Chapitre 1: Le premier jour - Kane (1)


Surtout, ne pas bouger. Il faut être très précis. Je n'ai pas envie de tout recommencer. Une goutte. Ok, pas de réaction. Deux gouttes. Le mélange fait des bulles et s'obscurcit. Par acquit de conscience je feuillette mon carnet de ma main libre. D'accord, tout est normal, on continue. Trois gouttes, quatre, cinq. On sonne à la porte. Je stoppe net mon geste. J'ai perdu le compte. Bordel ! D'agacement je jette la pipette et renverse le bécher du revers de la manche. Le liquide se répand sur le bois en grésillant. Je hausse les sourcils. Tant pis pour la table.

- « Zoey, si c'est toi, je t'ouvrirais pas !

J'ai crié, j'espère que cette idiote m'entendra et que je n'aurais pas à me lever. Elle est plus têtue qu'un âne et serait capable de camper devant ma porte. Mes yeux parcourent le plan de travail et je soupire. Génial, tout est à refaire. Je serre les poings à m'en faire blanchir les phalanges pour calmer les tremblements qui les parcourent.

- C'est pas Zoey. Ouvre-moi avant que je défonce cette porte.

D'accord, donc c'était pas Zoey. Je vais vraiment devoir me lever. Je repousse la chaise et mon regard balaye la pièce. Il y a des papiers froissés et des produits chimiques dans toute la cuisine. Je rangerais plus tard. Je m'arrête sur l'horloge quelques instants. Il est midi passé, ça explique la luminosité insupportable qui filtre par les rideaux. J'ai dû rester éveillé toute la nuit. Bah peu importe. J'attrape la robe de chambre qui traîne sur le canapé et l'enfile. Si je laisse Shin, si ce n'est pas Zoey c'est forcément Shin qui est là, voir mes bras il va me prendre la tête un bon moment et je pourrais abandonner l'idée de le faire partir rapidement pour pouvoir recommencer ce que je faisais.

Bien sûr, j'avais raison, quand j'ouvre c'est Shin qui me fixe avec son air circonspect. Il me tend un sachet en papier de la boulangerie du coin. Agacé, je lui prends des mains.

- J'ai pas besoin d'un chaperon Shin... Allez dépêche, tu fais rentrer le froid.

Je me décale de mauvaise grâce pour le laisser passer. Je n'ai pas trop le choix, il n'est pas aussi borné que Zoey, mais il est bien plus radical. Autant lui donner ce qu'il veut tout de suite pour être tranquille. Son putain d'oiseau vient voleter à côté de moi pendant qu'il enlève son manteau.

- Tiens le , j'veux pas qu'il mette le bordel dans mes papiers, en plus ça fout des plumes partout.

- C'est toi qui viens me parler de bordel ? Tu as vu l'état de cet endroit ?

Apparemment ça à l'air de l'amuser.

- Je me retrouve très bien dans mon « bordel » comme tu dis. Alors contrôle ta source. »

Le piaf retourne se poser sur l'épaule de son proprio. Parfait. Je l'aime bien, mais y a des limites à ne pas dépasser. Et je suis pas trop d'humeur. Je déplie douloureusement mes doigts, je les ai serrés si fort que le sang a du mal à circuler. Un mage ne va jamais sans sa source. Dommage pour ma migraine qui revient au moment le plus opportun. Je me dirige vers la cuisine tout en jetant un œil au paquet. Des biscuits. Mon ventre gargouille quand leur odeur chatouille mes narines. Je ne m'en étais pas rendu compte jusqu'à présent, mais je meurs de faim. J'attrape une assiette dans un des placards et je secoue le sachet au-dessus pour y renverser les gâteaux. Pendant que je m'affaire dans la cuisine, j'entends Shin qui s'installe dans le salon. Je le rejoins et je déblaie comme je peux la table basse avant de m'asseoir sur le fauteuil en face de lui. Il me dévisage avec ses yeux sombres. Je vois très bien la désapprobation dans ses iris quand il me fixe du regard. Pas mon problème. J'attrape un cookie que je commence à grignoter du bout des dents.

- « Zoey s'inquiétait pour toi. Elle savait que tu ne voudrais pas la voir, alors elle m'a demandé de passer. Et je me doutais que tu aurais oublié de manger.

Il doit trouver ça cocasse parce qu'il sourit vaguement en me désignant l'assiette d'un signe de tête.

- Et bien je suis vivant comme tu peux le voir. Enfin peut-être plus pour longtemps vu que tu m'as fait foirer ma synthèse. Je dois tout reprendre.

- Si une simple sonnette t'a déconcentrée à ce point, tu n'y serais pas arrivé de toute façon.

Je lui jette un regard noir. Mais dans le fond il a pas tort. Je fixe mes mains. Mes doigts sont parcourus de tremblements incessants. On ne synthétise pas de la pearl dans sa cuisine quand on s'agite autant qu'un malade atteint de Parkinson.

- Pas trop le choix, je roule pas sur l'or ces derniers temps. Et sans je suis bon à rien. Donc à moins que t'ai une solution miracle à me proposer...

J'esquisse un rictus amer. Le piaf croasse. L'idée de lui tordre le cou me traverse fugacement l'esprit.

- Regarde toi, une vraie loque, depuis combien de temps tu n'as pas utilisé la magie Kane ?

Le corbeau arrête pas de me fixer. Je vais définitivement l'étrangler, lui et son foutu proprio.

- Si tu es venu pour m'insulter tu peux repartir tout de suite. Tu sais ce qui s'est passé la dernière fois que j'ai essayé de jeter un sort. Et je n'ai plus de pearl. Donc je compte pas retenter l'expérience.

- Tu sais ce que je pense de tout ça.

Oh oui je le sais bien, monsieur le flic et sa « conscience professionnelle ». Il faudrait surtout pas qu'on sache qu'un membre de la brigade des crimes magiques d'Abel Town couvre un drogué.

- Ouais. - Je soupire lourdement - Bon, vu que t'es toujours sur mon canapé je suppose que t'as un travail à me proposer. Le genre de travail qui me permettrait de gagner assez pour refaire mes stocks ?

- Mmm mmm.

Il prend un biscuit. Faudrait savoir je croyais que tu les avais apportés pour moi.

- Vide ton sac.

- T'as entendu parler de Schwarts ?

- Le type qui siège au conseil des mages ?

- En personne.

- Et qu'est-ce qu'il vient foutre là-dedans ?

J'essuie les miettes sur mon menton et me ressers. Cette histoire ne sent pas bon. Les membres du conseil, c'est pas le genre de type avec qui tu as envie d'avoir des ennuis. Tous les mages sensés se tiennent à carreaux et essayent d'avoir le moins possible affaire à eux. Je ne suis pas un mage sensé. Mais j'suis pas fou non plus. Je suis un drogué qui fabrique de la dope dans l'évier de sa cuisine et qui fraude à l'occasion le recensement des mages donc j'aimerais éviter d'avoir affaire à eux, si vous voyez ce que je veux dire.

- Il a une fille. Une mage plutôt douée de ce qu'on m'a dit, une européenne.

- Et alors ? Faut que je fasse quoi ? Elle veut des cours ou une merde dans le genre ?

- Tu me promets d'attendre que j'aie fini avant de décider de me mettre à la porte ?

- Tente toujours.

Je ne le sens vraiment pas, sa magouille. Peut-être que j'aurais dû ignorer la sonnette en fait. Il n'aurait sûrement pas eu le cran de défoncer la porte quand j'y repense.

- Elle a fui le continent y a pas longtemps. Elle a l'air de s'en sortir plutôt pas mal, mais ce genre de choses.. ça laisse des traces. Son père voudrait qu'elle se fasse aider par quelqu'un qui a l'habitude de ce genre de situation. Je le connais bien et je savais que tu avais besoin de fric. Et de te bouger. Donc j'ai parlé de toi.

- Je sens que tu vas me sortir un truc que je vais pas aimer. Et au cas où tu ne l'aurais pas remarqué je suis un magicien au chômage technique. Pas un psy pour mutilés de guerre.

- Elle est pas mutilée. Enfin pas vraiment. Elle a perdu sa source.

Je me lève d'un coup et cette fois mes mains ne tremblent plus du tout.

- Dehors.

- Laisse-moi finir Kane !

- Dégage de chez moi et retourne baiser Zoey.

- Zoey et moi on n'est pas... Ne la mêle pas à tes sautes d'humeur ! Rassieds-toi.

- Donne-moi une seule bonne raison de croire que c'est pas parce que t'as glissé dans ta baignoire ce matin que tu me proposes ça.

- Tu vas gagner de quoi être tranquille pendant au moins un mois ou deux.

Le voile de colère qui m'enveloppait se dissipe un peu mais il est toujours là.

- Tant que ça ?

- Peut-être même plus.

- Je suis sûr que t'as tout un tas de crimes de quartiers ou d'invocations foirées à me proposer.

- Ouais peut-être bien, mais tu sais comme moi que tu ne pourras pas rester indéfiniment à zoner dans ton appart avec les rideaux tirés comme un vampire. Je ne te donnerais plus rien tant que tu ne l'auras pas au moins rencontrée.

- Accepter ton contrat stupide ne changera pas mes habitudes de vie.

- J'espère bien le contraire. T'es un mec talentueux. Tu devrais mettre ton don au service des autres.

- Je crois que je t'ai assez vu.

Il se lève enfin. Il était temps. Une minute de plus et mon poing aurait malencontreusement amoché sa gueule d'ange.

- Je ne changerais pas d'avis tu sais. Si je dois attendre que tu crèves de faim pour que tu acceptes de te bouger, je le ferais.

- Moi non plus.

Il enfile son manteau. Bon dieu qu'il est lent, je suis certain qu'il le fait exprès.

- Deux jours. Tu ne tiendras pas deux jours. Mais je ne me moquerais même pas de toi quand tu me harcèleras au téléphone. Ce serait mesquin. »

Une moue ironique se dessine sur son visage. C'est pas trop son genre. Je peux voir dans ses yeux qu'il s'inquiète. Qu'il aille s'inquiéter ailleurs, il me dérange. Il est enfin parti. Je n'ai pas répondu à sa pique, je lui ai fermé la porte au nez.

Mon ventre gargouille. Je décide de finir les biscuits, ce sera toujours ça de prit. Donc j'en étais où ? Ah oui, la synthèse. Je me rassois devant la table de la cuisine, le gâteau toujours dans la bouche. Je chasse une mèche de cheveux qui tombe dans mon champ de vision d'un geste agacé. Je suis agacé en fait. Il va falloir que je recommence. Je farfouille dans mon précieux carnet. Je fous des miettes dedans au passage. D'accord alors étape un. Bon je dois pouvoir récupérer les réactifs de ma dernière tentative, j'arriverais pas à une synthèse complète mais ça sera déjà ça de fait.. On est reparti. Une goutte....

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