord ? Mais n'oubliez pas que quelle que soit votre décision, je la respecterai. Si vous vous rendez compte que vous ne voulez pas aller plus loin, je me retirerai.
Étrangement, Lilian n'aima pas du tout cette idée.
Mr Smith la serra contre lui, la cajolant doucement, conscient de l'importance de cette décision pour la jeune fille. Il resta ainsi, silencieux au milieu du trottoir. Puis, levant les yeux, il reconnut le perron un peu plus loin.
– Ah, je crois que nous sommes bientôt arrivés.
Lilian releva la tête et, effectivement, reconnu sa maison. Les lumières étaient allumées, signe que ses parents n'étaient pas couchés.
Mr Smith la regarda en souriant.
– Eh bien, je vais devoir jouer les goujats et vous abandonner ici, plaisanta-t-il. Néanmoins, laissez tout ce que je vous ai dit ce soir de côté, vous n'en avez pas besoin pour l'instant. Reposez-vous, et quand le moment sera venu, nous en rediscuterons. D'accord ?
Elle hocha la tête.
– D'accord.
La jeune fille monta sur la première marche du perron et se retourna. Mr Smith comprit et l'accompagna jusqu'à la porte.
– Passez une excellente nuit, salua-t-il malicieusement, ou du moins ce qu'il en reste. Essayez de ne pas avoir l'air trop chiffonnée, quand vous viendrez en cours.
Elle eut un petit rire. Il l'embrassa doucement, en guise d'au revoir et recula. Lilian ouvrit sa porte, entra dans la maison.
– À tout à l'heure, donc.
– Oui, à tout à l'heure.
Et elle referma la porte.
Mr Smith se détourna, et s'en alla.
*
– Bonsoir, Miss Hamilton, salua le groom holographique. Je signale à mademoiselle qu'il est cinq heures moins le quart du matin, et que mademoiselle doit se rendre à ses cours à huit heures et demie.
– Programme un petit-déjeuner très vitaminé, dans ce cas, lui répondit Lilian, je crois que je vais en avoir besoin.
– Bien, mademoiselle.
La jeune fille ôta ses chaussures et monta les escaliers. Elle entendit l'eau couler dans la salle de bain, sa mère faisait un de ses soins. Elle se précipita dans sa chambre et se jeta sur son lit, activant avec enthousiasme le contact de Natacha.
– Lilian ? fit la voix de son amie à l'autre bout de la ligne.
– Salut, Nat' ! Je te dérange pas ?
– Non, pas vraiment, j'étais en train de finir de recopier mes réponses pour le devoir de sciences économiques. Qu'est-ce qui se passe ?
– Nat', il faudra absolument qu'on discute, toi et moi !
Sa voix trahissait son excitation, et Natacha, devinant son allégresse, ne chercha pas à l'interrompre.
– Je viens de passer la plus merveilleuse soirée de ma vie ! Cette fois, c'est sûr, c'est le bon ! Je te jure, il a tout pour lui : il est beau, il est romantique, il est parfait ! Il faut absolument que je l'épouse !
– Alors, ça y est ? comprit joyeusement Natacha. Vous vous êtes enfin fait cette soirée en amoureux ?
Lilian s'étirait sur son lit, dans un reliquat d'extase qui la prenait au ventre.
– On a passé un moment formidable, il cuisine comme un chef, le repas était délicieux ! Je t'assure que si ma mère ne me laisse pas me marier avec lui, je la hais !
Natacha éclata de rire au téléphone.
– On dirait bien qu'il t'a sorti le grand jeu, se moqua-t-elle affectueusement.
– Il m'a proposé de le tutoyer, raconta Lilian. Je ne sais pas trop, c'est tellement important... Je veux dire, si je le tutoie, c'est que nous sommes un vrai couple, pas vrai ? Et puis, après tout, quelle importance ? Je suis la plus heureuse du monde !
Elle s'élança vers la chambre de ses parents.
– Papa, tu as une minute ?
Elle ouvrit la porte de la chambre, euphorique. Une musique jouait en sourdine. Elle reconnaissait cette musique, son père l'écoutait beaucoup, en ce moment.
Lilian poussa alors un hurlement d'horreur.
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