Une fois le seuil de la porte passée, Pierre est effaré de constater qu'ils ont échangé leurs rôles. Alma-Lïa a l'air totalement à l'aise, en train de faire la bise à son père et de le suivre dans le salon, alors qu'il reste planté dans l'entrée, paniqué.

-C'est quoi, cette tête ? lui demande sa mère pendant qu'il pose ses affaires sur le porte-manteau, et il secoue la tête.

-Rien. T'as pas oublié, hein, interdit de mentionner n'importe quel membre de sa famille ?

Pascale soupire.

-Oui, Pierre, arrête de t'inquiéter comme ça.

-T'as bien prévenu papa ?

-Pierre. Personne ne va parler de ça. Si jamais on est à court de sujet, je sortirai tes albums de toi bébé dans le bain.

Il éclate de rire.

-Moi, je sortirai tes vidéos karaoké du concert.

Ils rejoignent justement la chanteuse, qui est déjà installée à table face à son père, en pleine discussion.

-Qu'est-ce que tu veux boire, Alma-Lïa ?

-Oh, euh, n'importe quoi qui ne contient pas d'alcool.

-Pareil, steuplait, père, sourit Pierre en s'installant à côté d'Alma-Lïa.

-Tu as des restrictions alimentaires, Alma-Lïa ? J'aurai peut-être dû demander à Pierre avant, remarque Pascale, l'air soudain inquiet, et la chanteuse secoue la tête.

-Ah non, pas du tout ! Je mange de tout. Je pourrais boire de tout aussi, c'est juste moi qui ne bois pas d'alcool.

C'est soulagée qu'elle apporte le plat à table, et tout le monde commence à manger. Comme l'avait prédit Pierre, Alma-Lïa a eu beau répéter qu'elle ne "savait pas faire ça", elle est tout à fait capable de tenir une conversation avec trois autres personnes, résultant en un déjeuner qui se déroule parfaitement bien.

Alma-Lïa n'inverse pas les prénoms de ses parents ; ses parents ne lui demandent pas comment va sa mère. Après le dessert, quand Pierre annonce qu'ils vont devoir y aller, il est même surpris de voir la chanteuse suivre sa mère dans la cuisine, n'ayant même pas compris ce qu'elle veut lui montrer. Il les laisse seules plusieurs minutes avant de réaliser que, peut-être, même s'il adore sa mère, Alma-Lïa a besoin d'être sauvée de cette situation. Quand il arrive devant la porte, il s'arrête en entendant :

-Merci, vous n'étiez pas obligée de m'inviter chez vous pour me remercier.

Pierre ne bouge plus, attendant que sa mère réponde, un peu gêné d'entrer dans un moment comme celui-là. Elle met plus de temps que dans une conversation normale, mais elle finit par déclarer :

-Alma-Lïa, tu n'as pas à te sentir jugée ici. Tu ne l'es pas.

-Je suis pas une fille qu'on présente à sa maman, souffle-t-elle.

-Pourquoi ? Que ce soit les doigts d'honneur ou notre première rencontre, je réitère mes propos : tu n'es pas jugée.

-Oui, un peu pour ça. À cause de ma réputation. Et même avant ça.

Pierre sait qu'elle n'en dira pas plus, mais il n'a aucun doute sur le fait que sa mère a compris la même chose que lui. Personne ne l'a jamais présenté à sa mère.

C'est pour ça qu'elle était si inquiète, autant aujourd'hui que la première fois.

-Moi, je suis très heureuse de t'avoir rencontré. Et je sais qu'on se reverra.

Le pilote sourit. Il faudra qu'il remercie encore sa maman d'être super. Il ne le fait pas assez.

Mais surtout, il faut qu'il décide enfin d'avoir du courage et qu'il invite Alma-Lïa à dîner avec lui. Aujourd'hui.

Il s'éloigne de la porte pour retourner dans le salon, et il prend l'air de rien quand elles reviennent, quelques secondes plus tard. C'est leur conversation, et même s'il a écouté, il ne veut pas interférer.

-Pierre.

-Mmh ? demande-t-il en s'attachant.

-Tu veux bien venir chez moi ?

Il se fige un instant, surpris. D'habitude, ils vont automatiquement chez lui. Il sait que c'est la maison dans laquelle elle a grandi, probablement la maison de sa mère, et il ne s'attendait pas à y être invité.

-Bien sûr, répond-il enfin, et Alma-Lïa sourit, l'air heureuse.

-C'était bien, chez tes parents.

-Je sais. Ils sont géniaux.

Elle sourit, et le reste du trajet se fait en silence. Quand ils arrivent devant chez elle, Alma-Lïa est la première à descendre, suivie d'un Pierre ne sachant pas trop où se mettre. Quand elle arrive devant la porte, elle se tourne vers lui, comme si elle avait compris.

-Ma mère est morte il y a deux ans et ma soeur est rentrée en hôpital psychiatrique pratiquement au même moment... c'est chez moi, maintenant. Je veux dire, ce n'est pas un lieu de mémoire où ne faut rien toucher. Fais comme chez toi.

Il hoche la tête.

-D'accord. Noté.

À l'intérieur, il imite la chanteuse qui enlève sa veste et ses chaussures avant d'entrer dans ce qui semble être le salon. Quand elle se tourne vers lui, il n'attend pas qu'elle parle et l'enroule dans ses bras, ce qui la fait rire.

-Pierre, j'ai pas eu le temps de te demander si tu voulais manger ou boire quelque chose.

-Non, ça va, merci. Ça a été, hein ?

-Oui. Merci. Ils sont chouettes.

-Évidemment, c'est eux qui m'ont créé.

-La prochaine fois je leur parlerai du choix de ton prénom, déclare-t-elle, et Pierre est soulagé qu'elle ne puisse pas voir son visage.

La prochaine fois ? Elle sait qu'il y aura une prochaine fois ? Il est obligé de cacher son sourire quand elle met fin à l'étreinte pour se jeter sur le canapé, et il s'installe à côté d'elle.

-Tu m'as jamais répondu quand tu devais choisir entre Lando et Oscar, l'autre jour, lance-t-il, et Alma-Lïa sourit.

-Bah, Oscar, évidemment. Ok, moi aussi j'en ai un auquel j'avais pensé depuis longtemps, dit-elle avec beaucoup d'entrain, Théa, et...

-L'autre personne.

-Mais j'ai pas terminé ma phrase !

Il sourit.

-Je sais. C'est pas vraiment nécessaire.

Elle rit.

-Pourquoi tu es comme ça, elle est super sympa.

-Elle est insupportable. Donc, c'était qui, l'autre personne ?

Alma-Lïa soupire.

-Ton ex.

Pierre éclate de rire.

-T'allais pas du tout dire ça, tu viens d'inventer quelqu'un qui pourrait être pire que Théa pour moi.

-Non, j'avais vraiment cette idée.

-T'es une menteuse, Alma-Lïa.

-Une menteuse, une voleuse, dans ma Réputation era.

Pierre rit, et elle sourit.

Et il décide que c'est le moment.

-Tu sais, je me suis dit que dimanche soir, après mon boulot... on pourrait aller manger.

Alma-Lïa pouffe de rire.

-Tu m'invites à un date, le conducteur de voitures ?

Pierre est trop concentré par ce qu'il doit dire pour se demander si elle dit ça sur le ton d'une blague ou si elle a vraiment compris que c'est ce qui se passe. De toute façon, il a décidé d'être honnête.

-Oui. Au cas où c'était pas clair, je veux pas juste coucher avec toi.

-Mais genre... dans la rue ?

C'est au tour de Pierre de rire.

-C'est généralement là que les dates se passent, ouais.

Le visage d'Alma-Lïa se ferme immédiatement, et Pierre fronce les sourcils. On ne sait jamais avec la chanteuse, mais il n'avait pas envisagé avoir affaire à cette réaction.

-Faut que t'y réfléchisses avant.

-Ben, c'est tout réfléchi.

Elle secoue la tête.

-Non. Tu peux pas décider comme ça. Je suis... j'ai une mauvaise réputation, Pierre. Pendant des mois, j'ai été uniquement vu à l'extérieur vêtue d'un sweat noir et faisant des doigts d'honneur à qui voulait les voir. Toi, t'es un gentil pilote patriote et tu peux pas t'afficher avec quelqu'un comme moi sans être complètement sûr que c'est ce que tu veux. Les gens me détestent.

-T'es en tournée mondiale où tu remplis des stades, Alma-Lïa.

-Des stades remplis de fans. L'opinion publique me déteste. Je veux que tu réfléchisses au fait que ma présence à tes côtés dans la rue va souiller ton image.

Pierre secoue la tête avant de la baisser.

-T'es pas obligée de vouloir me faire changer d'avis, tu peux juste me dire que je te plais pas. On s'est bien amusés ensemble et ça peut s'arrêter là, ça me vexera pas.

-C'est pas ce que j'ai dit... j'ai dit que tu devais réfléchir, et...

-D'accord, bah tu sais quoi, je vais y aller, alors. Réfléchir tranquillement.

-Pierre...

-Salut.

________
la scène de la demande est une des premières scènes que j'ai écrite, c'était en juin et vous la lisez enfin !!

dans le prochain chapitre, deux personnages vont en discuter et donner leur avis sur la situation mais vous pouvez déjà donner le vôtre :)