Chapitre 36 (partie 2)


Celui-ci ne perdit pas son temps à leur demander leurs intentions, et tenta de les balayer d'un geste du bras. Mais ses adversaires esquivèrent le coup et profitèrent qu'il avait ouvert sa garde pour lancer une attaque coordonnée. Lulu lui décocha son pied dans le ventre alors que Christel lui plantait un pieu dans la poitrine, lui faisant ployer l'échine et laissant le champ libre à James pour lever son épée et le décapiter. Ainsi, à défaut de l'exorciser, ils avaient rendu son réceptacle inutilisable. Christel ressentit un féroce pincement au cœur à la pensée de l'innocent possédé, mais il devait malheureusement accepter l'idée qu'il n'aurait jamais eu le temps de l'exorciser.

– Faites attention, prévint-il néanmoins, il peut toujours trouver refuge ailleurs.

Pendant leur action, le fangshi n'avait pas perdu de temps. Prononçant des incantations, il avait réussi à placer un rectangle de parchemin, un , sur le front de son ennemi, l'immobilisant.

Un court silence s'ensuivit, brisé par l'arrivée de la relève. D'autres démons surgirent alors dans la pièce, attirés par le vacarme, et voyant leurs compagnons à terre, rugirent de fureur, faisant sourire Christel.

– « Œil pour œil, dent pour dent », se moqua-t-il. Je crois qu'on va maintenant avoir besoin de tout le monde.

– J'y vais, se proposa Lulu.

Et elle fila comme une flèche vers l'extérieur.

– On commence sans eux ? demanda James.

Une voix s'éleva à leurs côtés, et ils tournèrent la tête : le fangshi avait déjà commencé. Il acheva son incantation, et le fú qu'il avait appliqué sur son adversaire prit feu, embrasant l'adversaire avec lui.

– Est-ce que ça répond à ta question ? fit Christel d'un ton léger.

– À merveille, répondit James en redressant son épée, un large sourire aux lèvres.

Et, sans attendre la suite, il fonça dans le tas. Christel, amusé, fonça à son tour, alors que Lulu revenait avec les renforts. Bientôt, la réserve fut le théâtre d'un énorme capharnaüm.

Les chasseurs, ravis d'avoir enfin l'occasion de se venger, ne prirent aucun gant face aux démons. Ce que leurs frères et sœurs avaient subis, ils le rendirent au quintuple. Les démons, bien que puissants et belliqueux, sentirent très vite la différence. Un nouveau Jiang-Shi fut appelé à la rescousse, et, changé en loup, ce dernier fit quelques dégâts, jusqu'à ce que Christel l'immobilisât avec son anneau. Le fangshi prit la relève et appliqua sur son front un nouveau fú.

Les démons furent bien en peine de se défendre, cette nuit-là. Ils eurent beau se démener, s'ils esquivaient un coup, c'était pour en recevoir un autre. Aucun exorcisme ne se fit, par manque de temps. Les chasseurs se contentèrent de neutraliser leurs réceptacles, les privant momentanément de mouvements. Le prêtre incantait alors autour d'eux pour les empêcher de quitter leur hôte, et de posséder quelqu'un d'autre. Coincés dans des corps mis hors d'état de servir, ils n'avaient d'autre choix que de s'en remettre à la clémence de leurs bourreaux, laquelle était réduite à son strict minimum.

Voyant que la situation évoluait dans le bon sens, Christel attrapa James au passage et se pencha sur lui :

– Je vais voir dans les étages si Lilian n'y est pas, annonça-t-il.

– Je t'accompagne, se proposa son ami.

Ils se faufilèrent parmi leurs camarades et franchirent enfin la porte menant aux escaliers.

Contrairement à la réserve, l'endroit était désert. Les démons, pris par le combat, avaient peut-être laissé tomber la surveillance. Christel ne perdit pas son temps à chercher d'éventuelles sentinelles cachées, et monta les marches quatre à quatre. Le maudit qu'ils avaient interrogé avait mentionné les derniers étages, ce fut donc là qu'il se rendit en premier. Fort heureusement, le bâtiment était ancien et n'excédait pas la demi-douzaine de niveaux.

Au cinquième étage, une femme retorse voulu leur barrer la route, mais James ne lui laissa pas l'opportunité de leur dire qu'elle allait les massacrer. Il bondit en avant, son arme levée. La femme l'esquiva, mais ce fut pour mieux se faire cueillir par Christel qui lui lança son anneau sur la gorge. La tête de la femme tomba, suivie de près par le reste du corps.

– Quel gâchis, regretta-t-il néanmoins.

– C'est vrai que c'est jamais très évident de néantiser une femme, quand même, releva James alors qu'ils montaient les dernières marches. On a beau se dire que c'est un démon, je ne sais pas pourquoi, on garde toujours un fond de galanterie qui fait que c'est plus difficile avec une femme... Quoi, qu'est-ce que j'ai dit ?

Christel avait levé la main, lui intimant le silence.

– Écoute, enjoignit-il.

James tendit l'oreille, et perçut en effet le bruit qui l'intriguait. Il y avait des grincements métalliques, assortis de furtifs grognements et de claquements de mâchoires.

– Ils font la bringue, ou quoi ? chuchota James.

– J'en doute.

James haussa les épaules, peu convaincu. Il avait vu pire.

Et il n'avait pas totalement tort, car un homme surgit brusquement devant eux. D'abord surpris, ses traits se renfrognèrent aussitôt quand il reconnut les intrus.

– Tiens, qu'est-ce que je disais ? sourit James. Voilà le monsieur !

Celui-ci se précipita dans leur direction, les obligeant à esquiver. Christel bondit, lançant son anneau et l'atteignit au bras, le sectionnant net. James, qui avait pris appui sur la rambarde de l'escalier, lui avait plongé son épée dans le ventre. Le démon hurla, et son bras valide balaya devant lui, cherchant à chasser ses ennemis. Mais James avait ôté son épée, lui arrachant un nouveau cri, et Christel avait profité de son inattention pour lui abattre son anneau sur le cou. Il le regarda tomber au sol sans la moindre pitié, ni la moindre once de remords. Il passa à-côté du corps sans lui jeter un regard, et entra dans l'appartement.

– Je suppose que madame est à l'intérieur, avança James en le suivant.

L'endroit était aussi misérable que le reste, couvert de poussière et peuplé de meubles vermoulus. Le papier peint se détachait du mur par lambeaux entiers sous l'action de l'humidité, le plancher était gondolé et la peinture s'écaillait du plafond.

James fronça le nez.

– C'est un vrai taudis, ici, constata-t-il. Je comprends pas comment ils peuvent accepter de bosser dans des bouges pareils, avec le statut qu'ils ont.

– J'imagine que c'est leur façon de rester discrets.

– Discrets ? Cite-moi un seul instant où ils se sont montrés discrets.

– Mais tais-toi, bon Dieu !

James se tut, et Christel put écouter l'étrange bruit qui avait frappé son ouïe à loisir. Ils semblaient venir de ce qui semblait être la chambre. Ils étaient toujours aussi caractéristiques, mais, derrière la porte fermée, on pouvait distinguer en plus le tintement d'une chaîne.

– Tu crois qu'ils gardent une bestiole en cage ? s'étonna James.

Christel secoua la tête d'ignorance. Il n'avait jamais entendu dire que les démons s'étaient soumis à un quelconque élevage. Il enroula néanmoins sa chaîne autour de son bras, paré à toute éventualité. 

– Je vais entrer le premier, pour voir ce qu'il en est, dit-il à James. Tiens-toi prêt.

– Entendu.

Christel se tourna vers la porte, la main crispée sur son anneau. Il marqua un temps d'arrêt, percevant les bruits inconnus. Ne constatant aucun changement indiquant une mise en garde de ses occupants, il prit le parti de faire une entrée surprise, et fracassa la porte d'un coup de pied.

– Tu as une drôle de façon de voir ce qu'il en est, ricana James.

Christel l'ignora et entra en trombe dans la pièce, l'anneau levé. James rentra le cou dans ses épaules, attendant le fracas inévitable du combat.

À sa grande surprise, il n'y eut aucun bruit d'aucune sorte. Il y eut un grand silence, puis il entendit simplement le tintement de l'anneau tomber au sol.

– Alors, qu'est-ce que c'est ? voulut savoir James qui attendait la suite.

Mais son camarade restait désespérément muet. Il sentit alors poindre en lui une forte inquiétude.

– Christel, est-ce que ça va ?

Comprenant qu'il n'obtiendrait aucune réponse, il marcha à son tour vers la porte et entra.

Christel était debout devant le lit, pâle, frémissant, pétrifié.

– Eh bien, fit James, qu'est-ce qui t'arrive ?

Christel, immobile, n'ouvrit pas la bouche, les yeux fixés sur le lit. Puis il tomba brusquement à genoux, sous le choc, les dents serrées par la douleur.

James, intrigué par son comportement, s'approcha du lit et se figea net.

– Qu'est-ce que c'est que ce truc ? balbutia-t-il d'une voix blanche.

Lilian.

Mais une Lilian différente, une Lilian dénaturée. Blafarde, ses yeux étaient violemment rougis et le bleu des veines de ses tempes transparaissait sous la peau. Attachée aux montants du lit par des chaînes, elle tentait de se détacher en grognant et en claquant des mâchoires. Ses yeux, autrefois vifs et rieurs, étaient maintenant un puits glacé et sans fond de rage et de cruauté. Ses lèvres se retroussaient sur des syllabes glossolaliques.

James considéra la scène, sidéré.

Seigneur Dieu, que lui était-il arrivé ?


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